Associé avec le rappeur Sheldon de la 75ème Session — le collectif de Sopico — dans le morceau « Émeute », le liégeois Venlo fait pour la première fois résonner ses rimes au sein de la capitale. Mais pour les aficionados bien informés qui suivent la scène du rap belge avec assiduité, Venlo n’est déjà plus un inconnu. Son premier EP, Sang Froid, sorti en mai et salué par ses confrères Roméo Elvis et Caballero et JeanJass, ne portait peut-être pas les couleurs du printemps, mais adoucit avec poigne la venue de l’hiver. À croire que la saison Venlo est arrivée. Sorte de ballade rappée, les six morceaux du projet donnent le sentiment à qui les écoute de prendre le train dans l’intimité chuchotée de l’artiste. Bulle de grisaille, tête-à-tête hardi, gravure sur bitume des premiers efforts… Les beats s’accélèrent et ralentissent sans briser la cohérence de l’ensemble. Sans s’en rendre compte, on dessine au hasard sur les vitres embuées pendant que les punchlines errent entre nostalgie et promesse. Rencontre avec l’artiste à Bruxelles, là où les commencements se rappent.
Tu viens de Liège, qu’est-ce que tu es venu chercher à Bruxelles ?
J’essaye de faire de la musique et je fais des études aussi. C’est vraiment pour une raison « professionnelle » et pour ma passion. Je faisais déjà de la musique à Liège mais il n’y a qu’à Bruxelles qu’il y a des opportunités, et franchement je trouve que c’était un bon choix de venir.
À quoi ressemblait la scène rap à Liège ?
Il y a des rappeurs, des petits open mic, mais si tu regardes en termes de visibilité… Le plus connu c’est Le Dé. Ce n’est pas comme à Bruxelles, avec des structures comme Back In The Dayz ou La Brique, qui peuvent t’aider. Moi je fais tout avec mes potes pour le moment, mais il y a plus de studios et plus de journalistes ici.
Le Studio87, ça représente quoi pour toi ?
J’ai enregistré mes sons là-bas, c’est le studio de Phasm. C’est lui qui a enregistré et masterisé le projet. J’ai un collectif qui s’appelle le Six O’clock et tout se passe là-bas. C’est un collectif, pas un groupe. Certains d’entre nous rappent en flamand, on est un collectif bilingue. On ne se met pas de pression, on mise chacun sur nos trucs solos mais le collectif est un peu une espèce de récompense, c’est pour s’amuser. On est allés faire un freestyle tous ensemble en Angleterre. On était treize rappeurs à performer au Boom Bap Festival.
Et toi, tu rappes depuis combien de temps ?
Je rappe depuis cinq ans. J’ai commencé dans ma chambre à écrire des petits textes sans les assumer. Puis j’ai fait plusieurs rencontres qui m’ont motivé et qui m’ont permis de m’affirmer. Il y a d’abord eu le Hesytap Squad, le groupe d’Absolem et Slyder. Ils ont commencé plus tôt que moi, ils faisaient déjà quelques petits concerts, on a fait des freestyles. J’avais aussi un groupe avec mon frère et un pote ; pour eux c’était juste un délire mais moi j’ai poussé parce que je m’étais trouvé une passion. J’avais pas spécialement de moyen d’expression avant. Je suis quelqu’un de timide à la base et il y a plein de choses que je n’osais pas dire. Alors c’est devenu une obsession immédiatement, j’en faisais tous les jours. Après, ça prend du temps de passer le cap pour avoir un niveau technique, puis pour apprendre à faire des chansons. Mais ce sont surtout les rencontres qui m’ont permis d’avancer.
Ensuite il y a eu Phasm, qui est un catalyseur de toutes les énergies. C’est un couteau suisse ! Il rappe, il est ingénieur du son, il fait de la vidéo, il organise des trucs… C’est lui qui nous a proposé de monter à Bruxelles et de faire un projet gratuitement avec le Hesytap. Nous, on enregistrait dans une chambre et on prenait des sons sur YouTube, alors que lui savait faire ça proprement, il nous a tiré vers le haut.
Il y a eu un freestyle avec Senamo [membre du groupe La Smala, NDLR].
C’était via un concours de rap. J’étais un petit rappeur, j’ai envoyé une vidéo et j’ai gagné le concours ! J’avais dix-neuf ans et on n’avait aucune connexion.
Tu as aussi été le backeur du rappeur Convok, ça a été formateur pour toi ?
C’est un truc utile, oui. Mais j’ai aussi fait mille scènes avec Hesytap, et avec le Six’O. Je n’étais pas sûr de moi, je ne me disais pas : « demain, je vais percer » ou encore : « c’est moi le meilleur », alors toutes les opportunités, je les prenais.
Tu as fait tes classes sur scène en quelque sorte.
