Jonathan Glazer

Portrait : Jonathan Glazer, le faiseur d’images

Image d'avatar de Gabin VissouzeGabin Vissouze - Le 11 avril 2020

Jonathan Glazer, né le 26 mars 1965 à Londres, s’est construit au fur et à mesure de sa carrière une solide réputation, s’imposant comme un cinéaste majeur aux propositions visuelles audacieuses. De Radiohead à Scarlett Johansson, en passant par Massive Attack ou encore la marque Levi Strauss, le réalisateur a imprégné durablement ces trente dernières années. 

Jonathan Glazer à la Mostra de Venise en 2013

Après une licence de mise en scène et création de décors pour le théâtre, Jonathan Glazer débute sa vie professionnelle en tant que metteur en scène, monteur de bande-annonce ou encore réalisateur de clips pour la BBC. En 1993, il réalise trois courts-métrages pour Academy Commercials. L’un d’entre eux, Mad, est visible sur internet et offre déjà un aperçu de la maîtrise technique du cinéaste ainsi que de sa capacité à créer un univers visuel en quelques secondes.

Extrait de Mad, court-métrage de Jonathan Glazer

Les clips de Jonathan Glazer : naissance d’un réalisateur

Ces premiers films lui permettent alors de gagner la confiance de certains des plus gros artistes de l’époque.  Ainsi, en 1995 il s’occupe du clip pour le morceau Karmacoma de Massive Attack. La vidéo comporte de nombreux hommages, en particulier à Shining de Kubrick mais également à Pulp Fiction de Tarantino, Barton Fink des frères Coen, Eraserhead de Lynch… 

En 1996 il collabore avec le groupe Blur pour le morceau The Universal et signe un clip reprenant l’univers du film Orange Mécanique de Stanley Kubrick, glissant également, entre autres, une référence au Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel. On y découvre le groupe jouant devant un public, d’une certaine classe sociale et qui, à mesure que la musique s’intensifie, semble gagné par la folie et des crises de fous rires incontrôlables. 

La même année, il réalise le célèbre clip Virtual Insanity pour Jamiroquai, redoublant alors d’ingéniosité en modifiant l’espace tout du long. Cette prouesse lui permettra de décrocher dix nominations aux MTV Awards. 

L’année suivante, il réalise le clip de Karma Police du groupe Radiohead, où l’on observe une angoissante course poursuite au beau milieu de nulle part. Reposant sur un unique procédé technique, le plan séquence se transforme en lente mise à mort inéluctable. 

La liste des artistes avec qui il a travaillé est encore longue, que ce soient Nick Cave, The Dead Weather, UNKLE… Ses clips sont truffés de références cinématographiques et témoignent d’une envie de passer à des formats plus longs.

En parallèle, il est également l’auteur de nombreux films publicitaires pour les marques Guinness, Levi Strauss, Nike, Stella Artois…

Ou encore la publicité pour le chocolat Cadbury, censurée à sa sortie pour son caractère sexuel et dans laquelle on retrouve Denis Lavant en diable tentateur. 

Extrait de la publicité pour Cadbury réalisée par Jonathan Glazer

Les films : explosion d’un cinéaste

C’est en 2001 que Jonathan Glazer signe son premier long-métrage : la comédie Sexy Beast. Un ancien malfrat vit une retraite paisible dans sa villa, sous le soleil écrasant de l’Espagne lorsqu’un « collègue » de l’époque, le très perturbant Don Logan, débarque pour lui proposer une nouvelle affaire. 

Affiche de Sexy Beast, réalisé par Jonathan Glazer

A travers la thématique éculée du « dernier coup », Glazer reprend les codes du film de gangsters tout en apportant une véritable patte, s’autorisant parfois des séquences oniriques voire totalement fantasmées. 

