Si je vous parle d’un poteau le long d’une route la nuit, et que vous voyez exactement de quel poteau je parle, alors vous faites partie de ces gens de goût qui ont vu Hérédité de Ari Aster. Si cela ne vous dit rien, eh bien je suis au regret de vous annoncer que votre vie manque de saveurs. Bonne nouvelle cependant, cela signifie également qu’une bonne soirée film vous attend et qu’ensuite, peut-être, votre vie retrouvera les couleurs qui lui manquaient. Il est possible que vous en sortiez légèrement traumatisé, c’est un risque à prendre, m’enfin on ne peut pas tout avoir dans la vie !
Beau is afraid, actuellement en salles, nous a donné l’envie de présenter le bonhomme à l’origine de ce trip cinématographique. Installez vous confortablement, et plongez dans un univers où l’horreur côtoie le grotesque.
Ari Aster naît à New-York, durant l’été 1986, quelque temps avant la sortie de Massacre à la tronçonneuse 2, un film d’horreur aussi mauvais que le premier est génial. Faut-il voir un signe dans le fait que le pape de l’épouvante moderne voit le jour dans les cendres d’un monolithe de l’horreur ? Probablement pas. Cette anecdote n’est rien de plus que du remplissage, pour combler le vide abyssal de cet article car son auteur manque cruellement d’inspiration. C’est une petite astuce pour divertir le lecteur, alors souriez you motherfuckers. Pardon je m’égare. Où en étions-nous ? Ah oui, New-York. 1986. Daniel Balavoine nous quitte. Coluche nous quitte. Le réacteur de Tchernobyl explose. Schwarzy se marie. Décidément, un joyeux bordel.
Le jeune Ari se passionne pour le cinéma de genre et passe ses journées dans le vidéoclub du coin. C’est tout naturellement qu’il se dirige ensuite vers des études à l’American Film Institut. Jusqu’ici rien d’anormal, rien de plus que le parcours de tout bon apprenti cinéaste. Aussi intéressant qu’une notice de médicament, que vous finirez par regretter de ne pas avoir lu le jour où une pustule verte vous poussera sur la couille. Quel rapport avec Ari Aster me direz vous ? Je vous répondrais que ce cinéaste respecté de la critique, aux œuvres complexes et exigeantes, partage avant tout une touchante passion pour l’organe génital externe de l’homme, plus communément appelé : la bite.
Son premier fait d’armes pénistique sera la fausse publicité autour des pets de pénis, TDF Really Works. Une courte vidéo absurde qui explique le fonctionnement de l’objet mis en avant. Mon honnêteté intellectuelle me pousse à vous prévenir : dans ce film, point de finesse, très peu d’élégance, zéro réflexion. Ce n’est pas mauvais mais c’est (très) loin d’être bon. Le film a le mérite de poser les bases de ce que sera son cinéma par la suite. Un goût prononcé pour la comédie qu’il ne peut s’empêcher de pervertir à l’aide de l’image “de trop”, celle qui fait basculer l’humour dans l’horreur. C’est marrant, les deux mots commencent et finissent par les mêmes lettres. Faut-il y voir un signe ? Non.
Aster ne s’arrête pas là et sort, quelques mois plus tard, son premier succès : le court-métrage The Strange Thing About The Johnsons (disponible ici), rapidement devenu viral sur internet. Le film débute par une séquence en apparence banale, un père surprend son fils en train de se masturber, puis sombre dans la perversion quand on découvre sur quoi le fils se triturait le radis : une photo de son père. Ce sera le point de départ d’une histoire profondément malsaine, où la famille en apparence classique dissimule un lourd secret et des racines pourries. Un thème qu’il continuera à explorer au cours de sa carrière, notamment dans Hérédité. Mais si rappelez vous, le film avec le poteau.
On trouve dans ce court tous les éléments caractéristiques de son cinéma, des plans séquences virtuoses, des top shots au grand angle, des dialogues précis, un sens accru du montage et de la narration visuelle. Le véritable tour de force est de réussir à aborder des thèmes aussi complexes sans tomber dans le voyeurisme malsain. Ari Aster est un sale gosse qui prend un malin plaisir à provoquer (il s’agit de son film de fin d’études…) mais toujours avec une élégance cinématographique.
C’est en 2014 qu’aura lieu l’apothéose génitale avec le court-métrage The Turtle’s Head (ici), une espèce hybride entre le film noir et l’horreur grotesque. Un détective privé vit sa vie d’enquêteur, sur fond de musique jazzy et se laisse aller à des pensées qui portent toutes sur le sexe. Notre détective est un coquin moustachu, jamais rassasié, un apollon au ventre à bière et aux joues rondes, qui passe de femmes en femmes, de sa secrétaire à n’importe quelle cliente. Toutes flanchent face à son charme ténébreux de mangeur de saucisses. Jusqu’à ce que tout bascule quand il constate que son pénis rétrécit. Sous couvert d’une histoire en apparence idiote, Aster parvient une nouvelle fois à faire l’étalage de sa maîtrise filmique. Chaque plan est intelligemment construit, la mise en scène est riche, fluide.
Ari Aster est la preuve que la forme est parfois plus importante que le fond. Ce débat sans fin, qui anime tous les étudiants en cinéma, semble trouver enfin une réponse définitive : un cinéaste est au service de la forme. Mais ne néglige jamais le fond. Notez-le dans vos cahiers les enfants, ma parole a valeur d’évangile. Vous pensez que je raconte n’importe quoi et témoigne, une nouvelle fois, d’un égo surdimensionné et toxique ? Vous avez raison.
