À seulement 25 ans, William Keo est photographe nominé chez Magnum Photos depuis septembre 2021 et directeur artistique. Actuellement en Ukraine, il a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.
D’origine cambodgienne, la migration forcée de sa famille au moment des crimes du régime khmer rouge (1975-1979) a conditionné sa volonté de photographier les mouvements de populations, l’exclusion sociale et l’intolérance communautaire. Après des études dans la publicité, l’expérience de la photo humanitaire le détermine à faire du huitième art son métier. Aujourd’hui, il a déjà réalisé de nombreux photoreportages sur les réfugiés syriens au Moyen-Orient, la guerre en Ukraine ou encore la crise des Rohingyas.
Photographier l’exclusion sociale, la migration et l’intolérance communautaire : l’influence familiale du génocide cambodgien
William Keo est né en 1996 au sein d’une famille cambodgienne ayant fui le génocide perpétré par Pol Pot et les khmers rouges. Ce passé a fortement influencé son choix de travailler plus particulièrement sur la migration, l’exclusion sociale et l’intolérance communautaire. Quitter son pays d’origine, fuir la misère et la violence, la complexité de l’intégration, William Keo connait les difficultés rencontrées par les réfugiés et leurs conséquences.
Plus jeune, comme beaucoup, il recherche des repères et un mode d’expression. N’ayant été ni un très bon élève, ni très bon en conversation, ni un très bon rédacteur, la photographie s’est révélée être le langage qui lui était le plus adapté pour s’exprimer.
Je fais partie des gens qui photographient des thématiques familières, des choses qu’ils connaissent. Ces histoires, j’ai grandi avec, aussi universel que l’amour et la famille, la haine et l’intolérance sont des choses inscrites dans le patrimoine de l’humanité.
William Keo pour Beware!
Après des études dans la publicité, rattrapé par sa passion d’enfance, William Keo fait le choix d’exercer le métier de photographe. Rapidement, la publicité se présente comme un plan B. Photographe pour des ONG, ce travail alimentaire lui permet de subvenir à ses besoins et de financer ses propres projets photos. Son entrée chez Magnum Photos lui permet de quitter définitivement son ancienne vie et de devenir photographe à temps plein.
William Keo est déjà l’auteur de nombreux reportages réalisés aux quatre coins du monde. Il a travaillé sur : les migrants à Stalingrad (Paris), les réfugiés à Sabra & Chatila à Beyrouth, les réfugiés syriens au Liban (de la plaine de la Beqaa, Aarsal et Tripoli) et en Turquie, dans la région de Hatay, l’exclusion sociale des handicapés au Maroc, la salinité de l’eau au Sénégal, les réfugiés Rohinygas au Bangladesh, la guerre et les réfugiés du Darfour, les migrants dans la banlieue du 93, en Italie et à Calais, la guerre du Donbas (Ukraine), la stabilisation du conflit syrien, la crise des gilets jaunes ou encore la traque des djihadistes en Iraq…
En ce moment, il réalise en parallèle un grand reportage dans sa banlieue, le 93, pour la Bibliothèque Nationale de France et le Ministère de la culture et couvre l’invasion russe en Ukraine pour Libération.
Photoreporteur, un métier qui demande réflexion
Comme pour tout photoreporteur, certains reportages marquent plus que d’autres. Pour William Keo, c’est celui sur la crise des Rohingyas qui a été pour lui “d’une violence émotionnelle sans nom“. Arrivé au début des évènements, très peu d’images avaient encore été diffusées. Les premières images qu’il découvrira seront celles de vagues humaines se piétinant. À seulement 19 ans, le jeune photographe n’était pas préparé à une telle violence. D’après lui, les émotions influencent les photographes dans leur façon de travailler. Celles qu’il a ressenties ce jour-là ont indéniablement changé sa manière de travailler pendant des années. Il s’est éloigné des sujets humanitaires pour adopter une photographie “plus documentaire, plus statique et plus contemplative“.
De nature timide, le photographe franco-cambodgien a le sentiment de parfois se censurer dans ce qu’il décide de photographier, ou pas. N’étant pas dans son tempérament, il se refuse à prendre des photos contraire à la dignité des personnes concernées. Parfois, il décide de ne pas révéler des photographies prises spontanément. William Keo est partisan de la subtilité. Il aime prendre des photos qui soulèvent des questions mais qui pour autant n’apporteront pas forcément de réponses.
Je pense qu’on peut raconter des choses fortes sans faire des photos vulgaires, parfois c’est nécessaire mais quand je peux l’éviter, je le fais, il y a un temps pour tout.
William Keo pour Beware!
