Le cinéma danois est actuellement gouverné par trois réalisateurs ; le pop Nicolas Winding Refn (Drive, trilogie Pusher…), le Tarkovskien Lar von Trier (Breaking the Waves, The house that Jack built…) et Thomas Vinterberg, l’homme du jour. Ce dernier a fait une entrée fracassante sur grand écran avec le film Festen (1998) dans lequel il filmait l’effondrement d’une famille suite à une répugnante révélation. Suivirent plusieurs longs-métrages jusqu’à ce qu’en 2012 il secoue de nouveau la Croisette avec La Chasse, redoutable descente aux enfers d’un éducateur de maternelle qui se retrouve accusé de pédophilie.
Drunk est donc l’occasion pour Vinterberg de renouer avec un sujet complexe ; la consommation d’alcool. Quatre amis, professeurs dans un lycée, chacun à la dérive sans trop savoir pourquoi, décident de mettre à l’épreuve la théorie d’un psychologue norvégien expliquant que l’homme est né avec un déficit d’alcool de 0.5g par litre de sang. L’objectif est donc d’entretenir une consommation régulière puis d’en observer les effets.
« La jeunesse ? Un rêve. L’amour ? Ce rêve. »
Søren Kierkegaard
N’ayons pas peur des mots, Drunk est un grand film. Un film sur la détresse d’une société en quête permanente d’échappatoires, un film sur l’amitié, thème ô combien traité au cinéma qui ici profite d’une fraîcheur euphorisante. Mais avant toute chose, Drunk est une déclaration, fragile et sincère, au lâcher prise.

Ceci n’est pas sans rappeler Les Idiots (1998) de l’enfant terrible du Danemark, copain de Vinterberg et fondateur avec ce dernier du Dogme95 ; à savoir Lars von Trier. À l’instar de ces jeunes qui en opposition à la société cherchent leur « idiot intérieur », nos quatre amis, sous l’emprise de l’alcool, s’abandonnent totalement, se libèrent de toutes pensées pour atteindre à l’essentiel, au désir de vivre ; l’instant. La comparaison s’arrête ici, que ce soit dans la forme comme dans le fond. Les préceptes du Dogme (pas d’accessoires ni de décors ajoutés, pas de musique, pas de lumière…) sont loin derrière Vinterberg. Plastiquement, Drunk est un film élégant dont l’éclairage ne déborde jamais sur l’histoire tout en restant très esthétisé. Le traitement, caméra à l’épaule, au plus près des personnages, accentue cette sensation d’euphorie, de déséquilibre… L’alcool coule à flot et l’image n’est jamais parfaitement stable, ni totalement tremblante. C’est toujours au bord du vide que nous regardons ces professeurs se noyer dans leur étude de l’alcoolisation.
« Dans ce pays tout le monde boit. »
L’autre grande force de ce film tient en un homme : Mads Mikkelsen. L’acteur que l’on ne présente plus (trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn, La Chasse de Thomas Vinterberg, la série Hannibal de Bryan Fuller, Casino Royale de Martin Campbell, Michael Kohlhaas de Arnaud des Pallieres…) campe un professeur d’histoire épuisé d’ennui, absent de sa vie de famille, errant sans but. La détresse transpire du regard du danois, ce que le réalisateur exploite à merveille en filmant l’humidité de ses yeux.
En ces temps difficiles, Drunk nous enveloppe de ses vapeurs d’alcool, grise un monde extérieur bien trop sombre. On prendrait bien un p’tit coup de « reviens-y »… Oui, pourquoi pas ?