Dans son atelier bien éclairé, des mosaïques envahissent le sol. Il y en a plusieurs centaines, voire des milliers. Partout, elles occupent l’espace. Le travail est minutieux : l’artiste anonyme Invader doit réfléchir à la prochaine mosaïque qu’il compte coller dans les rues d’une grande ville. Invader doit aussi tout préparer pour passer le moins de temps dans les rues : son art est illégal. C’est du street-art. Dans le seul documentaire qui lui est entièrement consacré, « In Bed With Invader », réalisé en 2011 par Raphaël Haddad, on suit le street-artiste une nuit, dans la routine de son art. On le voit arpenter les rues, mosaïques dans une main, échelle d’une autre. Il applique du ciment sur le dos de ses mosaïques puis monte sur son échelle pour envahir l’espace de son art.

« J’ai développé toutes sortes de techniques qui me permettent de m’adapter aux différentes situations comme la fréquentation du lieu, l’heure de l’invasion, la taille de la pièce, la hauteur de son emplacement… etc. L’idée étant d’être le plus rapide et le plus discret possible. »
Invader
Envahir l’espace
Space Invaders c’est d’abord un jeu vidéo. Tomohiro Nishikado l’a créé en 1978. Il n’est pas très connu du grand public. Et pourtant, son jeu vidéo est l’un des premiers shoot’em up. Le jeu d’arcade rétro-futuriste fait donc partie d’une catégorie spécifique des jeux vidéos : celle où le joueur dirige un personnage ou un véhicule censé abattre des ennemis. Le jeu s’inspire, selon un billet radiophonique de France Info de « La Guerre des Mondes » ou encore « Star Wars ».

On comprend alors le grand succès du jeu, et encore plus le succès des mosaïques de l’artiste Invader, qui s’est largement inspiré des crabes de l’espace du jeu de Tomohiro Nishikado pour créer son empire. Une des raisons de l’attrait d’invader pour les personnages du jeu vidéo, c’est la facilité, pour lui, de reproduire ces crabes de l’espace en mosaïques : « Il faut dire aussi qu’ils sont très pixelisés et qu’ils sont donc faciles à reproduire en mosaïques. » confie l’artiste dans une interview pour le site Deedee Paris.
« Le jeu vidéo s’appelle « Space Invaders », j’envahis l’espace et l’espace public. C’était vraiment logique. (…) S’il n’y avait pas d’autres artistes comme moi, il n’y aurait que de la publicité. Et la publicité, c’est en quelque sorte Big Brother. Leur but n’est pas de rendre les gens heureux ou de leur faire voir de jolies images. »
Space Invader dans une interview tirée du film « Bomb it ! »

Vous connaissez Invader sans l’avoir croisé. Il est partout. Dans les plus grandes villes. Depuis la création de son mouvement « Space Invaders », depuis 1998, l’artiste arpente les plus grandes villes du monde pour y coller ses mosaïques. On les trouve actuellement dans 79 villes. Il y en a exactement 3870. Son but, coller le maximum de ses pièces, en général ces petits crabes de l’espace que l’on retrouve dans le jeu éponyme : « J’ai peu à peu mis en place un système consistant à me rendre dans les capitales du monde pour les « envahir ». J’essaie, en général, de placer entre 20 et 50 pièces par ville, ce qui commence à être un bon score. Parfois, je me rends à plusieurs reprises dans une même ville, mettant ainsi en place différentes « vagues d’invasions » comme je les appelle. Le but, c’est d’augmenter mon score, et de poursuivre mes «invasions» inlassablement, partout et tout le temps… Pour ce faire, je n’ai pas de stratégie pré-établie, mais je m’efforce d’évoluer et de me renouveler sans cesse, de garder une part d’inventivité dans ce très sérieux projet d’invasion artistique. » explique-t-il sur son site officiel.
« Disons qu’à un certain moment de mon existence, j’ai réalisé que l’art allait être ma vie. J’ai alors travaillé dans plusieurs directions, jusqu’au jour où j’ai eu ce geste fondateur de coller un Space Invader en mosaïques dans une ruelle parisienne. J’ai rapidement réalisé que ce geste était fort, tant plastiquement que conceptuellement car il s’agissait d’un Space Invader, une créature numérique programmée pour, comme son nom l’indique, envahir notre espace, et ce, à une époque où les ordinateurs commençaient justement à envahir nos bureaux et nos vies ! »
Space Invader dans une interview pour Libération
L’objectif pour lui, c’est aussi de contourner les règles. Le street art lui permet de faire reconnaître son art sans passer par des institutions ou des musées. Si la première mosaïque qu’il a collée était dans les rues de Paris, l’artiste a désormais envahit d’autres espaces : de Miami à Bankok, en passant par Sao Paulo, Invader semble avoir réussi son pari.