Le film se construit en deux temps, commençant par un huis clos et enchaînant sur une pure histoire de casse. De par son rythme lent, qui loin d’enliser le récit lui donne au contraire un ton tragicomique très efficace, Sexy Beast se distingue des autres représentants du genre. Ray Winstone y est parfait, véritable « bête sexy » en slip de bain jaune, bedaine pesante et cuir brûlé, tandis que Ben Kingsley offre une interprétation hilarante dans son rôle schizophrénique. Le film recevra quatre récompenses au British Independent Film Awards (meilleur film britannique indépendant, meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur).

Trois ans plus tard, Glazer revient au cinéma avec le drame fantastique Birth, dans lequel une jeune femme (Nicole Kidman) essaye d’oublier son défunt époux et fait la rencontre d’un garçon de dix ans qui assure être feu son mari… 

Affiche de Birth, réalisé par Jonathan Glazer

Porté par une Nicole Kidman habitée que le réalisateur prend plaisir à filmer, doté d’une réalisation élégante, de travellings rappelant ceux de Stanley Kubrick, d’une lumière clair-obscur empruntée au ParrainBirth est une réflexion intéressante sur le deuil. Le film souffre cependant d’un scénario trop bancal (bien que co-écrit avec Jean-Claude Carrière) et d’un dénouement frisant le ridicule. Mais la première ainsi que la dernière séquence suffiraient presque à tout pardonner tant par leur puissance visuelle que leur subtilité face aux drames qui s’y jouent. Présenté à Venise, Birth reçu un accueil divisé, certains criant au chef-d’oeuvre quand d’autres n’hésitaient pas à le qualifier de navet.

C’est seulement neuf ans plus tard, en 2013, que le réalisateur fait son grand retour avec le sublime Under the Skin

Affiche de Under The Skin, réalisé par Jonathan Glazer

Film de science-fiction expérimental, où un extra-terrestre traque les hommes en les séduisant sous une fausse apparence, le long-métrage est avant tout une étude clinique de la chair, celle qui est lisse, ferme, épaisse, grasse, déformée… La plupart des scènes en extérieur ont été tourné en caméra cachée, Scarlett Johansson évoluant incognito au milieu de la foule, contribuant ainsi à cet aspect documentaire. 

Suite à une séquence d’ouverture aussi splendide qu’énigmatique, référence assumée à Stanley Kubrick (une fois n’est pas coutume), Glazer va prendre les pas d’un autre maître : Alfred Hitchcock, que ce soit à travers la musique, leitmotiv angoissant aux notes « Herrmaniennes » ou dans l’exploitation du fantasme de l’actrice. Scarlett Johansson est la Kim Novak de Jonathan Glazer. Mais bien plus que du désir, c’est de la fascination qui en ressort. Les déambulations de son personnage, sorte de mante religieuse impitoyable, à la danse nuptiale terrifiante, placent le spectateur en observateur impuissant et pétrifié. La toile se tisse lentement à travers une Ecosse froide, humide, où la parole est presque inexistante. En parallèle de cette hypnotique chasse, c’est tout notre rapport au corps, et plus largement à notre humanité, que le réalisateur explore. 

Expérience visuelle et sonore, mêlant l’horreur la plus crue aux scènes les plus intimes, Under The Skin est un film immense, de ceux dont l’appréhension est difficile et qui pourtant vous hantent à jamais.

Depuis, Jonathan Glazer s’est fait discret mais a tout de même sorti en 2017, dans quelques salles anglaises, un court-métrage intitulé The Fall. Au vu des critiques, il semble que le réalisateur ait proposé, à nouveau, une expérience prenante et viscérale.

Extrait de The Fall, court-métrage de Jonathan Glazer

Son prochain film, co-produit par A24, sera une adaptation du roman La Zone d’intérêt de Martin Amis, une histoire d’amour au sein du camp d’Auschwitz. Pas de date de sortie annoncée… Il ne reste plus qu’à attendre, l’impatience pour seule compagne.  

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Gabin Vissouze
Article écrit par :
Cinéaste, réalisateur et parfois même acteur, Gabin est membre de Beware! et rédacteur spécialisé dans le cinéma.

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