Drôle, poétique et décalée, Zoé Manel, ou Baleine Jaune sur Instagram (son animal et sa couleur préférés quand elle a commencé à partager son travail en 2017), aurait aimé avoir une back-story originale à raconter : “J’aimerais mentir et dire que j’ai eu un passé sombre qui m’a poussé à me réfugier dans les crayons mais en fait je dessinais un peu comme tous les enfants, dans les marges des cahiers”. Mais ce n’est que plus tard qu’elle s’est vraiment lancé à cœur perdu dans l’illustration et la bande dessinée.
Au fil des années, s’éloignant des “gribouillis” dans ses cahiers d’SVT ou de philo, elle développe une démarche artistique très personnelle et très inspirée par son quotidien et ses proches (qu’elle n’hésite pas à caricaturer en accentuant leurs caractéristiques physiques comme leurs nez ou leurs pieds).
Elle raconte avec justesse et sincérité les moments drôles et tristes de sa vie, et a ce talent de pouvoir nous faire passer du rire aux larmes (surtout rire) tout en gardant beaucoup d’humour même dans ses BD les plus émouvantes; -qu’elle dessinent dans des carnets avec des crayons de couleurs, de la peinture, et son précieux pilot G-Tec-C4. Elle n’utilise pas de tablette graphique, “trop déstabilisant, et j’aime le papier”.
“Parfois, je me dis que mon travail est trop égocentré et je culpabilise, mais c’est tellement plus simple de parler de soi. En tant que lectrice et spectatrice j’aime lire et voir la vie des autres, alors je me rassure en me disant qu’eux aussi parlent d’eux mêmes”.
Le quotidien comme source d’inspiration
Quand on lui parle de sa vie, la jeune artiste de 21 ans fait référence à “Si maman si” de France Gall, “Je pleure comme je ris”. Elle râle avec humour de ses mésaventures quotidiennes, tout comme elle extériorise ses plus grandes tristesses. Les planches sur le décès de sa mère nous ont énormément touchées, tout en nous faisant esquisser un sourire de par leur très belle légèreté.
Zoé Manel ne s’attache que très peu au réalisme dans ses dessins, construisant son petit monde où elle pratique l’autodérision et nous invite dans sa vie ponctuée de choix (capillaire, relationnels ou budgétaires…) qu’elle considère tantôt amusants, tantôt plutôt regrettables.
“La sincérité dans le dessin c’est chouette mais je m’auto-censure parfois,
puisque certains lecteurs me connaissent. Je n’ose pas toujours parler de sexe et de mort en
sachant que toute ma famille va le voir”.
Même si les principales sources d’inspirations de l’illustratrice restent ses amis, sa colloc Mathilde, ou son père, “ils sont très beaux”, on retrouve dans son style un peu de Marjane Satrapi (comme la fameuse scène de Persepolis où l’autrice et réalisatrice représente les changements lors de la puberté) ou Quentin Blake – son univers reste néanmoins très intime et original.
“Les éléments du quotidien m’inspirent. Les pâtes, les épiceries d’alimentation générale, les mains qui fument, qui boivent, les écouteurs, les photomatons, les plafonds avec des étoiles fluorescentes, les draps…Le charme de la banalité”.
“Le charme de la banalité”, mais également la preuve que le quotidien n’est jamais tout à fait banal.
Des Hommes, des animaux et des chimères
L’illustratrice sait faire coexister le réel avec le faux, en créant par exemple ses propres personnages tout droit sortis de son imagination. Cette année trois comparses sont apparus dans son œuvre : Eudes, un petit chien complexé et un peu déçu par sa vie, sarcastique et solitaire ; Paupiette et Raviole, deux belles femmes (une humaine et une hybride sanglier-humaine). Zoé Manel aimerais éditer un petit recueil sur leurs aventures, ouvertement inspirées par sa collocation, dans les mois à venir.
