khazali interview

[Interview] Rencontre avec Khazali, aux manettes d’une pop alternative et solaire

Image d'avatar de Shad De BaryShad De Bary - Le 28 novembre 2021

En pleine préparation de son prochain EP, l’artiste londonien a pris le temps de nous rencontrer. Retour sur un entretien autour de ses débuts marqués par le sceau de la communauté et de son processus créatif particulièrement thérapeutique.

L'artiste Khazali est assis sur une des colonnes de Buren, dans la cour du Palais Royal.
Portrait de Khazali, crédit photo : Nour De Bary

Depuis la sortie de son premier EP, “Going Home, Vol. 1”, sorti en avril dernier, Khazali s’impose en douceur comme une des figures montantes de la pop d’outre-Manche. Adepte des sonorités chaleureuses et rondes, sa musique aux touches de R’n’B et de funk séduit inlassablement. De quoi présager un prochain EP magistral, prévu pour le début d’année prochaine. Retour sur le succès rapide de l’artiste, qui a commencé la musique un peu par hasard.

Au début, tu te concentrais plus sur l’écriture comme un outil pour lâcher prise. Comment tu es passé de l’écriture plus poétique à la production musicale ?

J’ai commencé à écrire parce que les thérapies sont très chères, en gros (rires). J’étais à l’université, et je vivais un moment assez difficile. Et je voulais transformer ce que je vivais en quelque chose de positif. J’ai toujours écrit des poèmes, et je composais des partitions aussi, donc je me suis dit “Et si j’associais les deux, et si j’écrivais des chansons ?”

Par la suite, j’ai téléchargé mes musiques sur Soundcloud. Et ça m’a donné un peu de visibilité (même si elles ne sont plus en lignes actuellement, j’ai dû les supprimer). Et c’est vraiment la base par laquelle j’ai trouvé les premiers producteurs avec qui j’ai pu collaborer, à l’époque, en 2016.

Et depuis cinq ans, j’ai travaillé sur mon premier EP, qui est sorti au printemps dernier, “Going Home, Vol. 1”. Mais oui, tout a commencé parce que j’utilisais la musique comme une sorte de thérapie, un moyen de comprendre mes pensées. Et je suis très content de l’avoir fait !

Il y a donc quelque chose de cathartique dans la production de tes chansons ?

Oui, c’est très important pour moi, en particulier parce que j’ai un travail ordinaire à côté. Je suis graphiste et je fais des horaires de bureau. J’ai l’impression que le travail d’écriture de mes morceaux, en ce moment, c’est un vrai processus de catharsis, justement, pour me débarrasser du stress.

Mais l’autre jour, je discutais avec un ami et il m’a dit : “Tu ne t’énerves jamais, est-ce que tu penses que c’est sain pour toi ?” Et j’y ai réfléchi, et je pense que c’est sain parce que je transforme en chansons toutes les émotions qui pourraient se transformer en colère.

La colère, c’est juste de la peur : quand quelqu’un est en colère, c’est souvent parce qu’il a peur de quelque chose. Donc dès que je ressens ce genre de choses, je les transforme en musique immédiatement. Je vois ça comme une manière de transformer ces énergies étranges en quelque chose de nouveau, et je pense que tout le monde peut le faire. Il suffit de trouver le medium qui convient à chacun.

Portrait de l'artiste Khazali en plein soleil.
Portrait de Khazali, crédit photo : Nour De Bary

D’ailleurs, comment est-ce que tu as mis à profit les connaissances que tu as retirées de tes études de graphisme dans la construction ton univers artistique ?

J’ai commencé à étudier le design au lycée, donc depuis mes 16 ans en gros. Cet apprentissage des mouvements artistiques, le mouvement bauhaus, art déco, art nouveau, par exemple, a été la base de cette construction. Arriver à comprendre ces différentes vagues et comment on peut en retirer certains aspects, même les petits détails comme la typographie, cela m’a apporté beaucoup.

