Emma - Le 10 avril 2023En 1957, Roland Barthes écrivait : “chaque objet du monde peut passer d’une existence fermée, molle, à l’état oral, ouvert à l’appropriation d’une société”.
C’est de cette philosophie qu’Angelin Preljocaj, chorégraphe de renom, s’est inspiré pour écrire son nouveau ballet Mythologies, dont le compositeur n’est autre que Thomas Bangalter.
Si le chemin des deux artistes s’est déjà croisé, cette nouvelle collaboration donnera lieu à de nombreuses représentations et à la naissance du premier album solo de l’ancien Daft Punk.
Signé chez Eratos, label de musique classique Français, Mythologies est sorti dans les back le 7 Avril dernier, soit dix ans après l’album fard du mythique duo : Random Access Memories.
Les 23 compositions, interprétées par l’orchestre national de Bordeaux sous la direction de Simon Dumas, offrent 90 minutes de musique enchanteresse.
Un album synonyme de Renaissance…
Si le sujet de l’album est la construction des fondements de la pensée dite populaire, Thomas Bangalter semble travailler dans une volonté de désobstruction de son propre mythe : aucune note de musique électro ne figure au sein de l’opus qui comporte seulement des compositions symphoniques avec une instrumentation entièrement acoustique, l’obligeant ainsi à délaisser les machines pour se rapprocher de l’humain.
L’artiste n’a cependant pas eu de formation classique, et c’est en autodidacte qu’il a composé le projet. Il a alors dû se réinventer, en se nourrissant notamment de lectures relatives à l’instrumentation et à l’orchestration.
Les contraintes de la Pop sont souvent mises en côté, afin de laisser place à un nouveau langage, influencé par Stravinsky et Prokofiev, même si la question du rapport de l’homme à la technologie n’est pas totalement ignorée. L’écriture d’orchestre rejoint parfois l’écriture électronique qui fait appel à beaucoup de rigueur et qui implique gestes répétitifs et des ambiances orchestrales.
En témoigne Circonvolutions qui nous offre un thème cyclique fait de motifs mélodiques en boucles obstinées. L’utilisation de cordes avec des arabesques à la Vivaldi en fait l’une des pièces les plus tonales de l’album.
Cette même impression cyclique est perceptible dans la structure du Minotaure, avec une reprise du début du titre dans la coda.
… aux considérations éclectiques
Également familier du monde de la danse, qu’il a fréquenté durant son enfance, Thomas Bangalter trouver en cet album l’occasion de lier ses deux cultures artistiques tout en ayant une approche presque archéologique de la musique qu’il appréhende à partir de fragments musicaux de siècles révolus, à ceux de considérations sociales plus contemporaines.
L’album s’ouvre avec des mouvements continus d’archet, de harpe et de célesta : la mise en mouvement des corps trouve une résonance dans les mélodies avec lesquels ils se conjuguent pour transfigurer une atmosphère mystique, presque sacrée.
Les inspirations baroques et minimalistes de l’album, ainsi que les changements de caractères et d’atmosphères pourraient aussi se prêter au cinéma, faisant de l’opus une œuvre également narrative. Ainsi l’illustre Icare, dont le thème très figuratif peut faire penser à la construction d’œuvres de Bernard Hermann.
Les harmonies mystérieuses et les ostinatos qui en découlent offrent une ambivalence renforcée par la succession d’accords statiques et de rythmes saccadés, créant ainsi un réalisme saisissant qui n’est pas sans rappeler celui qu’on retrouve chez le célèbre compositeur.
L’ambiance de Danae se réfère à la musique minimaliste , empruntée à celle de Steve Reich avec une atmosphère pesante propre à la trame historique originelle.
Si Mythologies ne révolutionne pas les codes de la musique classique, il en accompagne l’évolution et permet de découvrir Thomas Bangalter sous un autre aspect de sa création artistique
