TERRENOIRe

Terrenoire, entrevue avec le duo rayonnant de la capitale dites “des taudis”.

Image d'avatar de Marina ViguierMarina Viguier - Le 19 novembre 2020

C’était la fin d’été, les terrasses de cafés ne désemplissaient pas et on ne voyait pas encore venir le retour de bâton de ces instants de quasi-liberté que l’on s’était accordé. Une fois ré-enfermés, l’automne finissant, l’hiver approchant, c’est le moment de se replonger dans la lumineuse énergie des Terrenoire. Brillant duo stéphanois, ils sont le remède assuré (non pas contre le covid), mais contre la morosité (et c’est déjà pas mal), par leur musique, et leurs personnalités. De bons vivants au “bon coup de fourchette”, une réputation inoffensive, comme ils disent.

Cet été, ils sortaient leur premier disque ” Les forces contraires”. Le genre d’album qui était tellement attendu, qu’on avait peur de l’effet saturation. Puis finalement, deux ans après l’EP “La nuit des parachutes”, le défi est relevé, et les échos sont doux.  

Théo et Raphaël sont comme des chimistes de laboratoires, ils imaginent, inventent et testent des projets sonores qu’ils rangent dans leurs ordinateurs, comme un scientifique classant ses expériences dans des éprouvettes. Des projets parfois intimes qui resterons l’échos des quatre murs de leur studio, comme des expériences, qu’ils diffuseront sur leurs réseaux. Des projets à l’écoute, jamais d’eux même, mais à destination des autres. Et ça, ça change.

Terrenoire, entrevue avec le duo rayonnant de la capitale dites "des taudis". 1
Visuel du projet ” Hotline” sur @_terrenoire_

Comment a été perçu votre 1er album  ?

Pour Théo : “ Bien, mais aussi parce qu’on est un peu dans notre bulle, avec notre prisme, on a que des retours positifs de notre entourage ou des médias, c’est peut-être pas très global. Après, s’il est bien perçu, c’est aussi qu’on est dans une situation très privilégiée, en tant qu’artistes hommes. C’est plus facile d’arriver avec un nouveau projet, on est moins sous le feu de la critique comparé aux artistes féminines pour qui c’est toujours plus galère.” Raphael, enchaîne en mentionnant : “Ilona, c’est une artiste belge qui a sorti que 3 titres et elle partage déjà des messages de haine et sexistes envoyés par des gars sur les réseaux. Nous on ne subit pas ce genre de comportements. C’est comme pour Angèle et son frangin, d’ailleurs la plupart, c’est des hommes qui trollent et sont agressifs envers les artistes féminines, c’est injuste. C’est plus facile quand on est un homme.” 

C’est un album très intime de part les sujets traités, impliquant votre famille, vos proches, comment votre entourage a réagi ? 

Théo : “ C’est vrai que la question se pose, notre frère, notre oncle et neveux de notre père ont été très contents et fiers, c’est aussi le quartier de Terrenoire”.

Pour rappel, le titre Derrière le soleil est un hommage déchirant à leur père emporté quelques années plus tôt par un cancer. “Ça leur a fait du bien”. Pour Raphaël : “ Le fait de dévoiler tout cela, pour notre mère, ça a dû être étrange. Ça reste un hommage qui ne détruit pas, qui ne modifie pas, qui parle avec justesse et simplicité de notre enfance. Puis je crois que nos proches tirent une certaine fierté de l’hommage au quartier de Terrenoire à Saint-Etienne. Cette ville qu’on adore mais qu’on veut quitter. Le Monde titrait il y a quelque temps  “Saint-Etienne, la capitale des taudis”. Mais on est fier de la ville, mais c’est étouffant, on veut s’en extirper aussi. La ville est pauvre, sinistrée, à l’inverse cela génère un sentiment de fierté, on doit en faire plus pour s’en sortir. On doit créer plus de sophistication, c’est à l’image des artistes qui sortent de chez nous, par exemple Fils Cara, Belle Vie et d’autres. C’est pas snob chez nous”. 

“Quand on doute, on doute à deux.”

Comment travaillez- vous ? C’est pas plus complexe lorsque l’on est frères ? 

Pour Raphaël c’est une évidence : “ Nous avons la même sensibilité, Théo sait ce que j’aime en musique, donc on est sur la même longueur d’onde, lui aime les prod’ un peu “cloudy”, moi j’aime la chanson française. Je fais le piano et la voix et Théo surtout la production et la réalisation…. A partir des apports de chacun on s’accorde et là on fait nos chansons. Sur le titre Mais Dis moi comment faire ? C’est Théo qui a tout fait par exemple.” 

Jamais sur la production de cet album il n’y a eu de point de clivage ? 

Raphaël : “ Non franchement c’était naturelle, quand on doute, on doute à deux.“

Vous êtes en indépendants ? 