La cerise sur le gâteau se trouve dans Beau is afraid, l’histoire de cet homme anxieux, interprété par un Joaquin Phoenix au sommet de son art, qui veut aller chez sa mère et doit supporter le poids de deux testicules gros comme des melons. Encore une fois, le sexe et plus précisément le pénis, la quéquette, bref le salami, sont parmi les éléments principaux de l’histoire. Jusqu’à pousser le vice lors d’une vision d’horreur qui ravira tous ceux qui ne sont pas encore allés voir le film. Même dans d’autres projets à priori éloignés de l’organe flasque concerné, le réalisateur trouve le moyen d’y glisser un pénis par-ci, par-là. C’est le cas du court-métrage Basically (ici), sorti en 2013 et véritable leçon de mise en scène. Une jeune comédienne, née dans le luxe et l’oisiveté, nous raconte sa vie le temps d’un monologue de 15 minutes. Aster use de plans fixes très larges, admirablement construits, et dresse le détestable portrait d’une femme étonnamment attachante. Bien que le maître-mot soit l’épure, chaque séquence est riche d’idées. Le vide est omniprésent dans cet étalage de richesse, accentuant la vacuité du personnage, et sa terrible solitude.
Comme un pendant sombre à Basically, Aster réalise en 2016 le film C’est la vie. Le personnage principal, un toxicomane à la rue, déballe un discours à charge sur la société, dégomme le consumérisme et l’american way of life, dénonce notre abrutissement numérique et la violence intrinsèque de notre monde… Tout en étant lui-même profondément immoral. La patte comique d’Aster est omniprésente, aussi noire et irrévérencieuse qu’à son habitude.
Ce qui permet une chouette transition pour aborder le court-métrage Munchausen (ici). Eh ouais c’est un article pensé, il y a un poil de réflexion derrière, je ne me contente pas uniquement de lister des films et le nombre de pénis qui y apparaissent. Enfin si mais c’est pas pour moi, c’est pour un pote. Ça va l’interrogatoire ? On peut retourner à notre sujet du jour ? Merci.
Munchausen donc. En 2013, Ari Aster s’attaque à la réalisation d’un conte muet directement inspiré des productions Pixar. Vous vous rappelez sûrement de l’introduction du film Là-haut ? Ici c’est la même chose mais un poil plus sordide. L’intérêt du projet ne repose pas sur son histoire, franchement banale et à peine surprenante, mais bien dans sa conception. Comme à chaque fois, les cadrages sont soignés, l’horreur progressive et l’humour omniprésent. On sent un cinéaste en pleine maîtrise !
Il est impressionnant de voir le chemin parcouru quand on regarde son premier court-métrage, Herman’s cure all-tonic sorti en 2008.
Un jeune pharmacien effrayant de politesse doit gérer une cliente particulièrement désagréable tout en s’occupant de son propre père, végétant dans l’arrière boutique, suant et pestant. Malgré un certain déséquilibre dans la construction, il n’empêche que la mise en scène se veut déjà inventive, en perpétuelle mutation. On sent un véritable génie aux manettes, un génie qui ne sait pas encore trop bien quoi faire de tout ce génie mais qui au fil des années va apprendre à canaliser ses idées, pour réussir 15 ans plus tard à organiser un grand bazar dans Beau is afraid. Faire n’importe quoi ça ne se fait pas n’importe comment. Ouh elle est belle celle-là ! C’est cadeau, si vous voulez briller en société je vous la laisse. Pardon, je m’emporte.
Aster se fait véritablement connaître du grand public en 2018 lors de la sortie de Hérédité distribué par la société A24, la nouvelle Mecque du cinéma inventif, exigeant et audacieux. Pour vous donner une idée, ces studios sont à l’origine de The Lobster, Moonlight, 90’s, Uncut Gems, Pearl/X, Everything Everywhere All At Once… Pour la promo du film, ils avaient mesuré le pouls des spectateurs durant les séances, sûrs de leur effet. Hérédité est tout bonnement l’expérience d’épouvante la plus intense de ces dernières années. Opérant une véritable mise en place de la terreur, le réalisateur construit un film lent, presque léthargique, traversé d’explosions de violence traumatisante.
Auréolé de son succès, le réalisateur s’attaque à un projet plus ambitieux autour d’une jeune femme qui part faire le deuil de ses parents dans une communauté suédoise, en plein festival néo-païen. L’horreur chez Aster n’est jamais terrée dans le noir ou dissimulée dans les fourrés. Elle se pare de fleurs du printemps, se lit dans les sourires éclatants, s’immisce dans nos foyers. Elle se révèle dans toute sa lumière, et on en vient presque à regretter les ténèbres. Dans Midsommar, le temps est dilaté à son paroxysme, les scènes s’étirent les unes après les autres jusqu’à un final éblouissant où sang, tripes et boyaux se mêlent aux chants de fête.
En 2023 donc, Beau is afraid, troisième film du réalisateur, et de loin son plus obscur, arrive sur nos écrans. Loin de faire l’unanimité, ce film vaut pour son expérience. Que vous aimiez ou non, le fait est que vous allez vivre quelque chose, parfois désagréable, souvent drôle, complètement dingue.
Voici ce que dit le réalisateur lui-même : “Ce film c’est comme si vous envoyiez un enfant de 10 ans bourré de Zoloft (un antidépresseur) faire les courses.”
Qui ne serait pas tenté ?
1 commentaire
Charles
J’ai pris plaisir à lire cet article bien fourni ! Merci