Connue essentiellement pour ses monumentales Nanas dansantes et colorées, Niki de Saint Phalle a laissé derrière elle une œuvre protéiforme faite de tableaux-performances, de sculptures féministes ou encore de films psychanalytiques.
Impossible que son nom vous soit inconnu, son art a traversé les époques. Niki de Saint Phalle, c’est cette artiste engagée à l’origine d’œuvres mondialement célèbres qui résonnent encore avec les combats féministes d’aujourd’hui. En perpétuelle révolte vis-à-vis de son milieu, désireuse de dynamiter la représentation des femmes, Niki de Saint Phalle aura passé sa vie à tenter de se libérer des carcans à travers son art. Et pour cause : sans cela, ça aurait pu être une vie chaotique qui l’aurait attendu.
Elle dira d’ailleurs : « j’ai eu la chance de rencontrer l’art parce que j’avais, sur le plan psychique, tout ce qu’il faut pour devenir terroriste. Au lieu de cela j’ai utilisé le fusil pour la bonne cause, celle de l’art. »
« L’enfant de la Dépression »
Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle naît le 29 octobre 1930 à Neuilly-sur-Seine, un an après le départ précipité de sa famille des États-Unis. Ruiné par le krach boursier de 1929, son père dut, en effet, renoncer à la banque new-yorkaise Saint Phalle & Co. dont il était propriétaire. Renommée « Niki » par sa mère à l’âge de 4 ans, la petite fille passe les premières années de sa vie au domicile de ses grands-parents dans la Nièvre, avant de rejoindre ses parents, réinstallés aux États-Unis, à Greenwich. Là-bas, elle est élevée par une nourrice qu’elle surnomme « Nana ».
Sa vie est très vite marquée par un évènement tragique puisqu’à l’âge de 11 ans, elle est violée par son père, un épisode qui la laissera profondément traumatisée. Quelques années plus tard, elle explique que l’art « calmait le chaos qui agitait mon âme et fournissait une structure organique à ma vie […] ».
Bien qu’issue d’un milieu aristocratique et malgré une éducation privilégiée, Niki de Saint Phalle se rebelle contre les conventions sociales et le puritanisme ambiant. Elle rejette le puritanisme religieux, le maccarthysme de l’époque, se marie jeune et donne naissance à une fille, avant de s’installer à Paris.
En 1953, un épisode de dépression la conduit à l’hôpital. C’est à cette période qu’elle commence à peindre et à dessiner de manière intensive, révélant ainsi un talent indéniable. Dès lors, Niki de Saint Phalle décide de se consacrer pleinement à son art, explorant diverses techniques et développant un style unique et vibrant, pour se sauver du mal intérieur qui la rongeait alors.
La rencontre avec Jean Tinguely
En 1956, elle rencontre l’artiste suisse Jean Tinguely à Paris. Une rencontre décisive dans la carrière de la jeune femme. Elle quitte alors son premier mari en 1960 pour épouser Tinguely et s’installe avec lui dans un atelier parisien.
Jean va pousser Niki à la création, lui disant que la technique n’est rien et qu’elle peut s’apprendre tant que l’idée et le génie sont là chez les artistes.
Au moment où ils s’installent ensemble, apparait l’envie à Niki de faire « saigner la peinture ». Jean lui achète alors une carabine. Elle réalise l’année suivante ses premières séries de Tirs, qui scandalisent et lui apportent une reconnaissance internationale. Lors de cette peinture-performance, l’artiste vise avec une carabine des poches remplies de couleurs qui éclatent alors sur un panneau de plâtre, parfois agrémenté d’objets ou sculpté. Elle affirme alors tirer « sur la société et ses injustices ».
Grâce à son mari, elle intègre le mouvement du nouveau réalisme en 1961, dont il est le fondateur. Plusieurs artistes aux pratiques diverses forment ce cercle artistique et le décrivent comme une prise de conscience « d’une singularité collective ». Ils s’approprient le réel, puis le déforment avec leur propre vision et liberté.
Toujours plus engagée, toujours plus féministe
Après avoir trouvé son style, l’artiste rend son œuvre toujours plus engagée politiquement, libérée de tous les carcans de l’époque qui emprisonnaient les femmes dans des modèles de vie qui ne lui correspondaient pas.
Expliquant avoir été élevée « pour le marché du mariage » et refusant de ressembler, un jour, à sa mère, elle commence à créer ses célèbres Nanas en papiers collés et résine dès 1964. Ces femmes monumentales multicolores, dont on a l’impression qu’elles sont en train de danser, sont une célébration de la vie, de la liberté, de la volupté des corps. Elles sont « libérées du mariage et du masochisme », explique la sculptrice. « Elles sont elles-mêmes, elles n’ont pas besoin de mecs, elles sont libres, elles sont joyeuses ». Elles deviennent très vite des créations emblématiques, celles qui ont participé à faire entrer Niki de Saint Phalle dans l’histoire de l’art.
Toute sa vie sera marquée par un engagement sans faille. Lorsque le virus du SIDA se répand, elle crée d’immenses phallus colorés, comme une incitation à utiliser des préservatifs, elle dénonce également les violences faites aux Noirs aux États-Unis, ainsi que la domination patriarcale.
A l’assaut du Jardin des Tarots
Niki de Saint Phalle a un rêve : construire un jardin « pour rendre les gens heureux ». A la fin des années 1980, et jusqu’à la fin de sa vie, c’est le projet auquel elle se consacrera. Entièrement autofinancé grâce à un parfum à succès auquel elle a prêté son nom, le Jardin des Tarots, naît sous son égide en Toscane.
Jean Tinguely aidera Niki à la réalisation de ses sculptures, en donnant forme aux modèles de l’artiste. Niki disait qu’elle n’aimait pas les angles droits, qu’ils représentaient pour elle une société étroite et figée. Elle préfère les formes arrondies, qui lui rappellent la pureté de la nature.
Ce jardin est très poétique et ésotérique et comprends les vingt-deux arcanes majeurs du jeu du Tarot, représentées par de géantes sculpture encore une fois très colorées.
Niki de Saint Phalle : une touche à tout
Elle travaillera sur d’autres projets gigantesques, comme la Fontaine Stravinski à Paris. Elle réalisera également des films, dont Daddy en 1972. Elle sa battra aussi pour faire reconnaître l’œuvre de son grand amour, Jean Tinguely, à la mort de celui-ci. Elle réussira à faire reconnaître l’art de ce dernier et un musée sera créé en son honneur à Bâle. Niki de Saint Phalle s’éteint, à son tour, en 2002. Cette “Nana” inoubliable aura réussi à prendre sa revanche sur la vie et à révolutionner l’art.