D’une curiosité sans limites, l’artiste Benjamin Tejero se distingue par sa capacité à tout dessiner, pour tout type de supports. Son style joue d’un effet « daté » qui contraste agréablement avec les sujets très actuels dont il traite, la plupart du temps pour la presse, et leur donne un cachet tout particulier.
Benjamin Tejero s’intéresse à des sujets variés dont témoigne son parcours artistique, et réalise des illustrations à propos de tout : sujets sombres ou légers, animaux ou humains, allégories ou représentations réalistes… Il propose également des illustrations plus charnelles qui rappellent celles de ses débuts, et où il explore notamment le thème de l’homosexualité masculine.
Qui est Benjamin Tejero ?
Né en 1990, cet artiste français a aujourd’hui 33 ans et vit actuellement à Charleville-Mézières, après avoir fait ses études d’art à Caen et à Rennes. Il s’ouvre durant celles-ci à diverses techniques artistiques, en pratiquant entre autres la céramique, pour laquelle il développe un vrai intérêt, et la photographie.
Il part ensuite vivre ponctuellement à Prague, à Barcelone mais aussi à Tel-Aviv, où il fait une résidence de trois mois. Ce goût pour le voyage témoigne de son ouverture d’esprit caractéristique, et d’une envie de découvrir d’autres cultures, d’autres manières de vivre, d’autres pratiques artistiques. Benjamin Tejero mentionne en effet des influences diverses au niveau des styles (mangas, estampes japonaises, peintures de la Renaissance…) et d’artistes passés comme plus contemporains.
Le style de Benjamin Tejero
Ses illustrations se parent toutes de ce grain spécifique qui n’est pas sans nous rappeler celui des photographies argentiques, et qui les rend reconnaissables entre mille. Par ce jeu de texture, l’artiste apporte de la profondeur et de l’authenticité à ses dessins qui sortent du lot, ainsi qu’une vraie cohérence stylistique à l’ensemble de ses créations.
Cette relative homogénéité visuelle est d’autant plus importante quand on sait que Benjamin Tejero travaille surtout par commandes, et que ses illustrations sont disséminées un peu partout sur internet, entre les différents journaux, maisons d’édition, marques de vêtements ou autres entreprises avec qui il collabore. En effet, Benjamin Tejero est aussi graphiste, et réalise des logos, des cartes de visite, des catalogues.
Tout cela témoigne d’une identité artistique forte mais également très adaptable et souple. L’artiste est appelé pour illustrer des choses très différentes, qui vont du fait divers à des livres sur la mythologie comme Les Argonautiques. Il travaille avec Vice, Libération, Le Monde pour la presse mais encore Les Belles Lettres, les éditions du Jasmin pour ce qui est de la littérature.
Jouer sur le daté pour parler d’actualité
L’une de ses illustrations qui rend le mieux compte du contraste entre les sujets actuels qu’il traite et l’effet « daté » de son style qu’il obtient par sa technique au point par point (comme il le dit lui-même dans notre interview) est peut-être celle où l’on voit des doigts s’apprêtant à presser la touche d’un clavier, du fait du caractère technologique et numérique d’autant plus mis en avant qu’il est figuratif.
Benjamin Tejero réalise cette image pour Libération et leur revue Bulb, montrant que le cadre de la commande ne l’empêche pas de proposer lui-même quelque chose d’intéressant artistiquement, tout en satisfaisant le journal.
Des inspirations fantastiques et SF ?
Ses œuvres sont figuratives, et passent parfois du réalisme au fantastique quand l’artiste décide d’y intégrer des éléments étranges, souvent démesurément grands. C’est régulièrement le cas avec ses dessins de mains gigantesques, qu’il utilise de façon allégorique pour représenter l’emprise réelle d’entités plus ou moins impersonnelles et intangibles dans la vraie vie.
Certaines de ses illustrations dévoilent également un côté science-fiction auquel son style se prête à la perfection.
Des illustrations sensuelles
Érotiser les hommes
L’un des thèmes récurrents de l’œuvre de Benjamin Tejero est également les corps, et plus particulièrement les corps et les sexes masculins. Évoquant ceux-ci avec humour comme pour Bonne Prise ou avec davantage de sensualité pour l’image qu’il crée pour le livre Mycelium, l’artiste joue de la suggestion de la forme phallique.
Cela participe à érotiser les corps masculins, souvent trop peu mis à nu comparés à leurs homologues féminins – cette hypersexualisation des femmes et sous-érotisation des hommes desservant tout le monde, comme le démontre Maïa Mazaurette dans « Erotiser les hommes » pour le podcast « Les couilles sur la table ». L’exhibition de la nudité féminine a néanmoins ses limites puisqu’on voit aujourd’hui de nombreuses entreprises de visibilisation de la vulve et du clitoris, artistiques comme scientifiques, pour contrebalancer les représentations beaucoup plus nombreuses du pénis.
Cependant, celles-ci sont rarement artistiques, et le pénis tel qu’il est dessiné partout aujourd’hui correspond davantage à un symbole de pouvoir qu’à un attribut sexuel – on qualifie par exemple de « phallocratie » un régime de domination masculine, faisant du phallus l’emblème de l’autorité masculine par synecdoque. Les illustrations de Benjamin Tejero revêtent un caractère réellement novateur et enrichissant, car elles envisagent le pénis sous un angle à la fois sensuel et artistique, où sexe masculin ne veut pas dire domination mais esthétisme et plaisir, parfois partagé.
En effet, ses illustrations de nus mettent souvent en scène plusieurs hommes ; à l’érotisation de ceux-ci s’ajoute donc l’affirmation d’une homosexualité sensuelle et esthétique. Leurs positions rompent avec l’idée de l’homme toujours dominant, souvent debout ou en action lorsqu’il est représenté dans un cadre sexuel : Benjamin Tejero montre ici des hommes allongés, sur le dos ou sur le ventre, ce qui participe de nouveau de leur érotisation.
La relation hommes – nature
Le caractère plus ou moins suggestif de la figuration de sexes masculins par Benjamin Tejero va de pair avec une symbiose entre l’homme et la nature. Des champignons prennent des formes phalliques, on voit un homme se toucher dans l’herbe… Benjamin Tejero interroge par là le lien unissant l’homme à la nature, tandis que l’art contemporain explore d’ordinaire davantage la relation entre celle-ci et la femme (comme chez Samantha Joy Groff). Cela révèle un autre aspect novateur de son travail.
Des œuvres personnelles
Benjamin Tejero a pu explorer d’autres champs artistiques durant ses années d’études, comme on peut le voir sur son site, dont celui de la photographie. Son travail avec Pierre, un homme devenu SDF dont il recueille les témoignages dans un livre à son nom, est de ce point de vue poignant et encore une fois novateur. Une fois de plus, l’artiste cherche à revisibiliser les personnes que la société marginalise et ignore, et se montre capable d’allier esthétisme et réflexion conceptuelle.