Grandiose et fascinante. Avec “Museal”, le photographe Michel Gantner porte un regard lyrique sur les rapports entre peinture, art et visiteurs. C’est la première fois que le photographe travaille sur l’observation des êtres humains. Il était habitué à photographier le silence des objets ou des végétaux.

À travers une horde de smartphones, Martin Parr photographiait la Joconde et sa vision de Paris pour la Maison Européenne de la Photographie en 2014. Ses photos témoignent d’une époque, la nôtre : celle où le smartphone est une extension de soi, un moyen de se souvenir, de ne pas oublier et de montrer aux autres, sur les réseaux sociaux, qu’on était bien en compagnie du tableau de Léonard de Vinci.

Michel Gantner : peintre du réel
Avec Museal, Michel Gantner dévoile un autre aspect. Il prend à revers les sujets classiques de la déconnexion des visiteurs avec les œuvres. Si quelques photos s’attardent sur ce paroxysme, ce n’est pas le centre du propos du photographe : « Je ne voulais pas que ça devienne mon histoire, ce n’était pas le but. Combien de fois on a vu ces photos de la Joconde derrière une lignée d’appareils photos qui la photographient » nous explique-t-il. Michel Gantner photographie plutôt les visiteurs attentifs aux œuvres des peintres. Ceux qui s’y attardent et se questionnent. Ceux qui s’y perdent ou s’y retrouvent.


« Un photographe vous savez… C’est comme un peintre : il travaille avec son objectif comme un pinceau. »
Michel Gantner

Le photographe appartient à cette poignée d’individus, encore dominante. Les parents de Michel Gantner étaient artistes-peintres, ce qui explique sa relation singulière à la photographie : « Un photographe, vous savez… C’est comme un peintre : il travaille avec son objectif comme un pinceau. » confie l’artiste avec poésie. Son ivresse pour la peinture s’inscrit dans ses œuvres : Michel Gantner photographie le musée et les peintures comme personne.
Museal, c’est d’abord une rencontre, celle des œuvres du passé et des spectateurs contemporains dans une alchimie poétique ; c’est ensuite une communion, celle où les visiteurs s’intègrent et se mêlent aux œuvres. Ils ne sont plus des visiteurs, dans l’objectif du photographe : ils sont le tableau.

Au premier contact de “Museal”, on est presque désarçonné. Les photographies confondent spectateurs et peintures. Difficile de séparer en un coup d’œil, la femme au voile fushia de la peinture. Il en est presque impossible puisque Michel Gantner joue de cette confusion. Il faut alors prendre son temps, plusieurs secondes par photo pour bien comprendre sa composition, pour la découper et l’élucider. Michel Gantner nous invite alors, tout comme les spectateurs qu’il photographie, à nous questionner sur ses œuvres.


« Je voulais me perdre, ne plus savoir si j’étais dans la photo ou la toile. »
Michel Gantner


Illusionniste de son temps, le photographe ré-interprète les immenses toiles exposées dans les musées : « Je me suis approché de la toile, approché et encore approché et puis voilà ce que j’ai découvert. » nous livre le photographe, presque surpris de sa propre découverte.
Michel Gantner recadre les tableaux. Il s’approche le plus possible des toiles des peintures exposées sur les murs. Leur cadre n’est plus celui des bordures des tableaux, mais bien celles que le photographe choisit. Regarder “Museal”, c’est aussi faire partie des photographies.

La lumière comme fil directeur
“Museal” a été réalisée en six mois : de février à juillet 2019. Mais, depuis six ans, Michel Gantner réfléchit à cette série : « Elle est venue parce que je portais un intérêt aux musées. Donc en traversant les musées. Mais c’est quelque chose qui est dans ma tête depuis longtemps. » nous confie-t-il avant d’ajouter qu’il avait auparavant, une autre vision de “Museal” : « J’avais une approche complètement différente avant, une approche très distante de la toile et du visiteur comme le photographe Thomas Schrutt par exemple. »

« Une photo, c’est 85% de lumière. »
Michel Gantner

Mais très vite, Michel Gantner recadre sa série. Il imagine placer les visiteurs dans les toiles. Et, pour que l’osmose se réalise, le photographe utilise la lumière comme un coup de pinceau. Il choisit les musées, pour réaliser sa série en fonction de la lumière : « Je voulais retrouver la lumière des toiles sans en faire non plus un pastiche. » explique l’auteur de la série.

« J’y allais de l’ouverture à la fermeture. Si il n’y avait personne, je partais, je revenais »
Michel Gantner

Michel Gantner recherche des salles qui laissent pénétrer la lumière naturelle. Le photographe choisit alors plusieurs musées de choix : le Louvre, puisque toutes les salles sont éclairées naturellement, le Musée d’Orsay, la Nationale Galerie de Londres et les Beaux-Arts de Besançon entre autres. Le photographe de 62 ans est donc dépendant de la lumière pour réaliser sa série : « Je restais dans les musées en fonction de la lumière. Je ne pouvais pas travailler si le ciel était voilé donc ça limitait déjà les jours » nous confie le photographe professionnel.
Le plus souvent, Michel Gantner reste de longs moments dans les musées : « J’y allais de l’ouverture à la fermeture. S’il n’y avait personne, je partais, je revenais. » On imagine le photographe attendre de longs moments, appareil en main, dans l’attente d’une possible photographie : « Les compositions me venaient en regardant les toiles et en observant les gens qui passaient devant. » nous explique-t-il.

On imagine aussi Michel Grantner se déplacer, discrètement pour composer sa photographie, pour choisir l’angle parfait, celui qui fait mouche, celui qui nous plonge dans la confusion. Le photographe nous confie ne pas avoir parlé aux visiteurs avant de prendre une photographie. Ainsi, les regards, les gestes, les échanges entre les touristes sont spontanés.

Afin de garder cette part d’authenticité, le photographe travaille avec un petit appareil compact : « Avec les compacts, on ne regarde pas dans un objectif, on est en visée sur écran. Donc, si vous visez bien, vous pouvez tenir l’appareil à distance de vous et regarder la personne. Celle-ci vous regardera, mais ne verra pas l’appareil qui la photographie. Si vous maitrisez bien votre appareil, avec le geste que vous faites, il visera exactement ce que vous voulez viser, sans forcément avoir besoin de regarder attentivement dans l’appareil. » livre secrètement Michel Gantner.
Pour parfaire ses photos, l’artiste a passé un peu de temps en post-production. “Museal” est alors le résultat d’un doux alliage à la croisée des arts : un savant mélange entre photographies, peinture et technologie.
On vous laisse regarder d’autres photos de “Museal” :











Vous pouvez consulter les autres travaux de Michel Gantner sur son site officiel. On vous a sélectionné dans cet article, les plus belles collections des musées à consulter, en ligne.
1 commentaire
David FOULQUIER
Troublant procédé, faisant preuve d’une grande maîtrise de la lumière et de la profondeur. Mais faisant également montre d’une riche intention !
Je me suis empressé de partager. Que durent les #artsvivants, graphiques et autres !!