[Interview] : En immersion avec le duo Hip-hop BOLD

Image d'avatar de Shad De BaryShad De Bary - Le 22 janvier 2022

Habitués du travail d’équipe, High Ku, du groupe Chinese Man, et Supa-Jay, de Scratch Bandits Crew, se connaissent bien. Sur l’album “BOLD”, ils se retrouvent au cœur d’un duo expérimental et sophistiqué.

BOLD

High Ku aime rechercher des samples et sait dénicher les bons sons. Supa-Jay porte une attention particulière aux détails et arrive à donner vie à des productions optimisées au possible. Ensemble, ils forment BOLD, un duo fort de leurs années d’expériences respectives qui déploie tout un univers de sonorités vintage et éclectiques, reliées par un travail minutieux. Leur premier album éponyme est une expérience presque cinématographique, une immersion complète particulièrement bien ficelée.

Vous êtes tous les deux issus de deux collectifs différents, mais qui ont l’habitude de collaborer. Pourquoi c’était important pour vous d’avoir un duo distinct ?

Supa-Jay : Notre duo est, effectivement, formé de Hi Ku du collectif Chinese Man, et de moi-même Supa-Jay de Scratch Bandit Crew. On se connaît depuis quinze ans, on s’est d’abord croisés avec nos groupes respectifs lors de tournées et puis on a très vite noué des liens qui se sont concrétisés en 2015 par la signature de Scratch Bandit Crew sur le label Chinese Man Records.

Pour les quinze ans du label, il y a eu le projet Groove Session Vol.5, qui regroupe Scratch Bandit Crew, Barra Frequencia et Chinese Man autour d’un projet d’album et de scène commun qu’on a un peu supervisé avec Hi-Ku. Le projet devait partir en tournée trois jours avant le confinement, donc il a été coupé dans son élan.

Mais nous, on a poursuivi notre travail de duo en montant un groupe pendant le premier confinement. Les confinements se succédant et la tournée se repoussant, on a fini par faire un album entre nous, avant que la tournée reprenne au mois de mars.

BOLD reste sous l’égide du label indépendant Chinese Man Records, qui est lié au collectif Chinese Man. Comment vous arrivez à trouver un équilibre entre l’esprit du collectif et de votre duo ?

Hi Ku : En réalité, ça se combine assez bien, ça permet d’avoir deux atmosphères différentes. Je continue de toute façon mon travail avec Chinese Man, mais on est trois chez Chinese et les deux autres avaient déjà leurs projets parallèles. Ça faisait longtemps que j’avais envie de monter quelque chose de mon côté aussi.

Cela faisait un moment que j’en avais parlé à Supa-Jay. J’avais des samples de côté qui ne correspondaient pas à l’énergie de Chinese Man, qui est un groupe beaucoup dans l’énergie, qui fait de la musique d’album mais aussi destiné au live, à faire danser les gens.

BOLD, c’était vraiment l’occasion d’avoir le côté “écoute” de l’album, à la maison, une musique plus immersive qui s’écoute tranquillement. C’est une bonne complémentarité.

BOLD, c’était vraiment l’occasion d’avoir le côté “écoute” de l’album, à la maison, une musique plus immersive qui s’écoute tranquillement. C’est une bonne complémentarité. Après c’était l’enjeu de BOLD, de ne faire ni du Chinese Man ni du Scratch Bandit Crew, tout en sachant qu’il fallait quand même garder les influences et les bons côtés qu’on en avait chacun retiré.

Supa-Jay : De toutes façons, naturellement, c’est ce qui se passe. On a chacun une souche commune et après, on a des esthétiques et des modes de productions qui sont différents. Quand on se réunit, une nouvelle musique émerge naturellement de nos deux parcours.

Il y a d’ailleurs beaucoup de collaborations sur l’album. Comment vous avez sélectionné les artistes avec qui travailler ?

Hi Ku : C’est que des artistes qu’on connaissait. Comme BOLD est un projet émergent, il fallait que ce soit des gens qu’on connaisse et qui nous apprécient. Il y avait aussi une volonté d’avoir des MC très hip-hop, mais également des morceaux plus chantés, c’est pour ça qu’on a fait appel à CW Jones et Biga*Ranx.