Le thème des animaux est donc assez présent chez Baleine Jaune. Un animal en particulier apparait de façon très récurrente : le tigre. Cette quasi obsession pour le fauve date de ses années à la MANAA du Lycée des Arènes de Toulouse (où elle vit actuellement), où elle a réalisé une planche de BD sur « La Solitude » de Barbara, qu’elle a représentée en tigresse. “J’ai réalisé ensuite que ce n’était pas très original puisque Hobbes est l’ami imaginaire / peluche tigre de Calvin (dans « Calvin et Hobbes » de Bill Watterson). Parfois on pense avoir inventé quelque chose et puis boum c’était inconsciemment très inspiré”.
Cela ne l’a quand même pas découragée de continuer a en dessiner, véritable animal totem de son travail. Tour à tour, ses tigres représentent sa force face aux épreuves, un costume, un compagnon dans la solitude, un ami qui fait des blagues, un support,… Ils ont le rôle de “gardiens”.
Du 3ème art au 7ème art
Si elle devait faire autre chose, elle se tournerait vers le cinéma. “Parfois je me dis que j’aimerais tester plein de métiers différents sans engagement. Je pense qu’actrice c’est chouette car c’est un métier où on peut être sur un chalutier le matin et strip-teaseuse le soir”. Elle reconnait malheureusement ne pas savoir jouer et ne pas trop aimer se voir à la caméra. “Il faudrait que je sois filmée en plans larges, habillée, dans un film muet et en noir et blanc. Je pense pas faire carrière du coup”.
Autre que le métier d’actrice, celui de réalisatrice lui plairait beaucoup. Depuis l’acquisition de son premier caméscope, “premier prix à la Fnac”, elle filme son quotidien qui l’inspire tant dans ses illustrations. Elle capture des moments précieux et des ambiances qu’elle ne peut pas dessiner. Elle avoue quand-même avoir quelques problèmes de patience et de rigueur, qui pourraient poser problème.
“Avec mon amie illustratrice Alice Bécognée Wahnich on a fait des petites animations à l’acrylique pendant le confinement. Le projet était de réaliser un clip entier pour la chanson « At Seventeen » de Janis Ian. On le faisait en regardant la série « Shameless », à la fin on a juste regardé Shameless”.
L’engagement par les détails
Zoé Menel se considère féministe et le revendique par des détails : ne pas cacher les poils ou le sang menstruel quand ils sont présents par exemple.
La femme chez Baleine Jaune n’est pas représentée selon les canons de beauté traditionnels vendus par la pub et la pop culture, mais comme elle est réellement : authentique et multiple. Elle transpire, a de l’acné, des cicatrices et les pieds secs, tout comme elle peut être belle et badass ivre en vélo (comme une vraie femme quoi). Elle est représentée en train de s’épiler, sur la cuvette des toilettes, ou en train de manger des cornichons en pyjamas – bien loin de l’icône glamour et sacrée que l’ont retrouve dans beaucoup d’œuvres réalisées par des hommes, le fameux “male gaze” (comme l’espionne en combinaison cuir moulante présentée comme une égérie féministe).
C’est “le minimum pour elle”, qui aimerait vraiment pousser son engagement plus loin dans son travail.
“Le dessin peut lutter contre la désinformation mais je me sens illégitime, j’ai peur de ne pas être assez informée pour communiquer mes opinions politiques publiquement. Je veux et vais essayer de changer ça”.
Quoi de prévu pour la suite ?
Après avoir fini son diplôme National des Métiers d’Art et du Design, l’artiste a beaucoup de projets. Elle aimerait collaborer avec des amis rencontrés lors de ses études supérieures, réaliser des pochettes d’album, des couvertures de livres, des génériques de films/séries, des clips vidéos…
Elle désire également réaliser un roman graphique inspiré du roman “La Flambe” d’Ariane Grimm, réaliser des documentaires (“sur les épiciers et épicières de nuit par exemple”), et être publiée dans des magazines jeunesse comme Astrapi. Elle rêverait de partir vivre quelques années au Québec, et bien sûr, figurer dans un film de Xavier Dolan.
Vous pouvez retrouver le travail de Zoé Menel sur son Instagram baleine_jaune.
Plus d’illustration et de bandes dessinées sur Beware Magazine avec Blanche Sabbah, sur Paris et le féminisme.