65 000 mineurs sont en prison aux États-Unis. (Source : AFP, septembre 2019.) Pendant plus de cinq ans, Richard Ross, photographe américain, est allé à leur rencontre. S’il a publié un ouvrage en 2012 sur la question, “Juvenile in Justice”, il a ouvert un débat sur les détentions des mineurs de son pays. Zoom sur sa série phare.
Il devait photographier l’architecture des prisons et poursuivre sa série, “Architecture of authority”. Mais, lorsqu’il visite une prison au Texas, le photographe parle avec des adolescents incarcérés. Touché par leurs paroles et leurs conditions de vie, il change de sujet. Du béton, il passe à l’humain : « J’ai pris conscience que je pouvais être leur porte-voix » explique-t-il à l’antenne de PBS News Hour. Il construit une toute nouvelle série de photographies : « Juvenile in Justice » soit, les mineurs en justice.
Pour réaliser sa série, Richard Ross a sillonné l’Amérique. Il a visité 31 états et plus de 200 prisons pour mineurs. Il ne s’est pas contenté de faire des photographies. Il a aussi parlé avec plus de 1 000 enfants sur leur détention.
« Je parlais environ 30 minutes avec les enfants. Le plus souvent, ils étaient debout, et moi, assis. Ainsi, ils avaient l’autorité sur moi. Ils pouvaient mettre fin à la conversation dès qu’ils le souhaitaient. »
Richard Ross lors d’une interview pour WPSU (2012)
« C’était généralement des adolescents. Ils étaient seuls et s’ennuyaient. Ils adoraient que quelqu’un leur prête attention et s’intéresse à eux. »
Richard Ross lors d’une interview pour PBS News Hour (30 août 2019)
Photographier la solitude
Les photos de « Juvenile in justice » sont sûrement prises avec un objectif grand-angle. Le but recherché est simple : nous faire ressentir la solitude des enfants et adolescents américains. Le plus souvent, Richard Ross photographie les adolescents au fond de leur cellule. Lui, se place à leur extrémité. Il peut alors intégrer les murs qui entourent l’enfant à sa composition. Les adolescents semblent à la fois être écrasés par le système judiciaire américain, mais aussi perdus dans celui-ci : ils sont seuls dans leur cellule.
Les photos sont très peu retouchées. Pas de noir et blanc, pas de choix artistique à part celui de la vérité. Montrer le réel est essentiel pour Richard Ross. Il réalise ici un reportage photo journalistique. Il révèle les prisons pour mineurs dans leur état brut.
« En général, je viens plusieurs jours, je cherche les enfants les plus jeunes, les plus vieux, d’ethnies différentes, d’orientations sexuelles différentes, de différents niveaux d’agressivité, différentes peines… J’espère voir de tout. »
Richard Ross dans une interview de Mathilde Azoze pour Horschamp
Pour la plupart de ses photos, Richard Ross adjoint les paroles des adolescents. Les photographies sont alors une petite porte d’entrée vers une pensée de l’enfant. Les mots sont puissants. Il était primordial, pour le photographe, de pouvoir s’identifier aux adolescents, même s’il a dû flouter leurs visages : « On ne voit pas leur visage et ils sont de dos. C’était aussi un moyen de s’identifier à eux plus facilement » confie-t-il à la journaliste Patty Satalia.
« La plupart des enfants incarcérés sont ici pour des motifs non-violents, même si il y a des enfants incarcérés pour des meurtres. Beaucoup sont là à cause de la pauvreté et de la négligence des parents. »
Richard Ross lors d’une interview pour PBS News Hour (30 août 2019)
Un succès mondial
« Ces enfants vivent tous sous l’ombrelle de traumatismes, de la pauvreté, des abus et de la négligence. » Explique le photographe. Pour lui, il était important de mettre des visages et des témoignages sur des statistiques. Si plus de 50 000 enfants sont en détention aux États-Unis, ce n’est qu’une statistique : « Notre travail humanise les statistiques froides en explorant le mode de vie des enfants dans le système. Nous sommes les conteurs d’histoires. » Confie l’artiste.
« La prison n’est pas un endroit pour eux. La société criminalise des comportements qui sont habituels, fréquents à cet âge. Les punir est un acte criminel, car ces institutions sont destructrices. Ce sont des enfants sans voix, issus de familles qui n’ont ni pouvoir ni ressources, 90% d’entre eux appartiennent à des minorités. »
Richard Ross dans un article d’Isabelle Tallec pour l’Institut des hautes études sur la Justice
Après avoir dévoilé sa série en 2012, Richard Ross met à disposition ses photographies pour les associations américaines. Elles se battent pour que les enfants aient un traitement décent en détention. Ses photographies ne sont pas seulement artistiques. Elles servent explicitement la cause des enfants en prison.
Pour le photographe, placer un mineur en détention pendant une année coûte 100 000 euros. Une année de scolarité coûte quant à elle 3 000 euros. Les États-Unis devraient, pour lui, faire le choix de l’éducation et non celui de l’incarcération.
Le photographe a reçu les subventions du National Endowment for the Arts, (Le Fonds national pour les arts. l’agence culturelle fédérale américaine aide les artistes et les instituons culturelles aux Etats-Unis NDLR.), de la Fondation Annie E. Casey, de MacArthur et du Centre pour l’innovation culturelle. Il a aussi reçu les bourses Fulbright et Guggenheim.
Richard Ross utilise ses photographies de sa série pour collaborer avec les acteurs de la justice pour mineurs. Sa série continue d’avoir un succès mondial. Pourtant, personne à part quelques universités (Nanterre, Paris 8) en ont parlé.
“Juvenile in justice” reçoit de nombreux prix. En 2012, sa série gagne le prix de la meilleure photographie d’actualité et de documentaire par l’American Society of Magazine Editors pour une sélection de ses photos publiées dans le Harper’s Magazine. Il est aussi lauréat d’une mention honorable pour l’IPA (International Photography Awards) dans la catégorie photo-reportage.
Sa série est exposée partout dans le monde : Nanterre (France) en 2012, Vienne (Autriche) en 2013, Karisruhe (Allemagne) en 2014, Genève (Suisse) entre autres et partout aux Etats Unis. “Juvenile in justice” continue encore d’être exposée aujourd’hui.
Juvenile in justice : l’association
Encore aujourd’hui, dès 9 ans, les enfants peuvent se retrouver en prison. Les Etats-Unis d’Amérique n’ont toujours pas ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU. Elle est selon le gouvernement américain, contraire à la constitution américaine : elle interdit la peine de mort pour les enfants. La série de photos de Richard Ross est donc encore et toujours d’actualité .
Devenu une association, Juvenile In Justice a, depuis, réalisé d’autres séries sur l’univers carcéral : “Girls in justice” ou encore “Juvenile in dependence”. Leur credo est toujours le même : donner la parole aux premiers concernés, les enfants.
« Nous nous glissons derrière les barbelés des centres de détention pour mineurs américains. Nous vous rapportons des images de l’intérieur et des histoires à la première personne des jeunes incarcérés. »
Juvenile in Justice association
Vous pouvez voir l’intégralité des travaux de Richard Ross sur son site . Vous pouvez aussi consulter le site officiel de Juvenile in justice
Si vous aimez les photographies de Richard ross, vous aimerez sans doute les photos de Benoit Paillé.