Quentin Fromont est un artiste français né en 1997. Il commence à développer rapidement un intérêt pour l’art, et dès le lycée il s’oriente vers un bac Arts Appliqués. Il obtient un diplôme en art mention design graphique, ce qui lui permet d’appréhender le médium de l’édition, de la photographie et de la vidéo. Il poursuit ensuite ses études avec les beaux arts de la Villa Arson à Nice, et termine en ce moment son master aux arts décoratifs de Paris en photo/vidéo. Son parcours varié lui a permis d’appréhender plusieurs pédagogies, tout en développant un univers très personnel, emprunt d’espaces utopiques et mythologies homoérotiques.
La limite floue entre médiums
Quentin Fromont développe premièrement un intérêt vif pour la photographie, qui lui permet d’évoquer son quotidien tout en le sublimant et en captant des moments très personnels. Il se met rapidement à questionner les rapports amoureux, la sexualité, le corps de l’autre; à travers des scènes très pures ou plus violentes (comme dans sa série Arcadie).
La photographie restant l’élément central de sa pratique, l’artiste expérimente avec de nombreux médiums, et produit des images qui semblent comme à la croisées des mondes artistiques . “J’aime fabriquer des images, les imprimer, les détruire, les réutiliser pour emmener le sujet vers un ailleurs”.
Avec ses images floues, fluides, parfois comme saturées de matière, parfois presque “liquides”; Quentin bouleverse notre perception. Est-ce une photographie ? Est-ce une peinture ? “Comment a-t-il procédé pour avoir ce résultat ?”, demande un collectionneur devant son triptyque Endymion.
Le désir homosexuel comme revendication politique
Le jeune artiste recherche dans son travail un aspect esthétique des couleurs et des formes qui puisse s’adresser au plus grand nombre. Tout en portant, pour la plupart de ses projets, un message politique affirmé sur les désirs et fantasmes.
Ces deux aspects de sa pratique se différencient donc par leurs messages : un travail contemplatif, où le politique est sous-jacent ; et un travail directement engagé avec des projets sur la question du couple homosexuel, du désir, et des dangers dans les espaces de sexualité libre gay.
La question du couple homosexuel est très présente. Ainsi que l’affirmation de fantasmes d’une communauté qui tente encore aujourd’hui de faire face à des problématiques sociétales et des rejets.
On la retrouve dans la pièce J’ai faim de toi (montrée lors de l’exposition “Et iels vécurent heureux.ses” au Dragono Paris). J’ai faim de toi est un autoportrait qui pose la question du projet dans les relations queer et de la fécondité. L’oeuvre reprend le concept des “maternity shoot” —shootings photo représentant traditionnellement une femme cisgenre enceinte, avec les mains de son mari sur le ventre; et joue sur l’ambiguïté des genres, les notions de masculinité et les stéréotypes. Le cadre, à la manière d’un porte clef, vient ajouter la dimension du projet commun. Peut-être un “chez soi”, un nouvel appartement, ou juste une ouverture du coeur, du corps…
On la retrouve également avec Transpotes (visible lors des portes ouvertes de Poush Manifesto). Transpotes est, comme le dit l’artiste, “une branlette entre amis”. Un travail d’expérimentation de l’image dans sa matière et sa forme. Les corps roses, informes, sont voués à disparaître en se fondant les uns dans les autres — comme dévorés par leur propre soif de chair. Ils se délitent et forment de nouvelles matières corporelles, à la fois liquides et sableuses. La limite entre médiums est une fois de plus floue. Photographie, peinture, 3D… seul un œil avisé peut faire la différence.
Les images chez Quentin Fromont sont souvent brumeuses, comme sortant d’un rêve. Elles évoquent les spectres de corps qui hantent la pensées du rêveur, ses fantasmes les plus inavoués.
Sexualité en eaux troubles
Le rapport à l’eau, au liquide, est toujours très présent chez Quentin Fromont; autant dans son processus que dans ses sujets de recherche.
La littérature est une grande source d’inspiration pour l’artiste. Quentin compose au rythme des mots d’écrivains homosexuels comme Guillaume Dustan, Dennis Cooper ou Jean-Baptiste Del Amo. Par ces livres, il comprend comme les mots sont un médium, une pratique supplémentaire dans sa quête d’expression. La poésie (souvent crue et “réelle”), devient sa nouvelle arme.
(…) loin des eaux tièdes et moirées du rivage. Je plonge : il y a peut-être des vérités apaisantes à
retrouver dans les abysses, des rencontres à y faire, moins bouleversantes que celles qui se
produisent sur la terre ferme.
Emmanuelle Bayamack-Tam, Arcadie, 2018, p.291
Cette fascination pour l’univers du littoral, de la plage et de la mer, lui vient notamment des vacances d’été. Ce temps particulier où le corps “est plus ici qu’ailleurs”. Les vacances d’été, ces trois mots qui rappellent les premières émotions et les premiers baisers. Ou la plage, qui peut autant rappeler un souvenir en famille qu’un souvenir de cruising (“plages de drague homosexuelle”) Le littoral est le point de rendez-vous de plusieurs facettes de la pratique du jeune artiste. Il y a la beauté du paysage : couchés de soleil, roche poreuse… et tous les désirs que provoque en nous cet espace si spécial.
Arcadie : l’île fantasmée
A ces questionnements vient s’ajouter toute une dimension autours de la mythologie, de la création de mondes nouveaux; et l’espace de l’île. Un espace autre, qui représente pour l’artiste une utopie coupée du monde, une “safe place adonnée aux plaisirs charnels, de l’amour, de la sexualité et du désir” où tous les fantasmes seraient réalisables.
