Abigaël Coeffier

Les corps-enveloppes d’Abigaël Coeffier

Image d'avatar de Louise des PlacesLouise des Places - Le 13 août 2021

Des corps tatoués sous une lumière douce, des amis enlacés ou drapés de dentelles, des gens qui s’aiment et un regard bienveillant sur des peaux abîmées et des cicatrices… Voilà le monde photographique d’Abigaël Coeffier, une artiste française de 23 ans vivant et travaillant à Bruxelles. Actuellement à l’école de photographie ESA Le 75, elle a également étudié à l’école Condé, à Paris, et aux Beaux Arts de Lille.

Abigael Coeffier autoportrait voile transparent

Photographier pour ne pas oublier

Abigaël Coeffier est sensibilisée à la photographie argentique assez jeune par sa mère qui la prenait régulièrement en photo et lui offrait des appareils jetables. Elle a commencé à capturer les paysages de ses vacances, la rivière, les petits objets originaux qu’elle trouvait lors de ses déambulations (comme des ossements sur la plage), puis des portraits de famille.

Ce n’est que plus tard, vers l’âge de 16 ans, qu’elle se met à pratiquer sérieusement. Après avoir feuilleté des albums de famille, elle se retrouve attirée par la lumière, la couleur et les possibilités qu’offre cet art. À l’adolescence la photographie devient comme une extension de sa mémoire. Luttant contre des problèmes d’humeur et de dépression, elle retrouve dans ses photos des moments qui, même s’ils avaient pu lui paraître “futiles”, l’ont rendues très heureuse. Elle peut alors les imprimer et les garder sous les yeux. Une manière de cristalliser des instants de bonheur.

Abigael Coeffier homme dans un lit
Abigael Coeffier femme assise dans u lit

Après avoir essayé le numérique, elle décide de réapprendre l’argentique, qui devient son médium principal.

Le rapport au corps

Dans les artistes qui l’inspirent elle cite volontiers Nan Godin, pour son travail autobiographique et cette idée que l’on peut raconter et se raconter par l’art. Ainsi que Francesca Woodman, pour son obsession et compulsivité dans la photo. Comme chez les deux artistes, le travail d’Abigaël tourne autours de l’intimité, des relations humaines, et de l’ego. “Dans l’art on a tous une part d’ego, car on s’implique beaucoup dans ce qu’on fait, c’est une réflexion sur nous-même”. Elle travaille rarement par projet, et c’est en retournant dans son disque dur qu’elle trouve les liens. Le thème de l’amour revient souvent, l’amour au sens large, amoureux, amical, passé… Le corps a également une place centrale.

photo homme tatoué photo

Le rapport au corps est un thème récurent dans l’art, bien qu’il soit toujours présenté de manières différentes : que ce soit pour questionner le beau, critiquer les diktats de la société, parler de soi… La jeune artiste française a commencé à s’y intéresser à travers des crises de dissociation, qui lui font perdre contact avec la réalité, et où le corps a le statu rassurant d’objet matériel palpable. Il permet l’ancrage de l’esprit dans la réalité.

“Parfois j’ai l’impression de marcher dans une ville maquette, que les murs sont en carton et que je pourrais les pousser et les faire tomber. Beaucoup de choses me paraissent fausses et vides. Le corps est une enveloppe qui me permet d’interagir avec ce reste, quand j’ai l’impression que tout autour de moi est faux j’aime m’y rattacher, me concentrer non plus sur mes faits et geste, mais sur la matière, la peau, regarder mes mains et me dire que je suis bien là”.

Si elle est très angoissante quand elle survient dans une situation sociale, la crise dissociative peut être intéressante quand l’artiste l’expérience seule. “J’ai l’impression d’être dans The Truman Show, je ne me rends pas compte que ce qui ne va pas, mais quelque chose ne semble pas “juste”, comme si j’étais sur une constante fausse note”.

Abigael Coeffier autoportrait lumineux

En plus de l’aspect matériel, le corps fascine la photographe par les messages qu’il transmet, dans son langage plus lent, mais souvent plus honnête que celui du visage. Il y a une part de vérité plus pure dans le langage du corps, que l’on pense moins à contrôler que ses expressions. Ainsi les gestes nerveux d’une personne peuvent raconter une toute autre histoire que ses yeux souriants.

