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Shaun Tan : Portrait du maître des illustrations sociales qui touchent chaque génération

Image d'avatar de Yohann PerezYohann Perez - Le 10 septembre 2020

« Wow, ça semble surréaliste ! » Shaun Tan à de quoi exulter : il vient de remporter (2011), l’Oscar du meilleur court métrage d’animation avec Andrew Ruhemann pour “The lost thing”. Il ajoute en plaisantant : « Le film parle d’une créature à laquelle personne ne fait attention ! ». Il était nominé pour la première fois aux Oscars. 2011 semble être l’année de la consécration pour le dessinateur : Shaun Tan remporte le prestigieux Astrid Lindgren Memorial Award, en récompense de sa contribution à la littérature pour enfants. Livres, dessins, animations, Shaun Tan est un illustrateur éclectique et renommé. L’occasion pour nous de nous pencher sur cet artiste en vogue.

Le racisme en toile de fond

C’est en 2007 que la France prend connaissance de Shaun Tan. L’auteur publie un livre graphique et muet sur l’immigration : “Là où vont nos pères”. La BD, muette, remporte le fauve d’or au festival d’Angoulême. Le succès est immédiat : « J’étais surpris par la vitesse à laquelle des lecteurs de tous âges et de tous milieux ont adopté le livre. (…) Je pensais que “Là où vont nos pères” n’intéresserait qu’un nombre assez limité de lecteurs ayant une passion pour le livre illustré et les procédés narratifs expérimentaux. » explique l’auteur dans une interview pour le site la bdtheque.

immigration objets tasse horloge papiers shaun tan

Plusieurs générations sont touchées par cette histoire universelle d’un jeune héros qui décide de quitter sa famille et son pays pour connaître une vie meilleure. C’est l’une des rares BD de l’auteur, qui publie généralement des ouvrages pour les enfants. Mais ici, Shaun Tan partage une partie de l’histoire de sa famille. En 1960, son père, architecte en Malaisie décide d’émigrer en Australie. Il y rencontre sa future femme, une Australienne d’origine anglaise et irlandaise. Shan Tan naît quinze ans plus tard, en 1974, dans la banlieue de Perth, capitale de l’Australie-Occidentale.

shaun tan souvenirs cadre photo

Shaun Tan, dans son enfance est très vite passionné par le dessin : « Enfant, j’ai toujours été intéressé par le dessin, comme pratiquement tous les enfants, mais je n’ai jamais vraiment cessé de le faire ! » explique-t-il sur son site officiel. L’enfant sait très tôt qu’il ne fera pas un métier comme les autres, il sera artiste : « J’ai toujours voulu être un artiste. J’aimais écrire des poèmes et des histoires. Parfois, en grandissant, je les illustrais. Je faisais aussi diverses peintures et sculptures. » confie-t-il avant d’ajouter que ses parents l’ont toujours soutenu. Peut-être parce que sa mère aimait aussi peindre sur les murs de sa chambre des personnages Disney géants.

Si les dessins de l’artiste ont toujours reçu un très bon accueil, (il est surnommé par ses camarades de classes, le meilleur dessinateur), il subit aussi la discrimination et le racisme. On se moque de sa petite taille et de ses origines : « C’était assez mineur mais bien plus choquant que ce à quoi on s’attendait (…) Quand quelqu’un faisait un commentaire sur le fait que je suis asiatique, cela me mettait en rage comme aucune autre insulte ne le pouvait . L’Australie est un pays progressiste, mais aussi un pays assez raciste. » explique Shaun Tan dans un article pour The Guardian.

