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Dans les prisons pour mineurs avec le photographe américain Richard Ross

Image d'avatar de Yohann PerezYohann Perez - Le 7 septembre 2020

65 000 mineurs sont en prison aux États-Unis. (Source : AFP, septembre 2019.) Pendant plus de cinq ans, Richard Ross, photographe américain, est allé à leur rencontre. S’il a publié un ouvrage en 2012 sur la question, “Juvenile in Justice”, il a ouvert un débat sur les détentions des mineurs de son pays. Zoom sur sa série phare.

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Centre de détention pour mineurs du comté de Harrison à Biloxi, dans le Mississippi. La prison est gérée par les services de sécurité du Mississippi. Ce centre de détention doit maintenir un ratio de 8 détenus pour 1 membre du pénitencier.

Crédits texte et photo : Richard Ross

Il devait photographier l’architecture des prisons et poursuivre sa série, “Architecture of authority”. Mais, lorsqu’il visite une prison au Texas, le photographe parle avec des adolescents incarcérés. Touché par leurs paroles et leurs conditions de vie, il change de sujet. Du béton, il passe à l’humain : « J’ai pris conscience que je pouvais être leur porte-voix » explique-t-il à l’antenne de PBS News Hour. Il construit une toute nouvelle série de photographies : « Juvenile in Justice » soit, les mineurs en justice.

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Lieu : “Starview Adolescent Center” à Torrance. C’est un centre psychiatrique pour les enfants qui en ont besoin. Mon nom complet porte le nom d’une personne de la bible. Je suis ici depuis six semaines. Dans cette pièce, depuis quinze minutes. Je pense qu’il est temps pour moi de sortir. C’est juste un endroit où je peux me calmer. Avant cela, j’étais à Olive Crest (ce n’est pas un lieu d’enfermement.) J’y suis resté.e pendant un an et demi, mais j’ai continué à être hospitalisé après m’être blessé. Je suis né.e à Knoxville, dans le Tennessee. Mes parents vivaient à Newhall, mais ils voulaient avoir un enfant dans un autre État, alors ils ont choisi le Tennessee. Ils ont acheté une maison là-bas, mais elle a brûlé. Ma mère vit à Las Vegas avec un nouveau mari. Avant Olive Crest, j’étais à Penny Lane. Ma mère m’y a rendu visite. Mon père abusait de l’alcool, de la drogue et de moi. Il m’a violé.e quand j’avais sept ans et a continué à le faire jusqu’à mes 15 ans. Les voisins m’ont finalement entendu crier et ont appelé la police. Il n’est jamais allé en prison parce qu’il a dit que je mentais. Ils m’ont emmené.e au siège de la DCFS (Department of Children and Family Services). Depuis, je suis dans un foyer de groupe. -M.A., 16 ans

Crédits texte et photo : Richard Ross

Pour réaliser sa série, Richard Ross a sillonné l’Amérique. Il a visité 31 états et plus de 200 prisons pour mineurs. Il ne s’est pas contenté de faire des photographies. Il a aussi parlé avec plus de 1 000 enfants sur leur détention.

« Je parlais environ 30 minutes avec les enfants. Le plus souvent, ils étaient debout, et moi, assis. Ainsi, ils avaient l’autorité sur moi. Ils pouvaient mettre fin à la conversation dès qu’ils le souhaitaient. »

Richard Ross lors d’une interview pour WPSU (2012)
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Richard Ross s’entretient avec une jeune fille incarcérée

« C’était généralement des adolescents. Ils étaient seuls et s’ennuyaient. Ils adoraient que quelqu’un leur prête attention et s’intéresse à eux. »

Richard Ross lors d’une interview pour PBS News Hour (30 août 2019)
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Lieu : Le centre de détention pour mineurs du comté de Pima, un établissement mixte de 186 lits construit en 2000. Le séjour moyen est de deux semaines, plus long dans certains cas, jusqu’à un an. CM, 16 ans est enceinte. “Je suis là depuis deux semaines. J’ai été très égoïste de ne pas avoir pensé au bébé. Le CPS dit qu’ils vont emmener le bébé mais je vais me battre pour elle. Ma mère et mes sœurs me rendent visite. Mon père est mort il y a 6 ans. Il me manque. Ils lui ont tiré dessus 18 fois. Il était dans la mafia mexicaine. Il est mort quand j’avais 10 ans. J’ai tout gâché. L’héroïne. Méthamphétamine. E. Inhalants. Crack : je me droguais beaucoup quand j’étais enceinte du bébé, mais maintenant je suis sobre depuis 4 mois.”