On a vraiment regardé qui était autour de nous et qui pouvait correspondre aux idées précises qu’on avait pour chaque morceau. On voulait des gens qui soient susceptibles de corriger, et de proposer, des choses, il fallait un rapport assez ouvert pour pouvoir collaborer efficacement.

Supa-Jay : En plus, c’est un album qui a été commencé pendant le premier confinement, donc connaître les gens permettait un travail à distance qui restait totalement humain.

L’album se donne comme une succession de tableaux. Vous aviez une ligne directrice dès le début de la production ou ça a été plus instinctif ?

Supa-Jay : C’est justement ce côté très instinctif qui permet d’avoir un fil conducteur sur le disque. Les maquettes partent des samples trouvés par Hi-Ku, mis en forme de manière très instinctives, qu’il m’envoie pour que je puisse rebondir. On a un effet de ping-pong de compositions jusqu’à la fin.

duo BOLD
@boldcmr

Il y a cette méthode commune à tous les morceaux, qui engendre des idées nouvelles et des finalités différentes. C’est la méthode qui amène de la cohérence à l’intérieur de tout ça. Et ça résume bien notre univers : on s’inspire de tout ce qui fait nos expériences et des gens avec qui on travaille. C’est une espèce de synthèse de nos expériences dans un cadre bien défini, une dualité entre le très maîtrisé et le très débridé.

Vous insistez sur le fait que “BOLD” est une expérience immersive. Vous aviez des inspirations visuelles qui ont guidé la production de l’album ?

Hi Ku : On ne part pas de films. Il y a plutôt un côté proche de la synesthésie. On ne peut pas dire qu’on imagine des images, mais le morceau en lui-même se vit comme une histoire. Après, je pense qu’au fil du temps, il y a une espèce de scénario qui se crée, surtout avec les musiques instrumentales.

Quand on a un chanteur, on écrit un couplet, un refrain, l’histoire est claire. Mais avec l’instrumental il y a un début, et il faut qu’il y ait une fin pour que ça raconte quelque chose. Donc, en effet, il y a un rapport à l’histoire et un scénario intérieur à chaque titre. Par exemple, dans “Ghost Killer” avec General Elektriks, on a rajouté ces voix de vieilles VHS de kung-fu, et là ça devient un peu une sorte de bande-originale d’un vieux film des années 90.

D’ailleurs, le clip de Ginette est en stop-motion, c’est quelque chose d’assez rare. Vous teniez à y développer un esprit nostalgique ?

Hi Ku : On a eu la chance de travailler avec Fred & Anabelle, un couple de réalisateurs avec qui je collabore depuis le début du label. Ils font vraiment partie du collectif, ils ont réalisé des clips pour Chinese Man et énormément de nos vidéos live.

Et en fait, ils ont une manière assez spéciale de fonctionner. Déjà, ce sont eux qui choisissent les morceaux sur lesquels ils vont travailler, donc je leur ai donné l’album alors qu’il était encore au stade de maquette. Ils ont tout de suite flashé sur “Ginette”.

Ils habitent dans le Gers, et ils m’ont dit “On va aller acheter une maison de poupée et on va construire une poupée qui voudra s’en évader.” C’est un mélange de stop-motion et d’animation, parce que si ça avait été que du stop-motion ça aurait été infaisable. Ils sont super forts.

Vraiment, ils sont tellement doués qu’aller leur donner des contraintes, ce serait contre-productif. On les a laissé travailler pendant six mois, et après on a fait quelques allers-retours pour optimiser la base et réaménager le musique-à-l’image.

Il y a quelque chose de très éclectique dans vos inspirations. Comment vous arrivez à redonner une sorte de cohérence à l’ensemble ?

Supa-Jay : C’est toute la force, justement, de la musique hip-hop instrumentale, d’emprunter un peu à toutes les musiques pour créer un genre avec ses propres codes. Au fur et à mesure du temps, le scratching, le sampling, tout ça, c’est devenu des instruments, des musiques à parts entières sur lesquelles nous on a construit nos carrières.

