Peter George Elson est un illustrateur britannique du XXe siècle (1947-1998). Adepte de science-fiction et de dessin depuis l’enfance, il est l’un des artistes typiques de ce genre artistique. Bien que ne bénéficiant pas d’une renommée à la hauteur de son œuvre, il représenta pour ses contemporains une réelle source d’inspiration, et l’est même encore aujourd’hui pour nombre de fans de science-fiction.
Peter Elson consacre sa vie d’artiste à la création d’œuvres majestueuses en 2D, où il met la plupart du temps en scène des vaisseaux spatiaux incroyablement détaillés au sein de paysages terrestres comme extraterrestres. Jouant des perspectives, des dimensions et des couleurs, il fait montre d’une virtuosité incontestable quant à la représentation de mondes parallèles impressionnants, qu’il élabore dans leurs moindres détails.
L’artiste
Peter Elson s’adonne à l’art très jeune, et explore déjà ce qui deviendra le sujet majeur de son œuvre : avions, vaisseaux spatiaux, machines de guerre 2.0, véhicules et engins divers défilent sous sa main. Lecteur assidu de la revue Eagle, un magazine hebdomadaire britannique de bandes dessinées pour la jeunesse, il s’en inspire aussi pour ses propres illustrations. Il n’est d’ailleurs pas anodin que sa passion pour la science-fiction soit née de telles lectures, car le support périodique de la revue constitue un canal de transmission essentiel pour ce genre artistique et littéraire.
Après avoir obtenu l’équivalent du baccalauréat en Angleterre avec deux ans d’avance, il part suivre dans les années 1960 une formation artistique à Londres à l’Ealing Art College. Cet établissement a accueilli d’autres artistes de renom tels que l’illustrateur Alan Lee (qui a travaillé sur le Seigneur des Anneaux et le Hobbit) ou le musicien Freddy Mercury. Peter Elson décide de changer de filière et passe de Fashion Design à Graphics, ce basculement actant sa spécialisation dans l’illustration.
En 1977, il remporte une compétition artistique de science-fiction avec Fantastic Planet. Ses œuvres rencontrent ensuite la reconnaissance du public et des amateurs de science-fiction : il signe des illustrations pour des séries à succès telles que Terran Trade Authority de Stewart Cowley (1978-1980), réalise des couvertures pour des romans SF de John Wyndham (Jizzle en 1954, A sense of wonder en 1974), de Patrick Moore (Killer Comet en 1978, The secret of the Black Hole en 1980) … Il inspire même les visuels du jeu vidéo Homeworld (1999) qui lui rend hommage notamment en nommant l’un des personnages Capitaine Elson.
Ses œuvres et thèmes de prédilection
Les illustrations originales de Peter Elson sont aujourd’hui majoritairement détenues par sa sœur Pam, qui a rassemblé quelques-unes des 300 peintures qu’elle a gardées sur un site dédié en hommage, et où des reproductions ou même des originaux sont disponibles à la vente.
Jouant de tous les formats et dimensions, l’artiste a aussi bien illustré des couvertures de livres que réalisé des fresques murales collectives, en utilisant de la peinture (gouache). On peut distinguer chez lui plusieurs enjeux principaux.
L’immensité des paysages
Peter Elson accorde une place capitale dans son œuvre à l’élaboration de paysages faisant signe vers l’infini, le sans limites. Le.la regardeur∙euse ne peut qu’être absorbé∙e dans l’immensité de ces décors tout droit sortis d’un rêve – ou d’un voyage interplanétaire ou temporel. Le tour de force principal de l’artiste réside ici : en une seule image, il nous fait imaginer un univers tout entier. Les cieux en particulier occupent beaucoup d’espace, et leur relative uniformité au niveau des couleurs utilisées permet de donner cette impression d’étendue illimitée, de vertige.
