François Vogel, né à Meudon en 1971, est un artiste doublé d’un chercheur. Inventeur d’appareils photos, habitué du sténopé, réalisateur de courts-métrages, de clips musicaux, de films publicitaires, concepteur d’installations immersives… Voici les nombreuses casquettes de ce passionné d’images. Ces films ont d’ailleurs remporté de nombreux prix et sont régulièrement sélectionnés dans les plus grands festivals (Clermont-Ferrand). Son univers, aussi absurde que poétique, a pour ambition de manipuler notre perception du réel, en étirant, déformant, fragmentant… Rencontre.
Dans vos films, on a la sensation d’être à plusieurs endroits en même temps, d’où vous vient cette envie de briser les limites de la physique et d’élargir le regard ?
Mon premier souvenir de déformation remonte à l’enfance, quand je jouais dans mon bain avec mon reflet glissant sur la robinetterie. La totalité de la salle de bain se recroquevillait en formes minuscules sur le chrome du robinet et cet effet me fascinait. J’étais aussi passionné par les reflets dans les cuillères. Plus tard, la découverte du sténopé (petit trou percé dans une boite noire permettant de faire de la photographie sans objectif) a été une révélation. Avec le sténopé, la lumière va directement du monde réel à l’image, sans lentille, juste à travers l’air. C’est pur et presque mathématique. J’ai cherché le maximum de possibilités géométriques de ce procédé en tordant le papier photographique dans la boite, en le froissant, le pliant, etc. Plus tard, j’ai trouvé le moyen de reproduire ces tortions à l’aide de l’ordinateur.
Pour « Reer », quelles ont été vos inspirations ? Comment est venue l’idée de déformer le corps et non plus l’espace ?
Le chanteur Diogal est un ami. Il m’a contacté au moment de la sortie de son album. J’avais carte blanche sur le choix du titre et sur le film ! J’ai fait un certain nombre d’expérimentations sur plusieurs de ses morceaux. Je lui ai fait plusieurs propositions et finalement on a choisi celle qui était la plus faisable avec nos moyens. On est donc parti sur cette histoire de naissance et d’envol. Les mots sortant de la bouche de Diogal se transforment en plumes qui vont se déposer sur le corps d’une femme et lui permettent de s’envoler. J’ai voulu jouer avec des déformations souples du corps et rester en accord avec la douceur de la chanson. Ça faisait longtemps que j’avais envie de déformer les corps. Mais filmer des corps demande une certaine exigence. Il faut le faire bien, avec une belle lumière, un minimum de moyens. C’était l’occasion avec ce projet.
En 2019 sort le court-métrage Fausse route, dans lequel François Vogel se balade à marée basse sur l’Ile de Noirmoutier un 15 août. L’occasion de proposer un voyage déformé où tout est propice à l’étirement, dans des décors où les proportions ne sont que de vagues souvenirs des cours de dessin. Le créateur joue avec l’image, la malaxe à son bon-vouloir, offrant au spectateur un univers sans cesse renouvelé, en permanente mutation.
Comment travaillez-vous ? Pour « Fausse route » par exemple, tout est-il conceptualisé et scénarisé au préalable ou bien y a t-il une grande part laissée à la spontanéité ?
Je ne sais pas toujours où je vais en commençant un projet. Mes films sont plutôt structurés mais il y a une bonne dose d’improvisation dans la mise en œuvre. « Fausse route » a été filmé sur le passage du Gois à Noirmoutier. C’est une route submersible qui est sous l’eau à marée haute. Mon envie de départ était de me laisser piéger par la marée et de filmer à l’accéléré la montée des eaux. J’étais aussi très curieux de vivre cette expérience de passer 6 heures sur un poteau en pleine mer. Je me suis donc lancé dans l’aventure avec une sorte de harnais fait maison sur lequel était accroché mon appareil photo ainsi qu’une perche en plexiglas tendue par des fils de pêche et au bout de laquelle était accrochée une boule de Noël. L’appareil photographiait chaque seconde le reflet dans cette boule. Résultat : un long plan séquence accéléré de la mer qui monte autour d’un personnage glissant sur une route inondée puis se perchant sur un poteau. Cette séquence est restée plusieurs années en sommeil parce que je ne savais pas trop quoi en faire. Je travaillais les images de temps en temps et puis au bout d’un moment l’idée est venue, puis la structure narrative. Ce film-là n’est donc absolument pas scénarisé au préalable. C’est une forme d’ouverture mais c’est parfois un piège : j’ai filmé beaucoup de choses qui restent dans les placards et qui n’aboutiront sans doute jamais.
Savant fou et poète, des termes compatibles pour vous ? L’expérimentation fait-elle partie du processus créatif ?
Oui bien sûr ! Les savants sont d’ailleurs souvent des poètes ! Il y a une forme de beauté dans les sciences. La pureté d’une équation mathématique ou les questions sur le temps et l’espace en cosmologie sont poétiques. Après… fou… je ne sais pas… c’est subjectif ! Concernant l’expérimentation, elle me parait fondamentale dans le processus créatif. Dessiner un trait sur une feuille de papier c’est déjà expérimenter. La main va faire l’expérience de ce tracé et elle aura un retour différent selon qu’elle dessine avec un fusain ou un pinceau. Bien sûr tout n’est pas dans l’expérimentation. Pour moi le processus créatif vient du savant mélange entre ces trois états : la connaissance, l’expérimentation et la rêverie. D’ailleurs de grandes découvertes ont été faites dans cet état d’inaction ; que ce soit Newton faisant la sieste ou Archimède dans son bain. L’inaction est parfois productive !
Sténopé, 360°, 3D, réalité virtuelle… Vers quoi allez-vous vous tourner dans le futur ? Avez-vous des projets en cours ?
J’ai plusieurs courts métrages en chantier. Et puis j’ai ouvert un compte Instagram depuis peu sur lequel je publie de courtes séquences. C’est très stimulant de pouvoir publier des petites créations qui sont faites dans la journée. Je fourmille d’idées à ce sujet mais en même temps je ne sais pas trop où cela va m’emmener… c’est un peu éphémère et assez chronophage. Mon travail du moment est très axé sur les expérimentations spatio-temporelles. L’aspect spatial d’une séquence, c’est-à-dire l’image fixe, et l’aspect temporel, c’est-à-dire le mouvement, peuvent s’interchanger et se mélanger dans une sorte de pâte. En ce moment je m’amuse avec cette pâte spatio-temporelle d’où j’extrais des tranches d’espace-temps. C’est assez ludique et vertigineux en même temps !
Vous pouvez retrouver son travail sur son site internet ou sur son compte Instagram.