“The Arrival”, titre original de “Là où vont nos pères” est un succès. Le monde découvre alors le style graphique unique de Shaun Tan.

shaun tan ville futuriste lune fumée

Les couleurs sépia détonnent avec le récit d’un homme qui arrive dans une ville futuriste. Cette bande dessinée a nécessité un gros travail pour l’illustrateur. Dans une interview pour Du9, l’artiste explique qu’après 6 mois de travail pour réaliser les dessins de son ouvrage, il recommence. Il utilise la photographie comme socle pour ses nouvelles illustrations : « Pour chaque planche du livre, je dessinais une story-board de la scène, j’organisais les prises de vue en fonction du lieu, de l’heure et du jour. Je partais à la chasse d’objets et de vêtements appropriés. Je discutais de chaque scène avec les «acteurs», et je tournais des dizaines de courtes séquences, j’isolais ensuite les images qui cadraient le mieux et les utilisais comme base pour chaque case. » explique Shaun Tan.

Illustrer un tel livre a nécessité des mois et des mois de travail, même si Shaun Tan est un maître de l’illustration.

Les années charnières

Si depuis petit, le jeune garçon apprend seul l’illustration, il dessine dans son adolescence les paysages des histoires de sciences-fictions qu’il écrit, il envisage de faire des études d’art. Il obtient un diplôme de Beaux-Arts et de littérature anglaise à l’université de l’Australie-Occidentale. Mais c’est surtout en choisissant le “label” d’artiste indépendant que le jeune homme apprend toutes ses techniques et s’améliore : « J’ai fait des illustrations à mon compte en même temps que mes études pour gagner de l’argent : je dessinais pour des magazines, des journaux, des couvertures de livres, des affiches musicales, des prospectus et des bulletins d’information, principalement sur le campus, et je vendais aussi quelques peintures » explique Shaun Tan sur son site principal.

Shaun Tan réalise plusieurs couvertures de magazines comme par exemple pour le magazine de science-fiction et de fantasy Aurealis. La couverture du second numéro a été illustrée par Shaun Tan en 1990. Il est alors lycéen.

shaun tan illustration magazine kangourou australie
shaun tan illustration magazine astronaute planète

Shaun Tan travaille avec un autre magazine de science-fiction, “Eidolon” pendant dix ans. C’est grâce à ce magazine qu’il se construit des bases solides d’illustrateur : « J’ai vraiment appris différentes façons de dessiner en illustrant des histoires stimulantes. Mes compétences en matière de dessin et de concepts se sont surtout développées en travaillant pour ce magazine. J’ai produit environ 200 illustrations d’histoires au total ! » confie Shaun Tan sur son site officiel.

shaun tan homme joue piano bateau
crédit photo : isfdb

C’est à la sortie de l’université que Shaun Tan commence à dessiner ce qui le rendra le plus connu : l’illustration pour les enfants et les adolescents. L’artiste explique l’une des raisons pour laquelle il s’oriente vers les livres pour enfants : plusieurs illustrateurs ou écrivains de science-fiction étaient aussi édités dans ce domaine. En parallèle, Shaun Tan continue à écrire des histoires de science-fiction qu’il illustre.

Il commence peu à peu à travailler ses premiers livres. Il s’associe avec l’écrivain australien de science fiction Gary Crew pour la série “After Dark”.

shaun tan  garçon skate découvre endroit

Avec “The Viewer”, Shaun Tan illustre l’histoire sombre d’un garçon qui découvre une boîte mystérieuse. Celle-ci lui montre des scènes de violence, de destruction et de l’effondrement de la civilisation. Avec cet ouvrage écrit par Gary Crew et illustré des mains de Shaun Tan, le dessinateur prend un virage : il souhaite illustrer d’avantage de livres. Il tourne donc le dos à l’écriture, qui pourtant, l’avait occupé une bonne partie de sa jeunesse. Il estime aussi que ses dessins sont destinés aux adultes et non plus qu’aux enfants.

shaun tan endroit abandonné

“The Viewer” est le premier ouvrage de Shaun Tan. L’idée de cet ouvrage tient d’une rencontre en 1995 entre les deux artistes. Pour sa conception, Gary Crew et l’illustrateur ont longtemps discuté et partagé la même vision du présent ouvrage : « Gary et moi avons discuté ensemble du concept, de l’imagerie et de la conception du livre dès le début, avant même qu’un texte ne soit écrit. » écrit Shaun Tan.