Photographier la solitude

Les photos de « Juvenile in justice » sont sûrement prises avec un objectif grand-angle. Le but recherché est simple : nous faire ressentir la solitude des enfants et adolescents américains. Le plus souvent, Richard Ross photographie les adolescents au fond de leur cellule. Lui, se place à leur extrémité. Il peut alors intégrer les murs qui entourent l’enfant à sa composition. Les adolescents semblent à la fois être écrasés par le système judiciaire américain, mais aussi perdus dans celui-ci : ils sont seuls dans leur cellule.

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“Je ne fais que compter les briques ici. C’est ennuyeux. Je pense que je vais rester ici six mois, je ne sais pas. Quand j’étais à xxxx, j’étais au niveau trois. Je leur ai dit que je voulais me faire du mal. J’ai vu d’autres enfants se promener avec le personnel et je leur ai demandé comment on peut en arriver là. Ils m’ont dit : “Il suffit de dire que tu penses à te faire du mal et tu obtiens des privilèges.” Alors je l’ai fait. Mais je le regrette. Je leur ai dit que je ne le pensais pas, alors ils m’ont fait passer au niveau deux. Mais le gamin dans la cellule d’à côté a dit la même chose et ils l’ont complètement retiré des niveaux. Après ce qui s’est passé hier soir, ils ont coupé l’eau dans les cellules. Il n’y a donc plus d’eau ni de toilettes aujourd’hui. Mais ils vont les remettre en marche.” -U.Z., 12 ans

Crédits texte et photo : Richard Ross

Les photos sont très peu retouchées. Pas de noir et blanc, pas de choix artistique à part celui de la vérité. Montrer le réel est essentiel pour Richard Ross. Il réalise ici un reportage photo journalistique. Il révèle les prisons pour mineurs dans leur état brut.

« En général, je viens plusieurs jours, je cherche les enfants les plus jeunes, les plus vieux, d’ethnies différentes, d’orientations sexuelles différentes, de différents niveaux d’agressivité, différentes peines… J’espère voir de tout. »

Richard Ross dans une interview de Mathilde Azoze pour Horschamp

Pour la plupart de ses photos, Richard Ross adjoint les paroles des adolescents. Les photographies sont alors une petite porte d’entrée vers une pensée de l’enfant. Les mots sont puissants. Il était primordial, pour le photographe, de pouvoir s’identifier aux adolescents, même s’il a dû flouter leurs visages : « On ne voit pas leur visage et ils sont de dos. C’était aussi un moyen de s’identifier à eux plus facilement » confie-t-il à la journaliste Patty Satalia.

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“D., 11 ans. J’avais quatre mois quand je suis entré dans le système. Ma mère n’avait pas de maison, elle l’a perdue. Je suis ici avec ma sœur, mais elle est maintenant dans une famille d’accueil. Si ça marche, elle pourra rester. Mais elle m’a dit que ça ne marchera pas et qu’elle reviendra me voir. Mon père vit dans une ferme à Ada. J’y ai été avec lui pendant un certain temps, mais le cousin de mon père y vivait et je ne voulais pas être avec son cousin. Ma mère nettoie les salles de bain au magasin Body Works. Je suis en cinquième année.”

Crédits texte et photo : Richard Ross

« La plupart des enfants incarcérés sont ici pour des motifs non-violents, même si il y a des enfants incarcérés pour des meurtres. Beaucoup sont là à cause de la pauvreté et de la négligence des parents. »

Richard Ross lors d’une interview pour PBS News Hour (30 août 2019)
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“Je suis ici depuis deux ans et demi. J’avais 16 ans quand j’ai été arrêté pour mon premier vol. C’était la première fois que j’avais des problèmes… Pendant que j’étais ici, j’ai eu des petits et quelques gros problèmes. Maintenant, je suis en sécurité moyenne. Il y a quatre enfants avec moi. J’ai eu mon GED (diplôme scolaire équivalent du bac grosso modo NDLR). Je vais avoir mon diplôme de fin d’études secondaires. Je suis ici en vertu de l’ancienne loi. Je pars d’ici à 20 ans. Mon dossier est scellé, sauf si je suis accusé d’un crime. Je fumais un peu d’herbe et j’ai vendu du crack. Ils savaient ce que je faisais, alors ils m’ont sévèrement puni.” -B., 19 ans