“Les corps m’ont toujours fasciné. J’ai toujours aimé les regarder, les dessiner… Surtout le corps des autres”.

poil et ventre

Confinement et exercice de l’autoportrait

Coupée du monde extérieur pendant le confinement, l’artiste s’est mise à faire des autoportraits. Premièrement pour contrer l’ennui, mais aussi pour combler un manque. “J’étais dans un appartement qu’on partageait à deux, puis qu’on ne partageait plus. Je n’avais plus personne à prendre en photo, et j’ai ressenti le besoin de jouer sur le double, combler le manque de l’autre”.

Autoportrait de l'artiste

Au lieu de prendre en photo des objets, elle décide de se prêter au jeu de l’autoportrait. À travers cet exercice, elle découvre comment prendre en photo sans voir, faire des compositions un peu hasardeuses, trouver des matières qui parlent et racontent quelque chose, même dans la solitude. Elle développe également les photos chez elle. C’est nouveau pour l’artiste, habituée à prendre en photo ses poches, les personnes importantes de son quotidien.

Abigael Coeffier autoportrait sac plastique
Abigael Coeffier autoportrait seins contre vitre

“Corps enveloppe” : un projet qui parle de rencontres

Pour son projet “Corps enveloppe” elle décide de faire un appel à projet, sans critère de sélection autre qu’un feeling mutuel, plutôt que de choisir ses modèles parmi ses proches comme elle en a l’habitude. C’est un projet qui parle de rencontres.

Je suis fascinée par la façon dont Diane Arbus se servait de la photo comme d’un passe partout et arrivait à rentrer chez les gens grâce à son appareil. Je me suis rendue compte que j’avais un peu cet accès-là, non seulement à l’habitation, mais à l’histoire.

Abigaël Coeffier
Abigael Coeffier corps nu
Abigael Coeffier visage femme

A travers la photo se créer des relations de confiance. C’est la rencontre entre les corps chauds et les corps froids. “On me raconte souvent des choses pas très évidentes, même lors que je me retrouve face à des inconnus, je trouve ça fort”. L’utilisation du format moyen et carré permet de se détacher de l’environnement et se focaliser sur le corps, créant une sensation d’intimité et de proximité.

Abigael Coeffier corps recroquevillé

“Corps enveloppe” c’est un peu voir les personnes comme des lettres. Il y a toujours un contenant différent du contenu. Certaines enveloppes corporelles sont parfumées, d’autres très formelles, presque administratives, il y a de nombreuses nuances dans le choix du papier, de la couleur, et dans l’écriture manuscrite de l’adresse… L’intérieur, le contenant, c’est le récit auquel on accède seulement en ouvrant l’enveloppe. Avec ce projet Abigaël tente de retranscrire des fragments de ces rencontres, non comme une vérité absolue, mais d’une vérité instantanée et éphémère. Le moment même de la rencontre, de ce qu’elle en a compris, ou ce qu’on lui a donné à comprendre.

Abigael Coeffier Louise épaule

Vers la multidisciplinarité ?

La photographe est également attirée par le dessin et aimerait trouver à l’avenir un moyen de mélanger cette passion avec son travail photographique. “Je n’ai pas encore trouvé comment bien équilibrer les choses, mais il y a rapport de plus en plus formel qui se fait entre mes pratiques artistiques dans lumière, la couleur ou la composition. Cela va finir par trouver une unité”.

L’artiste désire continuer son parcours par un master dans l’édition, pour pouvoir travailler le format du livre. Elle voudrait, au delà des expositions, pouvoir manipuler l’objet et jouer des matières ; faire en sorte que ses photos ne restent pas figées aux murs.

Abigael Coeffier autoportrait mirroir
Portrait photo visage femme rougit
Abigael Coeffier genoux
 homme portrait nb
personne blonde assise
photo de dos de femme
 blond bonnet
Abigael Coeffier cheveux
Abigael Coeffier portrait blond

Vous pouvez retrouver le travail d’Abigaël Coeffier sur sa page Instagram.

Plus de photographies sur Beware Magazine, avec le monde magique et sacré d’Alisa Gorshenina.

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Louise des Places
Article écrit par :
Louise des Places est curatrice et journaliste d’art. Au fil des années, elle a écrit pour de nombreux magazines d'art, a organisé des expositions et des événements en tant que curatrice indépendante et avec son collectif "Lonely Arts". Louise a travaillé comme assistante de galerie à Paris et assistante d’artiste à Bruxelles, et comme assistante curatrice stagiaire à Somos Arts Berlin et Index - The Swedish Contemporary Art Foundation à Stockholm.

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