Nadège Dauvergne est une street artiste basée en France dont les œuvres colorées et poétiques ornent les rues comme les murs des musées. Ses créations sont aussi riches esthétiquement que conceptuellement parlant, et elle participe à renouveler l’art contemporain en puisant dans des époques passées.
L’artiste et son style
Née au Burkina Faso en 1973, Nadège Dauvergne grandit en banlieue parisienne et vit aujourd’hui en Picardie, depuis 1998. Elle fait ses études d’art graphique à Paris puis rejoint les Beaux-Arts de Reims, où elle apprend à maîtriser des médiums divers : peinture à huile, acrylique, aquarelle, posca, bombe aérosol… avant de finalement se diriger vers une technique mixte, le plus souvent alliant acrylique et bombe aérosol.
Elle réalise ses œuvres à l’aide de coups de pinceaux de couleurs différentes qui ne se recouvrent pas entièrement mais se juxtaposent, ou se superposent en partie, afin de créer des effets chromatiques savamment réfléchis : on parle de mélange optique, par touche divisée. Cela renvoie à la perception de plusieurs couleurs fondues en une nouvelle dans l’œil des regardeur∙euses, sans qu’elle soit pourtant présente dans la création. Cette méthode qui requiert une maîtrise conséquente de la palette chromatique notamment aboutit donc à des œuvres vibrantes et chatoyantes qui permettent plusieurs niveaux de lecture.
Le mélange optique dans l’histoire de l’art
Cette technique est théorisée par le chimiste Chevreul dans De la loi du contraste simultané des couleurs (1839). Si de telles préoccupations étaient déjà présentes chez Léonard de Vinci (XVe siècle) ou même chez Delacroix (XIXe siècle, avec sa méthode du « flochetage »), cet ouvrage révolutionne véritablement le monde de l’art. S’ensuivent les travaux des impressionnistes, des néo-impressionnistes (autrement appelés pointillistes), mais cela ne s’arrête pas là : cette découverte est féconde pour tout l’art contemporain également, comme en témoigne Nadège Dauvergne. Cela persiste encore aujourd’hui.
Des artistes similaires et des influences diverses
La notion de mélange optique peut également nous faire penser à un autre artiste récent du XXe siècle, figure de proue du mouvement Pop Art (années 1960) : Roy Lichtenstein. En effet, tout comme pour le travail de Nadège Dauvergne, la perception des œuvres varie selon la distance adoptée par le∙la regardeur∙euse, qui distingue les couleurs au fur et à mesure qu’iel se rapproche. Cependant, Lichtenstein privilégie une technique par points sur fond blanc qui ne se touchent pas, tandis que Nadège Dauvergne préfère des traits de peinture de couleurs plus variées qui se recoupent.
Cela fait tendre ses œuvres vers un style non pas cartoon comme celui de Lichtenstein, mais plutôt inspiré des beaux-arts. Elle s’inscrit ouvertement dans cette tradition quand elle réalise Clytie (2022) par exemple, en puisant dans la mythologie grecque. L’inspiration antique est en effet typique des mouvements artistiques de la Renaissance ou du classicisme.
Prendre ce mythe pour objet est une façon de se situer à la fois dans cette filiation artistique tout en soulignant ses différences avec elle, au niveau stylistique (choix du mélange optique évoqué précédemment et des coups de pinceau bruts) comme conceptuel (choix de réaliser ses œuvres dans la rue). Clytie ainsi que Rêverie mais aussi d’autres oeuvres rappellent fortement l’esthétique des sculptures grecques antiques, avec leur teint de marbre et lisse. Cependant, par le mélange optique qu’elle utilise, Nadège Dauvergne interroge là aussi ces codes, puisque lorsqu’on s’approche ce teint qui nous paraissait parfait est en fait composé de multiples traits.
La réappropriation artistique et contemporaine d’influences passées peut également nous faire penser au travail de Voyder, un autre street artiste actuel qui reprend les codes baroques de la Renaissance en jouant de la superposition de couches et de styles.
Les œuvres de Nadège Dauvergne
Un attrait marqué pour la nature
Autre que les corps féminins, un des sujets de prédilection de Nadège Dauvergne est la peinture d’animaux : renards, écureuils, biches, faons, putois… Cet attrait pour la nature remonte à l’enfance de l’artiste, et l’inspire depuis le début de ses études, si bien qu’elle prendra également des cours de dessin scientifique. Par ses peintures d’animaux, c’est comme si Nadège Dauvergne réintroduisait de la vie sauvage dans notre quotidien, nous le faisant oublier un instant…
Le goût du contraste et du tissage
L’une des caractéristiques majeures de ses œuvres semble être leur délicatesse, autant au niveau de la technique employée que de leur sujet. En les créant au sein des villes ou dans des endroits abandonnés, Nadège Dauvergne bouleverse le paysage urbain. Ce choix vient de son intérêt pour la confrontation, entre précieux et trivial, classique et contemporain. Les détournements qu’elle effectue en se réappropriant des mouvements artistiques passés participent également de ce jeu des contrastes et des contraires : avec elle, le street art se réconcilie avec le classicisme.
La preuve la plus évidente de cette conciliation à laquelle elle parvient est sans doute le fait qu’elle orne les murs autant qu’elle expose dans les musées. Cette reconnaissance que lui témoignent ainsi les institutions artistiques participe à faire du street art un mouvement ambigu, entre subversion totale et récupération académique. Peut-être l’inspiration explicite de Nadège Dauvergne pour des œuvres classiques aide-t-elle à ce que les musées lui ouvrent leurs portes, contrairement à d’autres artistes qui seraient moins consensuels.
Tout comme sa technique artistique s’apparente à un tissage de couleurs, ses œuvres entremêlent différentes périodes et influences artistiques. La notion d’enchevêtrement, autant stylistique, qu’historique ou conceptuelle semble donc prégnante pour analyser son travail. Vous pouvez retrouver ses œuvres sur son site.