Adila Bendimerad et Damien Ounouri signent La Dernière Reine, fiction historique entre mythe tragique et légende féministe.

On avait rarement vu un Alger aussi ancien sur les grands écrans. Si le cinéma francophone compte nombre de films sur la décennie noire, la décolonisation ou encore la guerre d’Algérie, peu remontent plus loin dans l’histoire. Le duo Adila Bendimerad et Damien Ounouri donnent vie à un mythe fondateur, dans un long métrage qui a tout d’un grand film historique.
Un tableau de maître en salle obscure
Le port d’Alger a probablement fait chanter plus de sirènes que celui d’Alexandrie. Point d’ancrage du commerce Méditerranéen pendant le règne économique de l’empire Ottoman, la cité nord africaine n’avait rien à envier à la Venise de la Renaissance. Fidèle à l’esprit d’une époque qui faisait renaître les mythes, La Dernière Reine réécrit le drame d’une figure de légende : Zaphira, reine d’Alger.
La Renaissance comme période historique, mais aussi comme effervescence artistique, influence ce film. La photographie prend le temps de jouer sur les lumières, sur des clairs-obscurs et des tons froids qui rappellent les maîtres flamands. Avec minutie, Shadi Chaaban, le directeur de la photographie, crée des ambiances qui reflètent le faste d’un âge d’or économique, des grands palais, sans tomber dans le cliché du film sur l’Orient.
Ici, pas de filtres jaunes clichés d’un orientalisme maladroit, pas de scènes sans cesse plongées dans un soleil brûlant. La Dernière Reine est une tragédie, froide, comme la main d’un destin inaltérable. La pluie joue son propre rôle tragique, les éléments servent autant à la métaphore d’une fin annoncée que celle d’un drame qui ne saurait être évité.
Une reine de rêve
Reprenant les codes des grandes œuvres, La Dernière Reine écrit le récit de Zaphira, reine mystique d’un Alger entre grande république, proche des codes de la Grèce antique, et roman de piraterie. Outre la reine mythique, Barberousse, corsaire de légende à la main de fer, littéralement, s’y déploie en stratège conquérant.
Des grandes scènes de combats épiques, aux tableaux de la vie intime des femmes qui faisaient la politique, dans l’ombre, le texte d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri construit ses personnages tels qu’ils sont, et tels qu’ils sont perçus. Le scénario jongle entre l’apparence publique, la place dans les débats politiques, les réflexions personnelles et les excès de folie de ses personnages, qui sont autant figures publiques qu’êtres intimes.
Car La Dernière Reine n’est pas le récit de la grande Alger, port de commerce fastueux. C’est l’histoire d’amour mêlée d’ambition des amants, de la reine veuve Zaphira et de Barberousse, Aroudj pour les intimes. Et si l’existence du pirate est reconnue par les historiens, celle de sa reine l’est beaucoup moins.
Figure à l’existence controversée, Zaphira est un sujet idéal pour ce genre de films. Les scénaristes n’hésitent pas à passer du rêve à la réalité, à les confondre même, pour donner corps aux fantasmes et aux présages funestes. On serait presque dans un Shakespeare, dans lesquels les personnages se débattent avec leur fin annoncée, qui transpire dans chaque moment du récit, tombant peu à peu dans la folie.
Du grand cinéma
Un exercice que réussi avec brio Adila Bendimerad, dans le rôle titre. Dali Benssalah, passé par Athéna et à l’affiche du dernier Jeanne Herry, en corsaire pas si sanguinaire, est une révélation. Ensemble, ils portent un casting qui ne dénote pas. Nadia Tereszkiewicz et Imen Noel brillent en conseillères amoureuses. L’une en étrangère résignée et l’autre en politicienne aguerrie, elles suivent le pas avec talent.
Dans ce récit de conquête et de croissance politique d’un Empire en pleine lutte avec l’Espagne, les femmes ont le rôle central. Les reines se positionnent comme force de soulèvement politiques. Chegga, première femme du roi, autre épouse qui partage son mari avec Zaphira, aurait pu être aigrie, envieuse. Elle est alliée, maîtresse de sa propre armée, mais jamais revancharde. Quand Barberousse arrive, il est accompagné, amoureux. Alliée et acolyte, son amante le verra de se battre pour l’affection de Zaphira, sans pour autant disparaître dans une jalousie attendue.
Ces femmes forment un système qui leur est propre. Elles savent que leurs intérêts se rejoignent. Il y a une sorte de sororité qui se dégage du film. La dynamique reste bienveillante, même quand le destin les déchire, les arrache les unes aux autres. Zaphira, devenue régente par un coup du sort et de sang, est reine en son propre nom. Elle refuse les cadres qui seraient attendus d’une femme de son époque, aussi puissante soit-elle. Adila Bendimerad fait vibrer cette force, qui flirte avec la folie, jusqu’à la dernière minute du film.
Travaillé pendant des années, chaque détail du scénario est réfléchi. Les personnages se succèdent sans tomber dans le cliché, les paysages époustouflants donnent à certaines scènes des airs de fantasy. S’y déploie alors tout un univers de codes oniriques et d’allégories pour construire un imaginaire autour d’une Algérie grandiose qui mérite d’être vu sur grand écran.