Voir le monde autrement, appréhender les phénomènes au-delà de la simple connaissance du commun des mortels, c’est ce que propose avec entrain l’artiste Nicolas Rivals. Particulièrement à travers son œuvre baptisée LESTEVEN, il entend apporter une nouvelle dimension esthétique à la photographie. Ceci grâce à la mise en avant de la singularité ainsi que la dichotomie de l’existant. Ombre et lumière, deux mots qui résument en tout cas à merveille ce sur quoi l’auteur des clichés, en soulevant une énigme absolue, ambitionne d’attirer l’attention du public.
D’origine française et résidant à Paris, le photographe lauréat du Grand Prix ETPA en 2013 est incontestablement un amoureux de la nature. La plupart de ses réalisations la dépeigne avec un cachet tout particulier et l’objectif assumé d’en faire ressortir toute la singularité (voir sa série La Linéa Roja). Pour ce membre fondateur du collectif Prisme noir, la luminosité est un mystère et son travail n’a pour autre vocation que d’en faire ouvertement part. Alors, sans la moindre hésitation, partez voyager en sa compagnie en terre bretonne, du côté de Lesteven, pour tenter de trouver d’authentiques pistes de réflexion sur la vision humaine à adopter face au silence de l’univers…
En toile de fond du projet, une forêt empreinte de secrets
Lesteven, avant de se fondre avec habilité dans l’intitulé d’une fresque photographique hors du commun est avant tout l’appellation d’une forêt. Située en Bretagne, précisément sur la presqu’île de Crozon, elle a pour funeste particularité d’avoir été totalement détruite à la suite d’un incendie provoqué par les troupes allemandes en 1944. Bien des années plus tard, afin d’empêcher la mer de renforcer l’érosion de la côte, la réimplantation d’une pluralité d’arbres voit le jour. Malgré tout, le lieu garde l’empreinte indélébile ainsi que d’insoupçonnés vestiges de ce malheureux passé.
Il est dès lors aisé d’apercevoir à l’ombre des grands résineux, de petites plantes avides de fuir l’obscurité ambiante. À peine sorties de terre, elles s’enroulent et se contorsionnent en tentant désespérément d’atteindre la lueur diurne. En opposition à la noirceur des géants peuplant le massif, ces arbustes aussi fugaces que tortueux apparaissent toujours avec davantage de clarté et de franchise. C’est ce contraste que Nicolas Rivals capture pour donner du relief à une intention faisant la part belle à un féroce combat entre ombre et lumière.
Une trilogie faisant l’apologie d’une féconde luminosité artistique
Les négatifs constitutifs d’une passionnante trilogie ont été saisis au sein même de la forêt de Lesteven et dans ses proches environs. Les scènes, réalisées de 2016 à 2019 à partir de matériaux naturels, mettent l’accent sur blanc et le noir tout en relevant l’aspect ô combien surprenant des paysages. Mais c’est sans nul doute une citation angoissante de Terry Pratchett qui présente le mieux les contours du processus créatif à l’œuvre : « La lumière croit voyager plus vite que tout, mais elle se trompe. Elle aura beau foncer le plus vite possible, elle verra toujours que les ténèbres sont arrivées les premières et qu’elles l’attendent ». Tout est dit…
Une invitation à concevoir à laquelle Nicolas Rivals, dont la photographie se revendique haut et fort empreinte d’illusion profonde, entend bien répondre. Dès lors, les instantanés bretons les plus sensationnels sont incontestablement ceux sur lesquels émergent du sol, sur un fond sombre jonché d’arbres gigantesques, de distinctives chimères végétales quasi fantomatiques. Sur d’autres, l’œil se plaît à percevoir la part de l’ombre où l’obscurité paraît construire ses propres frontières. Sans compter l’invitation à contempler le stigmate d’un monde où seule la lumière semble demeurer quand tout le reste s’enfuit au grand galop. En tout état de cause, voilà bien un triptyque à travers lequel rien ne se ressemble confusément ! Tout y est distinctement différent !
Au-delà de Lesteven, une œuvre à l’objet clairement pluriel
Au-delà de ce travail propre à Lesteven, qu’est-ce qui fait finalement courir Nicolas Rivals, cet artiste spécialiste des clichés nocturnes ? Une question à laquelle il s’étend longuement sur la page de présentation de son site internet.
Le visiteur en quête de réponses peut ainsi y lire ces mots emplis de simplicité et de franchise : « Enfant, je ne comprenais pas la nuit. Je la trouvais trop sombre, trop hostile. Le crépuscule ne m’inspirait rien d’autre que l’attente de l’aube. À quoi pouvait servir cette période de ma journée, je l’aurais bien supprimée. Pour calmer leurs angoisses, certains rangent leurs stylos, d’autres lavent leurs voitures. Moi, je ré-éclaire la nuit. Inexorablement. L’appareil capte ce que l’œil ne peut comprendre, enregistre le temps qui passe, fixe l’onde insaisissable. Et quand la pause longue révèle la lumière, mes photographies font de la plus petite lueur un brasier. La nuit est toujours là mais l’obscurité a disparu. »
“si l’ombre s’émancipe, elle reprend ses droits et devient matière. Elle découpe alors le paysage et nous donne à voir un monde dont elle a pris sa part“
Nicolas Rivals
La durée et l’illumination sont de fait des remèdes à une vie nocturne perçue comme inamicale, voire néfaste. L’empreinte du brillant, de l’étincelant offre l’opportunité de sortir de ténèbres marquées autant par le vide que l’absence. Par ces œuvres aussi bien philosophiques qu’artistiques, Nicolas Rivals invite à une authentique prise de conscience, à une reconsidération des espaces de l’ombre et de l’éclat. C’est d’ailleurs tout le sens de son propos lorsqu’il indique que « si l’ombre s’émancipe, elle reprend ses droits et devient matière. Elle découpe alors le paysage et nous donne à voir un monde dont elle a pris sa part. » La réflexion s’impose et interpelle tout un chacun sur la place qu’il accorde au rôle de la luminescence de l’astre lunaire ou encore à l’éclairage public dans sa vie de toutes les nuits.
Un débat culturel plein de flammes, de flashs et d’éclairs en perspective…