Je fais toujours très attention aux références que j’utilise avec mon équipe créative. Par exemple, on essaie de voir comment on peut provoquer certaines émotions avec certains sons d’une époque particulière. Le prochain EP est très marqué par l’ère disco, définitivement inspiré des années 1970.

Mais on y retrouve aussi quelque chose d’un peu 2070 aussi, en quelque sorte. En effet, j’ai été très touché par l’idée d’une “nostalgie future”, qu’on retrouve dans l’album “Future Nostalgia” de Dua Lipa. Il y a définitivement cette notion de reprendre des choses du passé et imaginer les sonorités du futur. Et c’est quelque chose qui était important pour nous, avec les producteurs, en réalisant le prochain EP, qui devrait sortir en janvier. Honnêtement, je suis très fier de la manière dont on a réussi à le peaufiner.

En parlant d’émotions, qu’est-ce que ça fait de voir les gens danser sur les émotions que tu reflètes dans tes chansons ?

C’est très agréable ! Surtout un titre comme “Comfort“, qui doit être ma production la plus populaire, qui est assez dansante mais un peu mélancolique, on peut sentir qu’il y a un contexte assez sombre derrière. Mais c’est peut-être juste moi, parce que je sais que c’est le produit d’un moment morose et triste, mais les retours que j’en ai d’autres personnes c’est qu’ils en tirent quelque chose qui les fait se sentir bien (rires).

J’aime bien l’idée qu’on puisse tourner des moments qui ne sont peut-être pas nos meilleurs en quelque chose sur lequel d’autres personnes peuvent se sentir bien, peuvent danser et passer du temps avec leurs proches. C’est une belle façon de transformer ça en quelque chose de bien.

Comment on gère le lancement d’une carrière artistique en pleine pandémie ?

Je suis content que vous me posiez la question, c’est quelque chose qui me tenait à cœur aujourd’hui. C’est tellement étrange. Il y a déjà un certain nombre de choses pratiques que je n’ai pas eu la chance de pouvoir développer au début, et qui m’angoissent un peu aujourd’hui. Par exemple, il n’y avait pas de concert, donc je ne pouvais pas tester mes morceaux devant un public avant de les sortir.

Toutes mes sessions en studios se passaient en zoom, pendant l’intégralité de la production. Donc le monde que je connais, puisque ce projet a commencé il y a juste un an et demie, depuis ma première sortie, est absolument différent de celui dans lequel je suis actuellement en train de me développer. J’ai des concerts de prévus, je commence à faire des sessions avec d’autres artistes, …

Enfin, je dirais que ça m’a donné une forme de gratitude de pouvoir réaliser tout ça. Ce n’est pas quelque chose qui va de soi pour moi. J’ai pu jouer à un festival dernièrement, et je crois que je comprends vraiment mieux à quel point c’est un privilège, puisque j’en ai été privé au début. Donc, bizarrement, ça m’a apporté plus de positivité.

Ton premier EP a été un rapide succès, comment tu as vu ton quotidien évoluer ?

Pour résumer rapidement, je dirais que ça m’a donné une sorte de reconnaissance pour ces aspects-là. J’ai pu jouer à un festival dernièrement, et je crois que je comprends mieux à quel point c’est un privilège, après en avoir été privé. Étrangement, ça me donne plus d’optimisme.

Je dirais que mon quotidien n’a pas tant changé. Mais tout ce qui se passe en coulisses, les personnes avec qui j’écris et je produis, c’est surtout ce qui s’est drastiquement élevé.

Ça m’a aussi définitivement donné confiance en moi. Non pas que le succès sur les plateformes de streaming devrait donner confiance, mais ça m’a donné une sorte de confirmation. Il faut être honnête, on ne fait pas de la musique pour nous, on veut tous que d’autres personnes en profitent. Donc ça m’a permis de me dire : “Oh, il ya des gens qui veulent m’écouter chanter. Wow, what the hell“.