Les illustrations de Shaun Tan n’illustrent pas seulement l’histoire de l’auteur de science-fiction. Elles font partie de l’histoire : « L’utilisation de cercles, de spirales et d’autres motifs dans les illustrations met l’accent sur l’idée cyclique de vie et de mort. » explique l’auteur des dessins.

shaun tan texte spirale oeil rouge

Shaun Tan ajoute ensuite, pour comprendre ses dessins criculaires dans “The Viewer” qu’ils peuvent aussi être compris à notre époque. La civilisation n’est pas forcément synonyme de progrès, elle peut s’effondrer : « La crise écologique actuelle de notre propre époque le prouve. Pourtant, nous continuons de faire comme si rien ne se passait, comme si nous étions inconscients de la lente catastrophe qui se déroule devant nous ».

Si l’auteur dessine des illustrations de science-fiction, elles restent ancrées dans le temps présent et portent un regard minutieux sur notre société.

Les illustrations sociales de Shaun Tan

Le travail de Shaun Tan porte sur des sujets sociaux épars. En 2018, l’auteur publie “Tales From The Inner City”. Le livre évoque les relations entre les Hommes et les animaux. Dans un article pour The Guardian, l’auteur explique la genèse de son ouvrage : « J’ai écrit ce livre parce que je ressens de la culpabilité, de la détresse et de l’anxiété lorsque je regarde des animaux ». Il a été interrogé pendant le confinement, alors que les animaux avaient plus d’espace de liberté. Comment co-habiterions-nous si des crocodiles vivaient au dernier étage de notre immeuble ? Dans son ouvrage, Shaun Tan pose des questions existentielles sur la façon dont nous traitons les animaux : « Plus je faisais des recherches sur des animaux, et plus j’en découvrais la façon dont nous les traitions, plus cela devenait déprimant. Notre relation avec la nature est complètement dysfonctionnelle. » explique l’illustrateur dans l’article du Guardian.

shaun tan ours monte marche avec dame
shaun tan escargot dans ville sdf  Tales From The Inner City

Pour réaliser “Tales From The Inner City”, l’artiste a utilisé la photographie, la peinture, des bâtons, des feuilles, du papier. Ci-dessous, le travail préparatoire de Shaun Tan pour son ouvrage. La série semble réaliste puisque l’auteur est parti de matériaux réels. L’objectif était aussi d’éveiller les consciences des lecteurs : cet avenir, où les poissons pourraient déserter les océans à cause de la sécheresse est proche si l’on n’agit pas.

shaun tan cerf regarde new york

Tout au long de sa carrière, Shaun Tan parle de sujets engagés. Il publie en 1998 “The Rabbits”. Le livre raconte l’histoire d’une colonisation : dans une fable allégorique, on suit l’arrivée de lapins avenants et amicaux envers les habitants locaux. Ils deviennent ensuite des colons et des envahisseurs.

shaun tan colonisation arrivée colons

Le récit est écrit par John Marsden, les illustrations sont imaginées et peintes par Shaun Tan. Les illustrations de Shaun Tan sont très chargées. Il joue avec la symétrie, sans doute comme métaphore d’un régime colonial qui s’annonce intrépide. L’histoire s’inspire de la colonisation en Australie.

L’ouvrage a reçu le prix du livre d’images de l’année par le CBAC (The Children Book Concil of Australia). Il obtient de nombreux prix partout dans le monde : Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie et est étudié par les collégiens et les lycéens. Sur son site, l’auteur avoue avoir pensé aux adultes en dessinant “The Rabbits”, mais comme toujours, ses ouvrages se retrouvent dans les mains de toutes les générations.

Je crée la moitié de l’histoire, et le lecteur s’occupe du reste.