Hesytap m’a laissé une grande place sur ses sets. C’est plus une collaboration rapologique, ce sont mes meilleurs potes aussi. Et récemment, j’ai fait deux scènes solos, dont la première partie de Caballero et JeanJass. Ça s’est super bien passé, c’est plus facile parce que je connais bien la scène, je n’ai plus le stress de la première fois.
Le plus vieux morceau que l’on peut trouver de toi sur internet, c’est « Panorama »…
À l’origine, l’idée c’était que ce soit le premier extrait de mon projet mais j’ai fait un premier projet qui n’est jamais sorti ! Je n’étais pas prêt, je faisais des sons qui devenaient de mieux en mieux, je progressais mais ce n’était pas encore un truc qui me ressemblait assez et je sentais que je n’allais pas l’assumer jusqu’au bout. Heureusement, je m’en suis rendu compte assez tôt parce que quand on a commencé à rapper jeunes avec Hesytap, il y avait une effervescence, ils ont fait Les Ardentes alors dans nos têtes on était là « ouais vas-y on est trop chauds », mais gentiment (rires) ! Je pensais qu’il fallait que je sorte un projet moi aussi pour me mettre en lumière, mais j’ai eu la lucidité de me dire qu’en fait c’était peut-être mieux d’attendre. Maintenant, je suis super content de ne pas l’avoir sorti !
Comment as-tu conçu Sang Froid alors ?
Ça s’est fait en deux étapes. Il y a des sons comme « Yeux gris » et « La même en mieux » qui datent du projet d’avant et qui étaient pour moi les meilleurs. Surtout « Yeux Gris » d’ailleurs, qui m’a donné une espèce de déclic. Tout le monde me le disait. Dans « La même en mieux », j’aimais bien le couplet de Le Dé. Personnellement je trouve que c’est mon plus mauvais couplet du projet ! Mais ça me tenait à coeur puisque Le Dé est un rappeur liégeois, il était dans mon école secondaire alors je l’idolâtrais un peu quand j’étais petit (rires)…
Tous les autres sons sont plus récents, ils datent de l’été passé qui a été une étape cruciale dans mon développement puisque j’ai commencé à taffer avec Dee Eye. On les a fait en trois semaines. C’est notre collaboration qui m’a aidée à trouver ma couleur et à m’affirmer.
Dans « Reflet » tu dis « [avoir] pris du volume ». Qu’est-ce qui a changé depuis la sortie de ton projet ? Comment on fait, aujourd’hui, pour rentrer sur le terrain très occupé du rap belge ?
Je ne sais même pas si je suis déjà rentré sur le terrain ! Mais j’ai eu de bons retours, je savais qu’il y avait des gens qui appréciaient. Je pense que la chance joue beaucoup aussi, si toute la bande n’avait pas partagé mon travail, il n’y aurait pas eu le même nombre de vues, ça aurait pris beaucoup plus de temps…
Il y a vraiment un esprit d’équipe ?
Oui, moi-même j’ai été étonné. Je ne m’attendais pas à autant de retours de ces gens-là. Ils savent que s’ils me partagent ça va me mettre vraiment bien. Sinon, tout se passe naturellement, et franchement ce n’est pas un cliché de dire que dans le rap belge les gens sont sympas entre eux.
En parlant de ça, quand je t’écoute, je me demande ce que tu écoutes et quelles sont tes influences.
C’est marrant parce que je n’écoute pas grand chose. Si, j’ai écouté trois albums cette année, c’est beaucoup ! Mais quand j’étais plus jeune je suis tombé sur le rap un peu par hasard, à cause des modes. Il y a eu l’effet 1995, Rap Contenders, etc. C’est là que j’ai commencé à me dire que j’essayerais bien aussi. J’ai l’impression que ça m’a un peu sauvé, que je n’aurais rien fait d’intéressant si j’étais pas tombé là-dessus. Tout ce que je faisais c’était ksar [zoner, NDLR] avec mes potes tout le temps, sans trop de projets, sans trop de but.
C’est le côté rap technique qui te plaisait ?
Avant j’étais fort là-dedans, j’aimais bien regarder des freestyles et tout mais maintenant je préfère les trucs plutôt dans l’émotion. C’est pour ça que j’aime bien Sopico. Il y a un certain type de rap qui ne me parle pas. J’aime quand le truc est réel, peu importe le style. Ça se joue beaucoup à l’affectif, mais quand ça se la pète ou que j’ai une impression de fausseté… Cela dit, je suis pas le type qui a une énorme culture musicale, j’ai jamais vraiment été un digger. J’ai eu ma période où j’ai essayé de rattraper les classiques mais maintenant j’écoute surtout les trucs actuels, Bon Gamin, Muddy Monk et la 75ème Session…
Crédits photo: Charlotte Steppé