Le projet Arcadie évoque des images à la fois brutales —car issu du monde pornographique— mais traitées de manière onirique, pour évoquer un ailleurs de tous les possibles. “Cette série parle des fantasmes masculins intrinsèquement liés à la domination masculine et donnent à voir des corps virils, un idéal de force et de vigueur physique, une position dominante dans les rapports sociaux de sexe”. Mais ici, le titre évoque Arcadie, la célèbre île mythologique du désir et de l’amour (par exemple peinte par Jean-Antoine Watteau).
Voyage en Grèce, Vénus et Arcadie
Le travail de Quentin Fromont est également très emprunt de mythologie. Il évoque les mythes de la Grèce antique, l’histoire d’un pays au bord de la mer et de toutes ses îles.
“Ce qui m’a d’abord parlé est le mythe de Vénus : Le sable chaud qui se fait battre par le vent, le soleil qui caresse la peau jusqu’à la brûlure, et la mer dont les giclées d’écumes viennent mouiller les corps. Écume d’où naquit la déesse de l’amour Vénus, d’un désir soudain des dieux grecques (peut-être Ouranos ou bien Zeus selon les dires), laissant échapper leur sperme pareil à des perles de nacres dans la mer”. Ce mythe est une véritable révélation de la plage comme territoire de désir.
Vénus est liée à tout son travail sur le cruising, Arcadie mais aussi Le chant des Sirènes. “Elle vient produire du désir dans la mer, puis sur une île, comme le fait les espaces de drague homosexuel”.
L’artiste a réalisé un voyage en Grèce de plusieurs mois pour développer son projet de diplôme. Il tente de réactualiser des contes mythologiques, et s’intéresse notamment à l’histoire d’Endymion; un jeune berger plongé dans un sommeil éternel par la déesse de la Lune, Séléna, qui désire conserver ainsi sa beauté pour toujours et pouvoir lui rendre visite tous les soirs. — S’en suit un long et doux rêve dans lequel il navigue dans les eaux moirées du désir, du fantasme et des mythes.
Curateur : provoquer de nouveaux questionnements, créer de nouvelles narrations
En plus de sa pratique artistique, Quentin développe une pratique curatoriale. Il désire réunir lors d’évènements artistiques, des artistes et ami.es autours de thématiques de recherches qui puissent soulever des questions contemporaines, notamment sur le queer. Grâce à ces moments de partage, il découvre de nouvelles pratiques, qui se répondent entre-elles et développent de nouvelles pensées.
“Ma pratique curatoriale est très récente. J’ai intégré un collectif l’année dernière qui m’a beaucoup apporté et permis de faire de très belles rencontres. Nous n’avons pas monté de projet concret mais avons travaillé sur différents aspects du curatoriat, fait beaucoup de veille pour trouver des artistes et mettre en lien leurs travaux. C’est finalement avec Louise des Places que j’ai continué à travailler et que nous avons monté l’exposition, “Et iels vécurent heureux.ses”. Une exposition très en lien avec ma pratique et nos deux façons de penser. Nous l’avons imaginé comme une célébration entre ami.es, questionnant le genre, les relations aux autres et à soi-même. Une exposition queer qui réunissaient différent.es artistes émergent.es ou encore étudiant.es”.
Quentin désire poursuivre son aventure de curateur en parallèle de sa pratique artistique pure. Il aime rencontrer des artistes et créer des liens entre les travaux, provoquer de nouveaux questionnements et créer de nouvelles narrations.
Une année riche en projets
Cette année fut riche en rencontres et en projets pour le jeune artistes, qui a eu l’occasion de montrer son travail à plusieurs reprises. En plus des expositions mentionnées précédemment, Quentin a présenté son installation Le Chant des Sirènes lors du prix Juvenars IESA. Une auto fiction d’agression sexuelle sur une plage de cruising.
Puis sa vidéo Pornographia a été exposée Chez Vincent Passera, dans le cadre du cycle d’exposition “Love Channel”. Dans cette vidéo inspirée d’extraits de l’ouvrage de Jean Baptiste Del Amo, Quentin Fromont parle du corps d’un jeune homme déifié par l’extase sur le fond d’une ville exotique. Des scènes défilent au ralenti, comme suspendues dans le temps : une fleur jouissante, un jeune homme du bord de mer sous la douche, son portrait flou dont le regard se pose lentement sur nous, puis la baignade dans une eau brillante.
Last but not least, sa photographie “Croupir dans la chaleur dans autres” a été montrée dans le cadre de la foire Chromie au Consulat Voltaire. Un évènement réunissant artistes et maisons d’éditions. La photographie provient d’un diptyque, accompagnée d’un poème : ” Aujourd’hui, il ne reste que le triste souvenir passé de la dépense de nos corps dans la foule en chaleur ne laissant sur nos peaux que la trace indélébile du laissé passer. Une jouissance brûlante qui évapore les souvenirs dans un nuage de chaleur. Un mirage lointain où, nos deux corps réunis l’un dans l’autre fusionnait sur le rythme harmonieux du son de la foule, faisant couler nos corps, suintant, transpirant, pour enfin, croupir dans la chaleur des autres.”
En constante expérimentation, Quentin se tourne de plus en plus vers la vidéo, le texte, le moulage et l’installation. Des médiums qu’il compte développer davantage dans ses futurs projets; avec des expositions en tant qu’artiste et curateur.
Vous pouvez retrouver le travail de Quentin Fromont sur son compte Instagram.
Plus de photographies d’amour queer sur Beware Magazine, avec le Livre “Falling in Love” de Luke Abby et Carlos Darder.