Ça m’a aussi donné un coup de pouce en terme d’opportunités professionnelles. Je dirais que mon quotidien n’a pas tant changé. Mais tout ce qui se passe en coulisses, les personnes avec qui j’écris et je produis, c’est surtout ce qui s’est drastiquement élevé. En ce moment, je travaille avec des personnes avec qui je n’aurais jamais même rêvé collaborer. C’est merveilleux, et j’en suis très reconnaissant.

Portrait en contre plongée de l'artiste Khazali, la tête posée contre une structure en bois rouge.
@khazaliverse

C’est aussi un rappel, qui me permet de me concentrer pleinement sur la musique et, quoi qu’il arrive dans le futur, d’être heureux d’avoir pu vivre cette expérience. J’essaie de profiter de ce qui m’arrive, sans penser à la reconnaissance que je pourrais, ou pas, avoir plus tard. Tout ça, c’est la cerise sur le gâteau.

Disons que je me concentre sur la musique, et j’essaie de garder les pieds bien ancrés dans le sol. Il m’arrive des choses très excitantes en ce moment, et j’essaie de me rappeler que c’est parce que je suis qui je suis que tout ça arrive. Donc j’essaie de ne pas laisser tout ça me changer, j’espère que j’arrive à l’exprimer comme il faut (rires).

Comment ton entourage a accompagné cette évolution ?

Les gens qui m’entourent sont très importants pour comprendre mon histoire, je crois. Parce que, quand j’étais au lycée, tous mes amis et moi, on était intéressés par les sorties musicales, à la recherche d’artistes émergeants, à la fois plutôt underground et plutôt connu comme Jungle, Fatima Yamaha, Little Dragon, Metronomy, …

On adorait ce type de musique, et, même si on avait à peine dix-huit ans, on a réalisé très vite qu’il n’y avait pas beaucoup de lieux qui jouaient ces groupes, à moins d’aller directement à leurs concerts. Mais il n’existait pas vraiment de clubs qui passaient cette musique, le soir. Et on faisait tous un peu de musique de notre côté.

On était à peine adultes et on appelait les salles en leur disant “Hey, on voudrait monter des événements chez vous.” Et on a pu mettre en place ces soirées dans des clubs très cools de Londres, au culot.

Ensemble, on a donc eu idée d’un concept qu’on a appelé “Slow Dance”, en référence à un type de musique avec un tempo plus lent mais sur lequel on peut quand même danser. Quelque chose qui ne serait pas de la musique “club” à proprement parler, mais pas orchestral non plus. On s’est donc donné le nom de “Slow Dance”, et on s’est mis à organiser des soirées.

On était à peine adultes et on appelait les salles en leur disant “Hey, on voudrait monter des événements chez vous.” Et on a pu mettre en place ces soirées dans des clubs très cools de Londres, au culot. Et maintenant “Slow Dance” est un vrai label.

C’est pour ça que, pour moi, c’est primordial de trouver son groupe, un peu son clan musical. Parce que c’était Marco Pini (qui a choisi Glows comme nom de scène) un des co-fondateurs de “Slow Dance“, qui m’a convaincu de me lancer dans la chanson. C’était cette dynamique et cet encouragement qui est à l’origine de mes tous premiers morceaux.

Quelle importance a eu, pour toi et ta carrière, la scène londonienne ?

Je pense que la mixité des profils que j’y trouvais m’a influencé. Et je suis toujours très proche des membres de “Slow Dance”, je les considère comme ma famille. Mais cette mixité de personnalités créatives, toujours très positive et encourageante, on s’est beaucoup poussé vers le haut.

C’est une mentalité très londonienne, de se lancer dès qu’on a une opportunité même si on n’est pas certains d’avoir tout planifié. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de ça sur la scène parisienne aussi, cette envie de se lancer.

Au milieu de cette scène particulière, j’ai aussi été exposé à un certain type de musique. J’en suis très reconnaissant, car j’ai pu voir des groupes qui sont devenus très connus dès leurs débuts. Ces expériences m’ont beaucoup appris, et m’ont fait grandir artistiquement.

Sur tes réseaux sociaux, tu parles ouvertement d’anxiété. C’est important pour toi ?

