Le photographe Patrick Gries, artiste luxembourgeois polymorphe, intéresse d’abord par la clarté de son propos; par la netteté de ses images.
Sa série In/Visibility, qui trace les portraits d’enfants tanzaniens albinos, est le fruit d’une approche droit-au-but, pourtant d’une sensibilité rare. Elle vient couronner un parcours éclectique.
Spécialiste des sujets complexes
Inspiré par la photographie américaine, qu’il a découverte à New York où il s’installe dans les années 80, Patrick Gries est un temps passé par le style documentaire avant d’être plébiscité par l’industrie du luxe et le monde de l’art.
Ce cercle très fermé fait de lui l’homme qu’on appelle pour les pièces “difficiles”, dures à photographier pour des raisons d’installation ou de lumière. A Paris il se construit vite un nom, y attache une réputation élogieuse: il travaille pour la fondation Cartier ou le Musée du Quai Branly. Son livre “Evolution“, pour lequel il photographie des squelettes de vertébrés conservés au Muséum d’histoire naturelle de Paris, est acclamé et traduit dans de nombreuses langues. En marge de cette ascension, il mène des projets plus personnels, comme en 1999, une exposition sur le thème de l’abandon présentée à Bruxelles.
De la difficulté technique de photographier des oeuvres particulières- ce qu’il a fait pendant des années- à celle, quasi-politique, de photographier des enfants atteints d’un syndrome rare, la transition ne s’imposait pas d’elle-même. Pourtant Patrick Gries franchit le pas avec brio, et ses portraits délicats interpellent.
A fleur de peau
Si l’albinisme reste une pathologie peu commune, en Tanzanie, les individus albinos représentent un pourcentage plus important de la population; actuellement le plus élevé de la planète.
Au sein du pays, ils sont extrêmement discriminés. Sur des terres qui restent fortement influencées par des croyances magiques, les enfants albinos sont considérés comme mauvais; leur naissance y est souvent vue comme le produit d’une malédiction. Cachés ou envoyés en camp par leurs familles, ils vivent la plupart du temps reclus du reste de la population, dans une ségrégation totalement acceptée par l’État.
Depuis 2005, ils font l’objet d’une vague de massacres, liés à l’afflux de mineurs venus chercher de l’or dans la région des Grands Lacs: parmi eux se maintient en effet l’idée selon laquelle les organes des individus albinos apportent chance et bonne fortune. Au nom de cette quête des pépites d’or, les enfants albinos se retrouvent parfois pris dans de véritable chasse-à-l’homme.
Anthropologie sociale
Les photos de Patrick Gries – qui dit avoir voulu adopter une démarche d’”anthropologie sociale”- mettent en lumière la situation complexe qui entoure ces jeunes. Sans statut politique, les albinos s’”évanouissent”; invisibles sans pour autant jamais passer inaperçus.
In/visibility, mot-valise pour souligner l’ambiguité des regards qui se posent sur eux. Certains -et en particulier certaines-, cherchent un semblant de salut dans des produits cosmétiques qui leur permettent d’avoir l’air blanc. A défaut de s’apparenter à leurs voisins, ils cherchent un semblant de normalité dans un monde où leur différence, empreinte de magie, est regardée avec un mélange de dégoût et déférence.
Les portraits de Patrick Gries sont accompagnées d’un nom et un prénom; manière de rappeler une identité niée – souvent, privés d’épitaphe, les albinos ne sont pas enterrés dans les cimetières.
Les oeuvres de Patrick Gries sont à découvrir en détails ici.