Avec Gagarine, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh signent un véritable poème visuel. Ils nous emportent dans une épopée lunaire et urbaine, oscillant sans cesse entre cosmos et cité, espace et banlieue, onirisme et réalité. Youri, seize ans -premier rôle d’Alséni Bathily, entre dans une résistance à toute épreuve afin de sauver Gagarine, cité dans laquelle il a grandi, prête à être démolie. À voir en salles depuis le 23 juin dernier.
Métaphores à foison
Si ce premier film décrypte la société, les réalisateur.ices parviennent tout de même à conserver la légèreté inhérente aux rêves d’enfants, collant à la peau de leurs personnages. C’est dans cette ambivalence entre brutalité et rêveries que résidera la plus grande force du film.
Le rêve d’enfant de Youri, personnage principal de seize ans, est de devenir astronaute. Cette cité de briques rouges deviendra vite « son vaisseau spatial », résume justement Léa Salamé dans une interview pour France Inter des deux réalisateur.ices. Youri est obsédé à réparer cet immeuble qu’il faut pourtant démolir, car trop de matériaux sont à éradiquer à l’époque, celle des années 60. Cette période symbolise d’ailleurs l’utopie de vivre ensemble, utopie à réinventer aujourd’hui. Ce vaisseau est, aussi, le symbole du « ventre de sa mère qu’il ne veut pas quitter », la présence maternelle lui manquant au quotidien, sa mère l’ayant abandonné.
Durant les phases d’écriture et de tournage, le défi pour les cinéastes semble d’avoir dû trouver un équilibre entre réalisme et onirisme, afin de décaler le regard. Selon le réalisateur Jérémy Trouihl, les récits sur un territoire comme la banlieue sont souvent maniés de manière trop violente, sans issue. Il y a plutôt vu « une jeunesse pleine de rêves immenses et divers » et y a puisé l’envie de leur rendre hommage.
Ainsi, Youri incarne « une jeunesse qui regarde vers le ciel, bien que très ancrée dans le réel ». Le récit raconte aussi une rencontre, celle de Diana, une jeune fille rom vivant dans un bidonville, parlant à la fois français et romani. Selon la charismatique Lyna Khoudri, « il y a toujours quelque chose de nous, une part de nous dans nos rôles. On partage un corps ».
Dans une Interview de Sens Critique, les deux cinéastes expliquent s’être inspirés de Melancholia de Lars Von Trier. À la seule différence que l’utilisation de la planète qui se rapproche de la Terre, ici, n’est pas un mauvais présage, mais bien le symbole d’un élan d’espoir -en lien avec le plus grand rêve de Youri.
Deux adeptes du « réalisme magique »
Tous deux partis à l’âge de dix-neuf ans en année d’échange en Amérique du Sud, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh y ont découvert le « réalisme magique ». Pas seulement présent en littérature, mais aussi dans l’air, Jérémy Trouhil le définit comme étant « la manière qu’ont les gens de regarder un réel parfois difficile en faisant un pas de côté », Véritable source d’inspiration, c’est là-bas qu’est né leur désir commun de raconter des histoires de cette manière-là.
Le duo a commencé à venir faire des portraits documentaires de certains habitants de la cité, il y a six ans, quand les 370 logements étaient encore pleins. « Nous, on y a vu un vaisseau », confient-i.elles à Léa Salamé.
Le film a été tourné en 2019, lorsque la cité était déjà vide. En restant aux côtés des habitants pendant plusieurs années, ils ont aidé ces derniers à « accepter le départ pas à pas » selon une femme qui a tout construit dans cette cité depuis ses dix-huit ans. Une des forces du films réside sûrement dans ce mélange de casting entre acteurs et vrais habitants de la cité : ils sont une centaine à être venus jouer le jeu devant la caméra, tous remerciés un à un au générique.
Le travail sonore y est remarquable, notamment dans cette scène marquante où trois des personnages, tous différents, dansent ensemble sur Aux armes et cetera, une version Gainsbourienne de la Marseillaise.
« Cette scène dépeint la France d’aujourd’hui. Trois jeunes qui parlent plusieurs langues trouvent les moyens dans leur rêve de résister à leur abandon, en dansant comme des clochards célestes ».
Fanny Liatard
Ce long métrage a des airs d’Asphalte de Samuel Benchetrit de 2015, aussi bien dans sa poésie sonore que dans l’onirisme des lieux auxquels on s’attache -presque personnifiés. Un premier film très prometteur mêlant vérités sociétales et évasion, entre science-fiction et faits réels. À ne surtout pas manquer !