Lorsqu’on photographie des conflits, se pose fatalement la question de savoir si on est un témoin ou un acteur de l’évènement. William Keo se considère comme un témoin qui raconte des faits bien qu’il ait inévitablement ses propres opinions. Selon lui, il n’est pas bon signe lorsqu’un photographe sur le terrain devient acteur du conflit. Cette posture peut modifier les évènements ou influencer les comportements. Il arrive par exemple que la présence d’un photographe galvanise des soldats ou des manifestants en les incitant à être le plus spectaculaire possible ou à avoir une meilleure attitude.
La photo est un médium qui sera toujours subjectif et par conséquent, parfois voire souvent limité et peut-être pas le médium le plus adapté pour dire la “vérité”. Elle apportera au moins un regard, le plus honnête possible sur un sujet. Je n’ai pas la prétention de dire la vérité, parce que je trouve que c’est trop absolu, trop figé, même si je la cherche en permanence.
William Keo pour Beware!
Volontairement ou non, localement ou à plus grande échelle, une photographie peut ne pas être anodine. À la question de savoir s’il considère la photographie comme une arme, comme étant dotée d’un pouvoir, William Keo répond qu’elle peut servir de contre-pouvoir. Le photographe évoque alors les photos récentes de Marioupol du photographe Evgeniy Maloletka, contredisant le narratif selon lequel l’armée russe ne bombardait pas les civils, ou la célèbre photo de Nick Ut de la jeune fille brûlée au Napalm au cours de la guerre du Vietnam. Toutes ces images sont brutales, dures et peuvent faire basculer des opinions.
Parmi les photographes que William Keo admire le plus, on retrouve plusieurs de ses collègues de Magnum. Beaucoup l’inspirent par leur style ou leur engagement qui bien souvent vont au-delà de la passion comme Jérôme Sessini, Paolo Pellegrin, Patrick Zachmann, Bruce Gilden, Matt Black, Moises Saman, Emin Ozmen, Newsha Tavakolian, Nanna Heitmann ou encore Eve Arnold. Certains, devenus des amis comme Alexis Pazoumian ou Yegan Mazandarani sont des personnes très solaires qu’il aime garder près de lui. Il cite également le travail de Chris Killip comme grande source d’inspiration car pour lui “ses photos ont une odeur“.
Le témoignage de William Keo sur la situation en Ukraine
William Keo connait déjà l’Ukraine. En 2018, il photographiait déjà la guerre de Donbas. Actuellement sur le territoire ukrainien pour Libération, on lui a demandé d’apporter son témoignage sur la situation. Comme souvent, cette guerre de terrain est aussi une guerre de l’image. Avec l’utilisation d’armes insidieuses telles que la désinformation, la propagande et la censure, comment le photographe voit-il son rôle dans cette manipulation de l’image ?
“L’arrière front est très bien organisé, il y a une discipline incroyable sur la structuration des aides dans toutes les villes où j’ai travaillé. Il y a un officier de la communication dans toutes les villes, prêt à accueillir des journalistes pour raconter, parfois, une trop belle histoire.
Je ne sais pas si j’arriverai à sortir de ce narrative qu’on nous donne, il est très difficile de se défaire tant qu’on a pas assez de recul. J’essaye juste d’être honnête et de ne pas me lancer dans une histoire ambitieuse qui me dépasserait, je raconte ce que je peux vérifier et surtout des histoires à mon échelle.
On fait beaucoup face à la paranoïa de la population, où même l’accréditation militaire ne suffit pas. Parfois, c’est le côté paternaliste de certains responsables qui nous empêche de travailler sous couvert de protéger les gens mais on ne peut pas leur en vouloir.
Les fronts terrestres ne bougent pas énormément, les plus grandes villes du pays sont encore contrôlés par les forces ukrainiennes, ce qui signifie que les lignes de front se passent à la campagne mais la politique de l’Ukraine fait que toutes intégrations à des forces militaires sont interdites.
On ne voit que des bribes d’images du front, on ne sait pas vraiment comment ils combattent, s’ils sont réellement très bons ou que les russes sont aussi complètement désorganisés ?
Les bombardements touchent les plus grandes villes tuant énormément de civils.
Tous les journalistes et photographes couvrent le côté civil, qui est très important mais on se retrouve à produire les mêmes images entre collègues. Il y a quelques semaines, il y avait à mon sens une surreprésentation de la situation à Kyiv tellement il y avait de photographes. Maintenant c’est Mykolaiv, près d’Odessa, où la morgue est devenue une attraction parce qu’elle déborde complètement de corps. Un traducteur qu’on connaissait a montré à mon collègue rédacteur une photo qu’il a prise où des dizaines de photographes et de JRI filmaient et photographiaient les corps qui arrivaient.”
Suivez les photoreportages de William Keo sur son site et sur son instagram.
Découvrez le travail du photoreporteur sud-africain Pieter Hugo.