Forte d’une formation artistique acquise entre le Canada et la Yougoslavie, Nina Bunjevac mêle dans ses bandes dessinées un minutieux travail du point à une narration poétique où réalité et imaginaire s’entrecroisent.
D’une enfance en Yougoslavie aux écoles d’art canadiennes
Née au début des années 1970 en Ontario, c’est pourtant en Yougoslavie que Nina Bunjevac effectue ses premiers pas artistiques jusqu’à l’âge de seize ans. Contrainte par la guerre dans les années 1990, elle rentre dès le début du conflit au Canada où elle poursuit sa formation en graphisme au Art Center de la Central Technical School de Toronto. Elle se tourne ensuite vers les cours du département de dessin et de peinture de l’OCAD, la plus ancienne institution d’enseignement supérieur canadienne dans le domaine de l’art et du design.
Artiste polyvalente, elle débute pendant une dizaine d’années par le dessin, la peinture et le design graphique puis évolue vers la sculpture. Depuis le début des années 2000, c’est sa passion d’enfance pour la bande dessinée qui l’anime à nouveau. L’artiste a confié à la revue Neuvième art avoir grandi avec la BD italienne alors très populaire en Yougoslavie. Ses premières lectures sont Alan Ford, tous les fumetti de la firme Bonelli comme Zagor ou encore Astérix, Tintin et les comics Disney. Ce n’est que tardivement qu’elle découvre les DC Comics ou les Marvel encore peu démocratisées en Europe de l’Est avant les années 1980.
C’est chez sa grand-mère maternelle, alors qu’elle ne sait pas encore lire, qu’elle feuillette sa première bande dessinée : James Bond contre Dr No. Ce sont les souvenirs de guerre de cette même grand-mère qui ont été la première source d’inspiration de Nina, qui ont nourri son désir de dessiner et de raconter des histoires. Elle décide définitivement de se tourner vers le neuvième art après avoir découvert l’ensemble des possibles qu’offre la BD grâce au magazine RAW et en raison de son envie de se tourner vers la narration après que celui-ci fut ranimé par la peinture et la création d’installations.
Nina Bunjevac, une artiste qui maîtrise le point
Nina Bunjevac commence alors par publier des histoires courtes dans un grand nombre de périodiques et d’anthologies. Celles-ci seront notamment publiées par The National Post, Le Monde Diplomatique, ArtReview ou encore Best American Comics. En parallèle, elle se reconnecte à la terre de son enfance en côtoyant la scène des comics underground en Serbie, en Croatie ou encore en Italie et en fréquentant les festivals.
Influencée par des artistes comme Drew Friedman ou Basil Wolverton, son art se caractérise par un minutieux travail du point. Adepte du crayon, de l’encre et du noir et blanc, ses illustrations ont en commun de décrire de dures réalités et des situations sordides avec une poésie évidente et un humour grinçant. Elles sont pensées comme des tableaux, de façon que le lecteur prenne le temps de les contempler. Un travail du grain en noir et blanc qui peut rappeler celui de l’illustratrice allemande Elenor Kopka.
En 2013, son premier livre Heartless, compile sept contes noirs et mordants parus auparavant dans des périodiques. À travers des personnages féminins qui invisibilisent les hommes, l’autrice aborde les questions de l’immigration, du nationalisme ou de l’aliénation urbaine. Ce livre remporte le prix Doug Wright dans la catégorie des meilleurs débuts .
Deux ans plus tard, Nina Bunjevac publie un deuxième livre plus autobiographique encore : Fatherland. Celui-ci raconte la fuite de sa mère avec ses filles en raison des activités terroristes de son père qui militait pour l’indépendance de la Serbie au sein d’une association anticommuniste et ultranationaliste. Elle reçoit à nouveau un Doug Wright dans la catégorie Meilleur livre et apparait sur la liste des meilleures ventes aux États-Unis selon le New York Times.
En 2018, inspiré par le film Orphée de Jean Cocteau, est publié Bezimena son troisième livre. Quelque peu érotique, voire pornographique, il modernise le mythe antique d’Artémis et Siphroites. Dédié aux femmes qui ont choisi de rester silencieuses à la suite d’abus sexuels, l’autrice relate ici sa rencontre avec un prédateur sexuel et s’immisce dans son psychisme. Sélectionné au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2019, il remporte le prix Artemisia dans la catégorie Meilleur dessin en France, le prix du jury du meilleur livre au Lucca Comics and Games 2019 en Italie et figure parmi de nombreuses sélections internationales.
Ses œuvres ont été présentées dans un certain nombre d’expositions, tant au Canada qu’à l’étranger. On la retrouve notamment en France à la Galerie Martel à Paris.
Retrouvez Nina Bunjevac sur son site.