C’est tout un petit univers de bricolage qui rejoint parfaitement l’esthétique stop-motion du film “Ginette” : un bricolage très minutieux, une petite horlogerie, qui fait le charme de la musique qu’on propose.

Après, c’est tout un savoir-faire, de doser une multitude d’univers comme un petit puzzle pour en tirer un univers commun, où cohabitent une trompette prise à tel endroit, un piano qu’on a pris à tel autre, une batterie programmée, des petites phrases de films… C’est tout un petit univers de bricolage qui rejoint parfaitement l’esthétique stop-motion du film “Ginette” : un bricolage très minutieux, une petite horlogerie, qui fait le charme de la musique qu’on propose.

Si on avait un doute, on pouvait se référer à l’ensemble, on pouvait se dire : ” Dans tel titre, on a déjà utilisé ça, changeons l’intro”, par exemple. Et comme tout avançait en parallèle, certains éléments reviennent, même si ce ne sont jamais exactement les mêmes. Ce travail d’arrangement, dans le son, donne finalement de la cohérence entre toutes nos différentes influences.

Hi Ku : On a aussi eu la chance, comme on discute énormément et qu’on a plus de quinze ans d’expérience, de nous fixer une limite de dix morceaux, pas un de plus. Du coup, six mois avant de terminer l’album, on avait déjà une vision d’ensemble, qui permettait d’être plus efficace morceau par morceau.

Justement, vous tirez quelles leçons de vos quinze ans d’expérience ?

Supa-Jay : La musique, c’est toujours un rapport entre l’instinctif et l’expérience que t’as des choses. Et souvent, plus t’as d’expérience, plus c’est compliqué d’avoir de l’instinct, et inversement, plus t’as de l’instinct, plus c’est compliqué d’avoir de la méthode. C’est pour ça que monter un nouveau groupe, ça nous a permis de retrouver un peu de fraîcheur dans plein de choses qui sont parfois devenues un peu plus routinières, ou dont on peut parfois un peu avoir perdu le sens.

C’est important aussi de se confronter à quelqu’un avec qui il y a à la fois un terrain d’entente pour avancer, mais en même temps qui challengent certaines choses et qui ouvre des horizons nouveaux qu’on peut finalement cadrer par toute notre expérience.

Le gel du live a été le début du projet BOLD. Quel est son avenir avec la levée des restrictions ?

Hi Ku : Là dans un premier temps, on croise les doigts pour pouvoir partir en tournée avec le spectacle d’il y a deux ans (The Groove Sessions Live, NDLR). Normalement, si tout va bien, on a énormément de dates pour cette année, donc je pense que pour BOLD, on va prendre le temps de réfléchir à monter éventuellement un live.

On parlait d’expérience, et quelque chose qu’on a appris, c’est que c’est bien de ne pas trop se disperser entre les différents projets. Peut-être qu’à un moment donné, on tournera sur deux lives différent, mais là il faut déjà qu’on commence celui-là, qu’on le rode vraiment pour les représentations. Et c’est difficilement compatible avec la création d’un second live en parallèle.

Sachant qu’en plus, Jay travaille en ce moment sur une adaptation de l’album BOLD avec une compagnie de cirque qui s’appelle The Rat Pack, qui devrait voir le jour en mars normalement. Mais la musique qu’on a produite avec cet album, on l’avait vraiment imaginée à des fins d’écoute sans vraiment penser au live, il faudrait donc retravailler un certain nombre de choses.

Il y a quoi dans votre playlist en ce moment ?

Hi Ku : Il y a un artiste qui s’appelle Sempe, et son morceau “LAX”. Il y a aussi le dernier album de Little Simz, et notamment le titre “Point and Kill” qui est une tuerie. Et aussi Shayimpempe, avec “Mavuthela”, pour n’en citer qu’un.

Vous avez un mot de conclusion pour nous ?

Hi Ku : Rendez-vous en mars avec la tournée “The Groove Sessions Live“, même si on ne jouera pas nos morceaux de BOLD, pour l’instant (rires).

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