Crédits texte et photo : Richard Ross
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Un succès mondial

« Ces enfants vivent tous sous l’ombrelle de traumatismes, de la pauvreté, des abus et de la négligence. » Explique le photographe. Pour lui, il était important de mettre des visages et des témoignages sur des statistiques. Si plus de 50 000 enfants sont en détention aux États-Unis, ce n’est qu’une statistique : « Notre travail humanise les statistiques froides en explorant le mode de vie des enfants dans le système. Nous sommes les conteurs d’histoires. » Confie l’artiste.

« La prison n’est pas un endroit pour eux. La société criminalise des comportements qui sont habituels, fréquents à cet âge. Les punir est un acte criminel, car ces institutions sont destructrices. Ce sont des enfants sans voix, issus de familles qui n’ont ni pouvoir ni ressources, 90% d’entre eux appartiennent à des minorités. »

Richard Ross dans un article d’Isabelle Tallec pour l’Institut des hautes études sur la Justice
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Après avoir dévoilé sa série en 2012, Richard Ross met à disposition ses photographies pour les associations américaines. Elles se battent pour que les enfants aient un traitement décent en détention. Ses photographies ne sont pas seulement artistiques. Elles servent explicitement la cause des enfants en prison.

Pour le photographe, placer un mineur en détention pendant une année coûte 100 000 euros. Une année de scolarité coûte quant à elle 3 000 euros. Les États-Unis devraient, pour lui, faire le choix de l’éducation et non celui de l’incarcération.

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Le photographe a reçu les subventions du National Endowment for the Arts, (Le Fonds national pour les arts. l’agence culturelle fédérale américaine aide les artistes et les instituons culturelles aux Etats-Unis NDLR.), de la Fondation Annie E. Casey, de MacArthur et du Centre pour l’innovation culturelle. Il a aussi reçu les bourses Fulbright et Guggenheim.

Richard Ross utilise ses photographies de sa série pour collaborer avec les acteurs de la justice pour mineurs. Sa série continue d’avoir un succès mondial. Pourtant, personne à part quelques universités (Nanterre, Paris 8) en ont parlé.

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“Juvenile in justice” reçoit de nombreux prix. En 2012, sa série gagne le prix de la meilleure photographie d’actualité et de documentaire par l’American Society of Magazine Editors pour une sélection de ses photos publiées dans le Harper’s Magazine. Il est aussi lauréat d’une mention honorable pour l’IPA (International Photography Awards) dans la catégorie photo-reportage.

Sa série est exposée partout dans le monde : Nanterre (France) en 2012, Vienne (Autriche) en 2013, Karisruhe (Allemagne) en 2014, Genève (Suisse) entre autres et partout aux Etats Unis. “Juvenile in justice” continue encore d’être exposée aujourd’hui.

Juvenile in justice : l’association

Encore aujourd’hui, dès 9 ans, les enfants peuvent se retrouver en prison. Les Etats-Unis d’Amérique n’ont toujours pas ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU. Elle est selon le gouvernement américain, contraire à la constitution américaine : elle interdit la peine de mort pour les enfants. La série de photos de Richard Ross est donc encore et toujours d’actualité .

Devenu une association, Juvenile In Justice a, depuis, réalisé d’autres séries sur l’univers carcéral : “Girls in justice” ou encore “Juvenile in dependence”. Leur credo est toujours le même : donner la parole aux premiers concernés, les enfants.

« Nous nous glissons derrière les barbelés des centres de détention pour mineurs américains. Nous vous rapportons des images de l’intérieur et des histoires à la première personne des jeunes incarcérés. »

Juvenile in Justice association

Vous pouvez voir l’intégralité des travaux de Richard Ross sur son site . Vous pouvez aussi consulter le site officiel de Juvenile in justice

Si vous aimez les photographies de Richard ross, vous aimerez sans doute les photos de Benoit Paillé.

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Yohann Perez
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