Clément Marion

Clément Marion, photographe à fleur de peau

Image d'avatar de Flora EtienneFlora Etienne - Le 22 mars 2023

Clément Marion, jeune photographe aussi connu sous le pseudo d’Analogapertures, interroge notre rapport à l’Autre en plaçant l’humain au centre de la plupart de ses projets photographiques.

De l’Afghan Box au collodion humide en passant par le mordançage, expérimentation, diversité et mise en valeur sont au cœur de son travail artistique. Une recherche de la différence qui loin de se circonscrire à la technique, se retrouve également dans le choix de ses sujets. Sa série « Phoenix » sur les cicatrices aussi bien externes qu’internes de grands brûlés en est le parfait exemple.

Photographie du torse d'un homme grand brûlé prise par Clément Marion
©Clément Marion

Un photographe adepte des techniques alternatives

L’argentique : esthétisme et artisanat

Enfant, Clément Marion débute la photographie en s’appropriant l’appareil de sa sœur reçu à l’occasion d’un anniversaire. Après se l’être accaparé pendant un certain temps, il finit par en acquérir un. À ses débuts, ses premières prises sont boulimiques. Atteint de ce qu’il appelle la courante maladie du déclenchement, le néophotographe enchaîne les images, privilégiant la qualité à la quantité. Un mode opératoire dont il s’éloignera fortement avec l’expérience et en se spécialisant dans l’argentique.

Très tôt, il comprend qu’il n’est pas fait pour exercer un autre métier que celui de photographe. Si pendant un certain temps il se persuade qu’un travail ne peut être que difficile et éreintant, dès la fin du lycée il se rend à l’évidence. Sa vie ce sera la photographie et rien d’autre.

C’est en entrant à l’ETPA de Toulouse, école dont il sortira diplômé en 2020, qu’il découvre l’argentique. Naturellement, il choisit de privilégier cette technique, en raison d’une « recherche de l’esthétique dans la forme, la texture, et également dans la démarche, de travailler avec ses mains, de créer directement grâce à la manufacture ». Il adopte alors le pseudo d’Analogapertures, d’après la contraction des termes “analogue” faisant référence aux techniques photographiques argentiques et “apertures” qui en anglais désigne l’obturateur.

Femme posant de dos
©Clément Marion

L’Afghan Box : un concept et des rencontres

Inspiré par une découverte rapportée d’Afghanistan par son ami photographe Thibaut Piel, il s’empare également du concept de l’Afghan Box (technique existant sous différentes formes dans plusieurs pays). Porté par un besoin de rencontres, cette méthode permettant de tirer le portrait de passants dans la rue est toute trouvée. D’autant plus que du fait de se trouver dans un espace public et de pratiquer un prix libre, les gens se révèlent très réceptifs à cette technique.

Le mordançage : une technique pour une image sculptée et marbrée

Pour plusieurs de ses projets, Clément Marion a recours à la technique alternative du mordançage. Procédé popularisé par Jean Pierre Sudre et Denis Brihat, le mordançage est une technique qui vise à ronger chimiquement les premières couches d’un tirage argentique dans ses valeurs sombres uniquement. Cela occasionne alors un décollement de l’émulsion photographique et parfois des changements de couleurs par oxydation. Les images obtenues oscillent ainsi entre le noir-abîme et l’orange-braise.

Souvent, Clément Marion développe les scans des tirages pour leur offrir une interprétation un peu plus saturée. Les nombreuses possibilités de traitement et post-traitement offrent ainsi des résultats singuliers qui plongent l’observateur dans des abysses toujours plus différentes et génèrent une esthétique nouvelle.

Portrait d'un homme grand brûlé
©Clément Marion

« Phoenix » : du projet étudiant au livre thérapeutique

Une série sur les grands brûlés : combattre l’indifférence par la sublimation de la différence

Pour son projet de fin d’études, Clément Marion choisit de photographier des grands brûlés. Cette idée lui est venue d’un souvenir d’enfance. Dans son village vivait un homme gravement marqué par des brûlures. De cet homme, il ne connaissait ni son histoire, ni même son nom et n’avait jamais réellement eu l’occasion de discuter avec lui. Il se souvient seulement qu’il portait en permanence de grandes lunettes noires. Du haut de ses 4-5 ans, le jeune garçon était quelque peu fasciné par lui.

Quelques années plus tard, il est de nouveau confronté à cette réalité en visionnant l’interview d’une grande brûlée. Avant même d’interroger l’invitée, l’animateur interroge le téléspectateur : « Quand avez-vous vu un grand brûlé, pour la dernière fois ? Vous n’en avez pas vu ? C’est normal, ces gens là se cachent ». Ne pouvant nier l’évidence, Analogapertures choisit alors en sublimant ces corps d’interroger le regard que l’on porte sur les autres et celui que l’on peut porter sur soi-même.

Je me suis demandé comment aider cette cause, qu’est l’acceptation des autres, de la différence et qui prône la tolérance. Donner à voir, montrer dans le plus simple des apparats des gens dont le corps a été marqué était pour moi une manière de sensibiliser l’œil de chacun aux cicatrices, et peut être, éviter dans le futur des regards trop insistants, de curiosité, ou de peurs.