“Pas complètement. On a un peu d’aide extérieure. On a créé notre propre structure pour protéger notre travail et pouvoir collaborer avec d’autres artistes. On a nos studios. Peut être qu’un jour on sera totalement indépendants, mais pour le moment on a peu de moyens. Il ne faut pas laisser le pouvoir à l’industrie, sinon on tombe dans un schéma d’infantilisation qui est souvent présent dans le monde de l’art. Il y a des choses qu’on sait faire et d’autres pas, il faut désinfantiliser les artistes et même tout le monde au global. La période actuelle pousse à cette logique de responsabilisation.” Théo ajoute qu’ils sont pro-actifs, “notre studio, Black Paradisio, est ouvert à des sessions, une sorte de maïeutique, ou des artistes principalement, viennent pendant une heure à notre micro pour parler d’un problème, d’une inquiétude… On retranscrit tout, c’est presque une forme d’artisanat. Ça reste entre nous.” Pour Théo le témoignage le plus bouleversant c’était le récit d’Anouk, sur un deuil. C’est un projet qui n’a pas vocation à être partagé au public, juste une sorte d’engagement bénévole pour redonner du temps, de l’espace et de l’écoute aux gens qui en ont besoin.

Raphael : “on s’est affranchi de toute notion d’argent ou de rendu, c’est précieux et essentiel de travailler cette écoute. Incontournable dans notre métier et presque spirituelle. Ça nous ré-ancre au sol.”  

“J’aime bien l’idée d’être dégoulinant tout en étant à l’os.”

Parler d’amour c’est complexe, c’est prendre le risque de tomber dans le kitsch. Comment on se pose des limites pour ne pas tomber dans des écueils dégoulinants ? 

Raphaël : “ J’ai le goût de la maladresse, et dans la maladresse y a le côté “trop”. Pour le côté dégoulinant, j’écris un peu comme ça, je suis un peu comme ça dans la vie. Mais j’aime bien l’idée d’être dégoulinant tout en étant à l’os. C’est une recherche esthétique très précise”. 

” Etre dégoulinant tout en étant à l’os”, c’est un peu la dualité très tranchante de vos titres, à la fois du quasi-romantisme immédiatement cassé par des phrases crues, intimes, qui sont sans détour, d’où le côté très “oxymores” de vos textes. 

Raphaël : “C’est PNL qui, chez moi, a généré cette émotion. Ce sont de super artistes, presque comme des peintres, qui ont une palette de couleurs à laquelle ils se tiennent. C’est réfléchi. On a l’impression que c’est des bêtes, que c’est incompréhensible et après, c’est sensible, ils te sortent une phrase qui te souffle. C’est “les forces contraires” finalement, Bashung, avait aussi cette esthétique. L’album est comme ça, des dualités, masculin, féminin, la vie, la mort, la terre, le ciel… Que des forces polarisantes”. 

Pour Théo la musique : “c’est envisager les opposés, et les mettre en musique, c’est réussir à en faire un mouvement, un cercle plutôt que des forces opposées. Un truc rond et englobant.”

On s’imaginait des influences qui sont loins de PNL, comme du Bon Iver, c’est quoi vos marqueurs ? 

Raphaël : “Pour moi PNL, c’est surtout pour le geste “laser”, tranchant, que je trouve intéressant. On a bien plus écouté du Bon Iver, James Blake, Flying Lotus que du PNL c’est certain. Je ne peux pas écouter un album entier de PNL, ça me fatigue trop”. 

Théo : “J’écoute beaucoup Kendrick, des productions un peu folles comme ça. Il y a moins de choses françaises qui nous inspirent, un peu Christophe parfois, un peu Bashung. Beaucoup Cascadeur qui a un projet poussé, superbement produit, c’est spécial. Mais dans la chanson française c’est assez rare”.

Vous écoutiez quoi petites ? 

 “Laurent Voulzy, beaucoup de musique américaine dont Prince. Mais aussi les compilations TOP DJ, Zebda, “Première Consultation” de Doc Gynéco, Spacemen…”

Pour les diggers, si on va chez un disquaire, vous me faites écouter quoi ? 

“Blonde” de Frank Ocean, Frank Zappa “Burnt weeny sandwich”, le dernier album de Bon Iver. How To Disappear Completely  “ Mer de Revs “ (I,II et III) . Encore du Frank Ocean “Endless”, le genre d’album fantôme, sorti sous les radars quelques jours avant l’album “Blonde” pour se délier d’un contrat…  “Age of” de Oneohtrix Point Never. Chassol “Big Sun”. “Blue” de Joni Mitchell. Jessica Pratt et son “Quiet Signs” inspiré de Joni Mitchell. MachineDrum “Vapor City”, monument de la drum. 

Le featuring de vos rêves ? 

Pour Raphaël c’est sans hésiter Bashung et pour Théo c’est Vinyl Williams, mais peut-être Flying Lotus, mais peut-être aussi Thundercat … il sait pas trop en fait. 

Et si Théo pouvait ressusciter un artiste, il choisirait un Ravel ou un Mozart pour le questionner et avoir son regard sur la musique actuelle. Quelqu’un d’humaniste pour comprendre les transformations. 

Pour Terrenoire, la musique de demain, c’est de la musique qui amène vers plus de spiritualité, plus rituelle, comme pour rassembler. Plus que la classification divertissement dont souffre beaucoup la musique aujourd’hui. 

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Marina Viguier
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