« Aujourd’hui nul besoin d’aller à l’université, de se balader avec son portfolio, de faire de la lèche aux galeries et leurs nuées de prétentieux, pas besoin non plus de coucher avec quelqu’un d’influent. Tout ce qu’il vous faut c’est quelques idées et une connexion haut débit.
Pour la première fois le monde bourgeois de l’art appartient au peuple. Il s’agit d’en faire quelque chose. » – Banksy.
L’art contemporain s’est invité au Château de Versailles. Aujourd’hui, c’est le « street-art » qui s’installe dans un château. Un lieu qui, a priori, se trouve aux antipodes de l’art qu’il héberge. L’exceptionnelle demeure s’est donnée à travers les murs et parquets, aux artistes. On peut alors s’interroger « si l’on peut encore parler de street-art dans sa dimension urbaine quand celui-ci s’expose dans une institution ? ».
Je me suis envolée direction Bordeaux afin de trouver des réponses aux questions que j’avais en tête.
Quand Shepard Farey dit ;
« Je crois beaucoup à cette formule de Marshall McLuhan : « Le Médium, c’est le message. » Je pense que son inscription dans la rue donne au street art une signification supplémentaire. Elle signifie que l’artiste a accepté le risque d’être arrêté et blessé, de donner son art gratuitement au public et s’affronter pour gagner l’attention à la concurrence de la publicité, de la signalétique et d’autres formes de street art. »
On se demande effectivement, si l’art brut, éphémère et contestataire qu’est le street art, ne pourrait pas être dénaturé en étant enfermé , conservé et distingué. Et que si « il n’y à jamais eu de directive esthétique, de censure, d’école de style ou de preuves à fournir pour participer » (selon Speedy Graphito), qui sont-ils alors ? Qui sont les talentueux et les miséreux ? Quelle crédibilité doit-on accorder au street art au delà de son esthétique propre ? Quelle reconnaissance peut-on lui donner vis-à-vis de l’art contemporain ?
Le débat était animé par Adeline Jeudy (Galerie L.J.), en présence de Nicolas Lauregro Lasserre (Commissaire), Stéphane Lapierre (Galerie du jour Agnès b.), Alban Morlot (Spacejunk), et une partie des artistes.
L’exposition était remarquable par la flopée d’artiste « street art » qu’elle a su réunir, allant des pionniers du graffiti, tels que Futura 2000, JonOne, Jef Aerosol; aux têtes d’affiches, tels que Banksy, Obey, Invader, Shepard Farey, Rero et en passant par les nouveaux prodiges, tels que Swoon, Erica Il Cane et des artistes qui émergent comme le Monkey Bird Crew et Rouge.
L’exposition Expressions Urbaines apporte une nouvelle ouverture d’opinion sur le chemin du « street art ». Cet art s’est imposé dans la rue à défaut de pouvoir s’imposer à l’intérieur mais aujourd’hui, il est très sollicité. Cela a commencé dans un contexte de froideur économique, c’est en effet un art gratuit pour le spectateur, ce qui a entraîné un désintéressement des muséal. Il a aussi entraîné une expansion coloniale publicitaire, où affiches et télévision renvoient une déjection d’images qui deviennent notre fondement même de la réalité. L’art a du en faire autant pour arriver devant nos regards vides de préoccupations. Au final, cela a eu un impact bien au delà de la première volonté de se faire connaître, puisque le street art s’expose désormais « à l’intérieur » et perce dans le monde artistique.
Une reconnaissance en soit. Mais encore faut-il que les professionnels arrivent à cerner la bête. Si accrocher un tableau de maître peut être aisé pour eux, lâcher du lest sur le contrôle de l’ensemble de son lieu d’exposition (murs, sols, vitres) et présenter l’artiste au grand jour, en est une autre.
Le passage de la rue vers la galerie donne une reconnaissance à un travail de création, il assure également aussi une protection à l’artiste. Au delà du « pouvoir manger », le passage en galerie aide à la conservation des travaux ayant pour seule dégradation l’érosion naturelle. C’est aussi une manière d’être défendu par les autorités en cas d’acte de « vandalisme ».
Rero disait « J’abandonne sur mon parcours des messages d’erreurs qui dialoguent et interrogent les surfaces d’abord, les visiteurs ensuite. » et Banksy précise que « c’est l’expression artistique la plus honnête qui soit. Il n’est pas élitiste, ni branché, il se donne à voir sur les beaux murs qu’une ville ait à offrir, et le prix d’entrée ne rebute personne. »
Le débat autour de cette exposition, soulève aussi le problème fondamental que l’artiste puisse être bridé dans sa création et dans ses revendications à l’instant même où il est reconnu en tant que tel. Pour leur rendre totalement hommage, ne serait-ce peut-être pas à nous, spectateur, d’oublier notre obstination à vouloir tout nommer et catégoriser, afin de les comprendre et donc de leur accorder une certaine crédibilité ?
Bien que je comprenne les enjeux et que je recommande fortement de vous y rendre, je suis un peu déçue par l’ironie qu’une exposition qui tente de répondre à la problématique d’exposer du street-art, que l’entrée soit payante (pas très chère non plus) et que l’exposition ne soit visible que du jeudi au dimanche, de 14h à 19h alors que le street-art est fondamentalement gratuit et accessible à tout moment. On croise les doigts pour la mise en place de portes ouvertes et de visites nocturnes gratuites d’ici le mois de Février.
Expression Urbaines, une exposition à découvrir dès aujourd’hui jusqu’au 1er Février 2015, à l’Institut Culturel Bernard Magrez.