On pourrait donc étudier l’œuvre de Peter Elson au prisme du concept philosophique du sublime, et plus particulièrement du sublime mathématique tel que défini par Kant dans Critique de la Faculté de Juger (1790). Celui-ci renvoie de façon générale à une grandeur absolue face à laquelle on ressent une impression d’absorption totale, voire d’écrasement. Peut-être les illustrations de Peter Elson peuvent-elles insuffler en nous une telle sensation, en nous faisant nous plonger au cœur de ces paysages de science-fiction…
Entre récurrence et variété : explorer toutes les potentialités d’un même thème
Son œuvre se concentre sur des thèmes spécifiques, à savoir en particulier la représentation d’engins technologiques inhabituels dans des univers étranges et colorés. Cependant, loin d’être répétitive, elle reste très variée. Cette impression de diversification trouve notamment l’un de ses vecteurs principaux dans la mobilisation d’une grande palette de couleurs par l’artiste, qui investit aussi bien les tons chauds que froids, vifs que pastels, sombres que clairs.
Peter Elson joue également des textures avec la représentation d’océans, de montagnes, du ciel, de cailloux, les faisant coexister avec d’autres matières tels que le métal, des lampes, de la fumée, du goudron. Illustrateur de science-fiction mais puisant aussi dans ses inspirations fantastiques, merveilleuses ou mythiques, il produit des œuvres riches et variées.
Des contrastes saisissants et harmonieux
Cette conciliation d’éléments très différents voire antagoniques, en particulier entre nature et technologies, ou encore entre plusieurs textures ou couleurs, constitue une autre caractéristique du travail de l’artiste.
Son œuvre Fantastic Planet (voir plus haut) représente sans doute bien cet intérêt pour le contraste, les décalages. En effet, on peut y voir la superposition de deux ères temporelles, l’opposition futur /passé recoupant une opposition artifice/nature, cieux/mer, machine/humain. Cela laisse place à de multiples interprétations possibles. L’énorme engin spatial de métal (la « planète ») surplombe plusieurs humains de chair et d’os, nus, dont les arcs en bois contrastent avec la technologie complexe du vaisseau.
Peter Elson joue aussi beaucoup sur les points de vue et sur les plans, en faisant fréquemment apparaître au premier des vaisseaux massifs et détaillés, et en arrière-plan une nature étrange, dépaysante et plus diffuse.
La place de l’être humain
L’être humain est présent dans beaucoup des illustrations de Peter Elson, que cela soit de façon explicite (ex : dans The story of air fighting), ou plus évocatrice à travers des formes anthropomorphes (ex : Coils en 1984, The Winged Man) ou de véhicules que l’on imagine être conduits par un humain (ex : les avions dans Nothing By Chance). Le site officiel de Peter Elson dédie même une section entière de la galerie aux « People ».
Les figures humaines semblent donc toujours présentes en filigranes, ce qui est l’une des spécificités de Peter Elson ; son contemporain Chris Foss par exemple n’en fait pas apparaître une seule dans ses œuvres. Le choix de représenter des êtres humains a donc son importance, et peut soulever de nombreuses questions chez celui ou celle qui regarde. Leur présence questionne (par exemple dans Beyond the Galactic Rim, de 1982) ; que font-ils dans cet univers, appartiennent-ils au futur, s’agit-il de mondes parallèles… ? Mais dès lors, au vu de l’intérêt que leur porte l’artiste, leur absence questionne aussi : pourquoi ce choix, n’existent-ils pas ou plus dans cet univers, sont-ils aux commandes des machines, n’y a-t-il plus que des extraterrestres ?
D’autres créatures plus ou moins imaginaires jalonnent également ses illustrations, qu’il s’agisse de dauphins (ex : My sister sif, 1998), de chevaux ou de créatures plus fantastiques comme l’elfe, la licorne (dans Elf defense, de 1988)… Peter Elson représente également très souvent des engins de guerre (ex : Zepplin Hunters, Catfang…).
Cela témoigne à la fois du thème de la colonisation de l’espace caractéristique de la science-fiction (comme dans Star Wars), et à la fois d’une vision de l’être humain et des mondes comme toujours pris dans des rapports belliqueux, de pouvoir, et où la destruction n’est jamais loin… Cela permet aussi des images fortes, qui peuvent jouer des contrastes entre obscurité et lumière, fixité et mobilité.