Je pense que les réseaux sociaux rendent un certain nombre de personnes, moi compris, très anxieux. Je ne crois pas que j’affirme quelque chose de novateur, il me semble qu’on est tous au courant que les réseaux sociaux nous font nous comparer aux autres, qui eux-mêmes ne partagent que des moments positifs.

Ce sont des modèles qui me rappellent que c’est important de continuer à ouvrir le dialogue, plus ma carrière avance.

J’ai fait quelques publications dessus parce que ça me semble important de rendre cet aspect visible. Je trouve ça rafraîchissant de voir s’ouvrir une discussion autour de l’anxiété en ligne. J’ai beaucoup de respect pour les artistes qui utilisent leurs plateformes pour normaliser ce sujet : Arlo Parks, Charlie XCX et Mabel, entre autres.

Ce sont des modèles qui me rappellent que c’est important de continuer à ouvrir le dialogue, plus ma carrière avance. On a tous besoin de voir l’envers du décor, et pas simplement les bons moments. En particulier, j’ai l’impression que depuis cinq ans, les contenus Instagram sont devenus “parfaits”, et je pense que c’est important d’injecter un peu de réalisme dans cet univers, et ça le rend aussi plus amusant.

Comment tu arrives alors à contrebalancer ton anxiété quand tu fais des concerts ?

C’est tellement étrange, je vais être honnête, je n’ai aucune anxiété sur scène. Je ne pourrais pas vous dire pourquoi, mais ça s’éteint complètement. Je deviens très stressé après les concerts, pas avant, pas pendant. Et ma manière de gérer cette anxiété, après les lives, c’est de me rappeler que j’ai fait de mon mieux, même si ça semble cliché.

Du coup, ça me calme un peu, je bois de la tisane à la Camomille aussi (rires). Je ne bois pas du tout quand je dois faire de la musique, pour garder les idées claires. D’ailleurs, je dirais que c’est ça ma manière de gérer l’anxiété : je bois moins d’alcool quand je sais que je risque d’être plus stressé. Avant, je me disais que ça me soulagerait un peu, mais ça ne faisait qu’empirer les choses.

Quels ont été les artistes qui t’ont le plus inspiré ?

C’est la question à un million d’euros (rires). Au sommet de ma liste, je pense qu’il y a Metronomy. J’adore le travail de Joseph Mount, surtout son travail récent avec la nouvelle génération d’artistes (sur l’EP “Posse EP Volume 1”, NDLR) : j’écoute en boucle la chanson “405”, en featuring avec Biig Piig.

Metronomy pour moi, c’est le groupe qui a marqué le moment où j’ai arrêté d’écouter les CD de mes parents et que j’ai commencé à dénicher ma propre musique sur Itunes. C’était la musique que je choisissais d’écouter. Ça a été une révolution, j’adore toujours les mélodies, les arrangements, …

La première fois que j’ai écouté Metronomy, je m’en rappelle encore, c’était comme dans le film Ratatouille, quand Rémi mange en même temps la fraise et le fromage, c’était un feu d’artifice dans ma tête. C’était vraiment la bande son de mon adolescence.

Sinon il y avait aussi Little Dragon, Subtract, Honne, Sampha, entre autres. Une autre grande influence, ce serait les XX, également. Je pense que ça couvre bien tout, même si je pourrais en parler pendant des heures.

Et en ce moment, quels sont les artistes dans ta playlist ?

Sans hésitation, je dirais Willow Kayne, Jada G, Fredigan, Poppy Ajudha, Griff et Olivia Dean.

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais ajouter ?

J’aurais envie de remercier les personnes qui écoutent ma musique en France, parce que c’est quelque chose qui me va droit au cœur, j’en suis très reconnaissant. Et, pour ceux qui n’ont pas encore découvert ma musique, vous l’avez découvert au bon moment, et j’espère que vous aimerez.

Et aussi, mes DM sur Instagram sont toujours ouverts, j’adore recevoir des messages et connecter avec des personnes au bout du monde. Ce n’est pas juste une expression, j’adore discuter avec les gens (rires).

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