Shaun Tan pour Bdthèque
shaun tan colons bateau débarquent
shaun tan illustration offrande colons

En 2005, Shaun Tan pense à un nouvel ouvrage d’illustrations : “Cicada”. Après des années de réflexion, le livre est finalement publié en 2018. Il raconte l’histoire d’un insecte qui n’apprécie pas son travail. Il est exploité par son entreprise et personne ne semble faire attention à lui. Perdu dans une société capitaliste, l’insecte en est son esclave.

shaun tan brutalité patron salariés insecte

« Je pensais à mes amis et à ma famille qui ont travaillé dans des endroits où ils se sentaient sous-estimés. »

Shaun Tan
shaun tan insecte travalle entreprise

Shaun Tan avoue s’être inspiré d’une usine chinoise qui a installé des filets anti-suicide pour éviter que ses salariés ne sautent dans le vide. Il explique son intérêt pour ses grandes usines du Capital : « J’ai toujours été intéressé par la manière dont les structures sociales, politiques et économiques, créées à l’origine, pour promouvoir les intérêts humains et avec de bonnes intentions, peuvent en fait se révéler très déshumanisantes et contre-productives. » explique l’illustrateur.

shaun tan patron bureau tourne le dos insecte

Les références, pour cette histoire sont aussi littéraires : “La métamorphose” de Kafka (1915) raconte l’histoire d’un homme qui se réveille un matin en insecte. Il doit alors faire face aux réactions de ses proches et devient un parasite de la société. L’auteur a sans doute aussi puisé son imagination dans “Le Procès” (1987) du même auteur qui peint un système judiciaire rigide mais injuste. On pense aussi au décor terne que plante George Orwell dans 1984.

« j’ai construit des bureaux miniatures en papier et en carton. J’ai ensuite pu disposer et éclairer les éléments sur une table, les photographier et utiliser les images comme “croquis” pour structurer l’histoire et comme référence pour les peintures finales. Dans certains cas, les illustrations finales sont presque identiques aux photographies et montrent à quel point ce processus peut être utile pour explorer les variations de la scène, un peu comme pour la réalisation d’un film. C’est comme l’animation en stop motion, mais sans l’animation. »

Shaun Tan
shaun tan croquis cicada
Croquis de Shaun Tan pour “Cicada”.

Illustration du succès

Plusieurs des œuvres de l’illustrateur ont été adaptées. “The lost thing” a été mis en scène au théâtre en 2004. “The Arrival” a plusieurs fois été adapté au théâtre avant d’avoir été réalisé en court-métrage par son auteur : au Spare Parts Puppet Theatre en 2006 par exemple. L’histoire a même été pensée dans le cadre d’une mise en scène musicale à l’Opéra de Sidney en 2010.

L’auteur reçoit de nombreux prix pour ses illustrations. Pour son ouvrage mélancolique et minimaliste “Red Rouge”, il obtient le Prix Octogones 2003 du Centre International d’Etudes en Littérature de Jeunesse, mais aussi le prix Patricia Wrightson du NSW Premier’s Book Awards.

shaun tan poisson géant dans ville

Shaun Tan remporte en 2020 la médaille Kate Greenaway pour ses illustrations. Le prix récompense les illustrateurs de la littérature pour enfants et jeunes adultes. C’est le premier illustrateur asiatique à remporté ce prix. Cette récompense prestigieuse est parfois comparée au prix Nobel de littérature.

Voici quelques autres illustrations de Shaun Tan :

shaun tan avenue
Footpath, Fifth Avenue” 2004
shaun tan statue dehors oiseaux
The tree comes down
shaun tan oiseaux futuristes loupe
shaun tan lapin rouge géant chaussette rouge enfants oiseau
Never leave a red sock on the clothesline” 2012
shaun tan maisons colorées atmosphère ciel bleu
We only have to wash and wax our missile on the first Sunday of every month.

Pour suivre l’artiste sur son site officiel, cliquez ici. Pour son instagram, c’est par là que ça se passe.

Si les illustrations de Shaun Tan vous ont touché, vous aimerez sans doute celles de Miles Johnston.

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