Un incontournable pour la science-fiction
Art et science
Toutes ces caractéristiques corroborent l’idée de l’art de la science-fiction – tel qu’employé par Peter Elson, en tout cas – presque comme laboratoire expérimental. On peut y apercevoir notre monde transformé, déformé, dédoublé voire détruit. C’est l’une des particularités de la science-fiction, qui met en scène des univers fictifs futurs, passés ou parallèles, investis par des technologies ultra-complexes et inatteignables à l’époque des artistes. Ceux-ci s’emparent de considérations scientifiques et techniques pour leurs œuvres, et font de l’art un moteur pour la recherche en soulignant les possibilités ou les dangers de nos avancées.
L’importance accordée à la science et au technique entraîne un certain souci du détail. Tout comme les œuvres littéraires de romanciers∙ères de talent (comme Isaac Asimov avec sa série Foundation) sont extrêmement détaillées et construisent des univers très structurés et organisés, l’œuvre de Peter Elson témoigne également de la volonté de produire des mondes « réalistes ». En effet, la précision des engins qu’il représente, l’attention portée aux jeux de lumières, d’ombres, de reflets… permet cette impression de réalisme des scènes, et pousse le∙la regardeur∙euse à se projeter dans ces mondes d’ailleurs.
Peter Elson nous montre donc des mondes cohérents, que l’on imagine conceptuellement être possibles, mais qui n’ont rien de notre « réalité » à nous. Cela souligne l’idée d’une exploration scientifique et technique permise par le biais de l’art, qui commence par l’imagination. Celle-ci joue donc un rôle crucial dans les découvertes et les avancées scientifiques ; quelque chose dont témoignait déjà Jules Vernes, considéré comme l’un des fondateurs du genre de la science-fiction avec l’autrice de Frankenstein Mary Shelley.
Interrogations conceptuelles
Tout cela pose des questions chez le∙la regardeur∙euse : s’agit-il d’images de technologies du futur, ou une déformation fantaisiste de nos progrès actuels ? est-il question de la fin de l’ère humaine ou de sa survivance dans des lieux voire univers inconnus et inexplorés ? Les œuvres de Peter Elson, en tant qu’œuvres de science-fiction, font émerger chez celui ou celle qui les regarde une réflexion conceptuelle en plus de l’effet esthétique qu’elles produisent.
C’est à mettre en lien avec la notion de « dislocation conceptuelle » élaborée par Philip K. Dick dans une lettre du 14 mai 1981. Ce célèbre auteur d’œuvres de science-fiction au XXe siècle (certaines ayant conduit à des adaptations cinématographiques telles que Minority Report ou Blade Runner) entend par là l’idée d’expériences spéculatives, où les idées et les réflexions engendrées vis-à-vis de nos propres sociétés ont autant d’importance que la part proprement esthétique des œuvres.
Il y a donc une notion de distance entre celui ou celle qui reçoit l’œuvre et l’univers dans lequel celle-ci se déroule qui permet un retour critique simultané sur notre propre monde. L’évasion permise par la science-fiction n’entraîne pas nécessairement une déconnexion entre celle-ci et les enjeux contemporains, et l’œuvre reste ancrée dans son contexte.
Devant des illustrations de science-fiction, le∙la regardeur∙euse est transporté∙e dans des univers géographiquement, temporellement, culturellement, ou encore technologiquement parlant éloignés, mais qui interrogent souvent la place de l’être humain et des technologies, alors que celles-ci ne cessent d’évoluer.
Une source d’inspiration majeure
S’intéresser à Peter Elson aujourd’hui, c’est donc s’intéresser à un artiste dont l’œuvre a véritablement joué un rôle dans l’orientation de la science-fiction. Ses illustrations présentent en effet des caractéristiques classiques du courant, et Peter Elson est bien une figure importante dans l’histoire de l’illustration SF. On peut citer entre autres artistes similaires John Harris, Masamune Show ou Chris Foss.
Ses œuvres peuvent faire écho chez celle ou celui qui regarde à d’autres œuvres monumentales dans le genre et contemporaines de Peter Elson que sont Star Wars (1977) ou Dune (1984). On peut d’ailleurs mesurer l’influence et la pertinence de celui-ci encore aujourd’hui en visionnant le nouveau Dune (2021) par exemple, analysé par Beware ici, dont les plans rappellent les illustrations de Peter Elson, avec l’immensité des paysages et la complexité des vaisseaux. Cet autre article à propos de films de science-fiction (dont Blade Runner cité précédemment) pourra également témoigner de la pertinence de Peter Elson encore aujourd’hui.