Pour aller plus loin, découvrez notre article dédié au street art, à ses origines et les différents courants qui le composent.

L’artiste est allé bien plus loin que de simples villes ou capitales dans son art. On retrouve ses personnages dans des endroits insolites et inaccessibles. Peu de personnes peuvent y avoir accès comme la Station Spatiale Internationale :

« Depuis des années j’envahis l’espace urbain avec des petites créatures venant de l’espace. J’y pensais depuis longtemps et j’ai réussi à m’élever de plus en plus haut pour atteindre mon but. »
Space Invader dans une interview pour Télérama

Ou encore les profondeurs. En 2012, l’artiste collabore avec le sculpteur Jason deCaires Taylor. Ensemble, ils créent une véritable ville sous marine, dans la baie de Cancùn au Mexique. Le street artiste colle trois de ces invaders sur les sculptures de Jason deCaires Taylor :


Invader, en 1998 devient le premier artiste à être exposé au musée du Louvre de son vivant. Il colle une dizaine de ces invaders à travers les salles du musée. Exposé illégalement, l’artiste explique être retourné au Louvre il y a peu de temps afin de voir si ses invaders sont toujours présents : « Certains space invaders sont restés en place pendant des années, d’autres ont rapidement été découverts et retirés mais lors d’une visite récente, j’ai pu constater que quelques carreaux étaient toujours en place. »


Fondateur du Rubikcubisme
Comme Banksy, Invader est un street-artiste anonyme. Personne ne connaît sa véritable identité. Space Invader est un homme blanc. Il s’appellerait Franck Salma. Il déclare dans un article de Libération être né en 1969. Il aurait donc la cinquantaine. Il aurait étudié à l’école nationale des Beaux Arts de Paris. Sur son site officiel, sa présentation est succincte : « Je me définis comme un AVNI, un Artiste Vivant Non Identifié, j’ai pris Invader pour pseudonyme et j’apparais toujours masqué. Je peux ainsi me rendre à mes propres expositions sans que les visiteurs ne soupçonnent mon identité ou ne remarquent ma présence même lorsque je me tiens à leurs côtés ! »
L’artiste commence à envahir l’espace urbain en 1996. Il colle, cette année son premier space invader. Mais son mouvement débute en 1998. Ci-dessous, l’un des premiers Space invaders.

Il élabore son projet tout seul. Mais il s’aide d’une petite équipe, sûrement pour coller ses mosaïques dans les rues des villes comme on le voit dans « In Bed With Invader« . L’artiste choisit minutieusement les endroits où il colle ses œuvres, en fonction de plusieurs paramètres : « j’ai développé toutes sortes de techniques qui me permettent de m’adapter aux différentes situations comme la fréquentation du lieu, l’heure de l’invasion, la taille de la pièce, la hauteur de son emplacement… etc. L’idée étant d’être le plus rapide et le plus discret possible. » explique-t-il sur son site officiel.
Plusieurs fois, certains souhaitent découvrir qui se cache derrière son pseudonyme : « Alors que l’on désire rester en retrait du monde, le monde vient à vous, afin de percer le secret. Il faut croire que l’on obtient finalement l’inverse de l’effet recherché. » déclare-t-il au Monde avant d’ajouter : « Lorsque l’on croise une de mes créations, on se dit qu’elle a été réalisée par un personnage masqué et anonyme qui, à la nuit tombée, sème des créatures pixelisées dans les rues du monde entier, et cela permet d’appréhender l’œuvre différemment. Cela raconte plus de choses ainsi, ça touche à l’imaginaire. »

