On dit que ce sont les photojournalistes qui font l’histoire. Un événement dont aucune image ne serait tirée équivaut à ces arbres qui tombent dans la forêt sans personne pour les écouter. Poussière. L’image, plus que les écrits, plus que les paroles, immortalise et fédère ; elle est une nécessité. Que voulez-vous, on est tous des Saint-Thomas du pauvre, on ne croit que ce qu’on voit ; et surement que sans photographie des épaves de Pearl Harbor à mettre en presse, Roosevelt n’aurait pas pu amener son peuple à la guerre, et surement que sans Robert Cappa, on aurait eu que le Guernica de Picasso pour nous sensibiliser sur ce qu’était devenu l’Espagne.
Donc oui Ozier Muhammad, originaire de Chicago, fait l’histoire en nous la montrant. Il a couvert le monde, et est chouchouté par le New York Time.
Son site affiche fièrement :
« Being parts of events that changed The world. »
OK, mais on en parle comment de l’événement?
Il y a plusieurs écoles. Le plus sensationnel est le photojournalisme grandiloquent qui cherche les grands éclats, et l’émotion vive, et le « prendre à la gorge ». Puis on a l’intimiste qui a deviné que tout grand changement débute dans des bureaux, après un projet de loi signé ou une poignée de main refusée. Et puis il y a Ozier Muhammad dont l’objectif ne cesse de nous représenter la foule. Vous savez la foule ? Celle qui milite, attend le long des trottoirs banderoles en main, qui marche silencieusement ou s’évertue au vacarme. Celle que Edgard Allan Poe décrivait comme un « tumultueux océan de têtes humaines ». La foule éternelle spectatrice de ce que des plus grands décident, et évidente victime première.
Est ce qu’on peut deviner l’événement à travers son regard?
Chez Ozier Muhammad tout se confond. Il nous montre la foule pour les 95 ans de Mandela, et celle pour commémorer sa mort, la foule qui occupait alors Wall Street et celle du Nigeria qui célèbre ses premières élections démocratiques, la foule qui entoure Obama. Colère, revendication, scène de liesse, deuil national. Tout se confond sur les visages ; tout s’accumule.
Si le changement est un volcan, la foule est son magma. En elle est concentrée la force de l’action, les valeurs et les vertus, et aussi les vices, et la colère, et la joie. Qui a dit qu’une foule était anonyme ?
La majorité des événements ont surement pour origine les bureaux des gouvernements de par le monde, mais c’est dans la masse informe de la foule qu’ils se plaisent et éclatent, et s’immortalisent à travers les âges. On devine la force de l’explosion au bruit qu’elle fait ensuite. La foule est ce bruit.
Ozier Muhammad depuis trente ans les observe, de l’Afrique aux États-Unis, et on ne peut s’empêcher de penser qu’il a raison, que c’est bien de ce coter la qu’il faut regarder.