Clément Marion pour Beware!
Portrait d'une femme grande brûlée avec un oiseau tatoué
©Clément Marion

Le collodion humide : un allié pour réparer et valoriser les corps

De la technique au sujet en passant par les choix artistiques, rien n’est laissé au hasard. La seule chose qui n’est pas maîtrisée est le craquellement du collodion humide, une technique photographique datant des années 1850 : « Le collodion est une émulsion de nitrate de cellulose dissoute dans un mélange d’alcool et d’éther couchée sur une plaque de verre. Quand ce mélange sirupeux commence à se figer sur le verre, on plonge la plaque dans un bain de nitrate d’argent pour la sensibiliser. Il faut ensuite effectuer la prise de vue et le développement avant que la plaque ne sèche. »

Si le photographe a choisi d’avoir recours à cette technique, c’est en raison de la pellicule obtenue par cette réaction chimique. Lorsque celle-ci sèche progressivement de la préparation à la prise de vue jusqu’à la fin du développement de la photographie, elle se durcie, se rétracte voire craquelle. Une texture qui devient alors semblable à celle de la peau cicatrisée des grands brûlés. Un joli parallèle qui permet ainsi de mettre en valeur les reliefs de la peau et de les rendre davantage visibles.

D’autant plus qu’en discutant avec une modèle, le photographe a découvert que les composés du collodion humide, le collodion Cooper et le nitrate d’argent, sont utilisés séparément en médecine pour la cicatrisation de la peau. Une jolie coïncidence qui n’en est peut-être pas une.

Ce souci du détail, de penser la photographie comme un ensemble où se mêlent « fond, forme, histoire et émotions », se retrouve dans les photographes qu’il affectionne le plus. Parmi eux les classiques Sally Mann, Koudelka ou Mickael akermann, les plus contemporains David Siodos, Dorian Ferrand ou encore Simon Wansteenvinkle et plus particulièrement son dernier projet sur Wuhan.

Homme nu posant face à l'objectif
©Clément Marion

Un ouvrage thérapeutique collaboratif pour soigner les âmes

La photographie donne à voir un corps mais son impact sur l’esprit n’est plus à prouver. Si la violence du traumatisme physique subie par les grands brûlés est matériellement visible, il n’en est pas de même pour l’impact psychologique du regard des autres.

La prise de contact avec les modèles s’est faite plus ou moins facilement. Souvent contactés par le biais des réseaux sociaux, malgré quelques refus, la plupart ont été réceptifs, chacun pour des raisons qui leur étaient propres. Tous avaient des questions, des aprioris et des inquiétudes. À l’écoute, le photographe s’est appliqué à leur présenter le projet dans les moindres détails, à répondre à toutes leurs interrogations et à les apaiser.

À plus forte raison que cette série photo implique, par choix esthétique et volonté d’obtenir un résultat intemporel, de se mettre à nu. Littéralement. De s’exposer dans son plus simple appareil face l’objectif à l’objectif de rendre la pareille, on ne peut pas dire qu’il y ait qu’un pas. S’il est délicat pour la plupart des gens de poser nu par pudeur et en raison des complexes crées par les canons de beauté, cela l’est d’autant plus pour ces grandes brûlés de montrer des cicatrices que la société stigmatise. Certains n’ayant jamais posé, et encore moins nu, Clément Marion souligne leur courage de dévoiler au grand jour ce corps habitué à être caché.

Cette série est message de tolérance et d’espoir pour toute les personnes qui sont contraintes de vivre avec leurs cicatrices. Essayer d’ouvrir vers la différence, et ce qu’elle possède de riche. 

Clément Marion pour Beware!
Femme nue posant de trois-quarts
©Clément Marion

Avec l’une des modèles, Clélia Lebreton, ils ont décidé de transformer cette série en un ouvrage : « Brûlés ». Pour accompagner les images, la jeune femme a rédigé des textes, des pensées et des réflexions optimistes sur la condition de l’être humain face à la souffrance afin de créer un recueil photographique à but thérapeutique. Financé grâce à un crowdfunding, il a par la suite été envoyé gratuitement dans différents hôpitaux afin de servir de support à la reconstruction des personnes brûlées.

En tant que photographe, Clément Marion appréhendait cet exercice. Si l’image peut soigner, c’est qu’elle impacte émotionnellement. Par les mêmes mécanismes, il n’était donc pas exclu qu’elle puisse abîmer. D’après les retours des modèles, même si l’exercice a pu se montrer éprouvant dans sa réalisation, il a résolument été salvateur. Ainsi, le photographe projette de continuer à suivre la voie de la photothérapie.

Bien que cette série ait une place singulière au sein de son travail, Clément Marion a réalisé de nombreux autres projets. Une chose est sûre, ses prochains travaux continueront d’une manière ou d’une autre à questionner l’identité, à donner à voir le corps et ses marques et à faire la peau à l’invisibilisation.

Suivez l’actualité du photographe Clément Marion sur son site et sur son instagram. Et (re)découvrez le travail tout aussi poétique d’Harriet Parry.

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