Si l’artiste reste anonyme, cela ne l’empêche pas d’être célèbre. Ses œuvres peuvent se vendre à plusieurs centaines de milliers d’euros. C’est pourquoi certaines personnes s’amusent à détruire ses mosaïques afin de les revendre : « un grand nombre de mes pièces sont arrachées, défigurées voire détruites par une poignée d’individus qui cherchent à en faire commerce. Vue la fragilité des carreaux de mosaïques que j’utilise, voler l’œuvre qui est au mur est impossible. Leur technique consiste donc à détruire l’originale pour ensuite la recréer avec des carreaux achetés dans le commerce auxquels ils tentent de donner une patine ancienne. Puis ils revendent ces vilaines répliques en ayant détruit les originaux ! »
« Ce n’est pas parce que des œuvres ont été réalisées sans autorisation qu’elles ne sont pas protégeables en tant que créations. À mes yeux et aux yeux de la loi, seul le propriétaire des murs est en droit de retirer l’œuvre d’un street-artist sur son bien. »
Invader dans une interview pour Libération
Si l’artiste travaille principalement avec des mosaïques, ses œuvres ne représentent pas seulement des invaders. Il invente un nouveau courant artistique : le Rubikcubisme. Le Rubik cubes devient le centre des œuvres artistiques. Ce nouveau médium lui permet d’allier subtilement cubisme et le célèbre jeu de casse tête. En effet, les deux courants se complètent parfaitement. Il reproduit des tableaux connus par tous, comme « L’origine du monde » de Gustave Courbet ou encore « La Joconde » de Léonard de Vinci.


Son interprétation de la Joconde a été vendue aux enchères à 480 200 euros en février 2020. Réalisée en 2005 et estimée à 150 000 euros, l’œuvre a donc été multipliée environ cinq fois son prix initial.
Il créé, grâce au Rubikscubique une série où il reproduit les albums des artistes qui l’ont marqué. Ci-dessous, l’image d’un album d’ACDC. Ses œuvres sont présentées lors de plusieurs expositions : à la galerie Lazarides à Londres en 2009 et à la galerie Le Feuvre en 2011.

Avant Pokemon Go…
Le 6 juillet 2016, un jeu sur smartphone emballait le monde : Pokemon Go. Le concept est simple : capturer des pokémons virtuels dans la vraie vie. Il faut alors se déplacer pour trouver leur localisation exacte, parcourir des kilomètres et des kilomètres pour trouver la perle rare. Mais savez vous que le concept n’est pas révolutionnaire ? Deux années auparavant, le street-artiste Space Invader développe une application pour smartphone. L’objectif est précurseur : il faut partir à la recherche des invaders et les prendre en photographie. La base de données de l’artiste valide alors la photo.
Le jeu prend de l’ampleur surtout en 2019. Le concept est addictif : plus vous capturez les œuvres de l’artiste, plus vous montez dans le classement.

L’application permet à des œuvres, tombées dans l’oubli d’acquérir une nouvelle notoriété. L’artiste ne produit pas que des mosaïques. En 2003, il commence à réaliser une série de livres où il raconte l’invasion des villes qu’il a réalisées.

Il réalise des peintures dans les rues d’Inde. C’est le seul endroit où l’artiste utilise cet art :

Il réalise en 2008 une série de QR codes :

Voici d’autres œuvres de l’artiste :



Si vous appréciez l’artiste Space Invader, vous pouvez visiter son site officiel ou son compte Instagram.
On vous avait déjà parlé d’Invader lorsque l’artiste installait ses œuvres en Tunisie, ou encore plus récemment à Marseille.
Vous aimerez sûrement le mosaïste Jim Bachor.