Si Wes Anderson fourmille d’images et d’idées, il défend un paradigme hors du temps dans son 10e film, “The French Dispatch”, et n’a pas fini de nous laisser sens dessus dessous, d’histoires rocambolesques en rêveries amorphes, jouant sur tous les fronts, à coups de tableaux millimétrés et à la manière des grands maîtres, surjouant le genre et poussant à son paroxysme l’idée, le fond et la forme. Enfin, surtout la forme. Car Wes Anderson, c’est avant tout un univers visuel chamboule-tout, riche, coloré, délirant et onirique.
C’est la rencontre de Pissaro et Hockney lors d’un déjeuner sur l’herbe photographié par Man Ray. C’est le mariage des époques, des couleurs, des textures.
Ne tarissons pas d’éloges sur ce cinéma, qui assume la fabrication, montrant la trame narrative, dévoilant les décors comme personnages à part entière du récit. Du “Darjeeling Limited” à “La Vie aquatique” en passant par “The Grand Budapest Hotel”, Wes Anderson a la faculté de nous emporter tout entier dans ses récits fantaisistes, empreints d’une humanité fantastique.
Et dans “The French Dispatch”, c’est dans la vacuité des petites brèves que le réalisateur va mener sa barque, un œil sur l’espace et l’autre sur le temps, afin de nous amarrer à Ennui-sur-Blasé, ville fictive française, théâtre de la rédaction du magazine éponyme “The French Dispatch” (librement et fastidieusement inspiré du “New-Yorker”), animé par un dernier numéro à cheval entre l’avant-garde picturale et Mai 68, soulignant avec malice l’étrange, le sensationnel, l’idéal et le familier. Ça fait beaucoup on vous l’accorde, mais vu que ça ressemble à plein de choses et en même temps à rien de ce qu’on a déjà vu, on ne peut s’empêcher de souligner le génie et de railler le maniérisme de chaque plan, travail d’orfèvre, d’horloger indécent, à la limite du barbant.
Pour un film sur l’ennui, le sublime, le journalisme et la France, on est peut-être en plein dans le mile, non ?
En tout cas, Wes Anderson est patient dans ses hommages et reconstitue une ode à la magie de la création tout en soulignant les rouages de son système, donnant un ton burlesque et tragique à ses trois histoires (reportages) qui font le dernier numéro de “The French Dispatch” : (spoiler)
La Gloire de l’artiste post-moderne
`Oui! Mais dans l’antichambre du business de l’art, torture et enfermement couronnent le succès du… marché.
Les luttes étudiantes
Entre deux parties d’échecs se jouent les luttes étudiantes, ou les luttes tout court, lutter pour soi, ses désirs, dans un cri narcissique à l’aube de la société libérale. Ponctué par une allusion à “Harold et Maude” de Hal Ashby, qui pince le spectateur dans sa libération des moeurs.
L’étrange histoire de chef cuisinier
Le chef cuisinier du commissariat D’Ennui-sur-Blasé, qui engraisse et délecte de ses mets raffinés les forces de l’ordre, partisane du sort des damnés, qui côtoient le goût (de la bonne bouffe) à l’orée du couloir de la mort…
De mises en abîme en métaphores, Wes Anderson cultive la supercherie de la fabrication visuelle sans jamais toiser l’humanité. Il s’en approche et propose un bouquet garni aux senteurs pop et à l’âme chaude tout en racontant le tiède!
Le casting (ou le giga casting du film):
Edward Norton, Léa Seydoux, Lyna Khoudri, Owen Wilson, Tilda Swinton, Benicio del Toro, Cécile de France, Mathieu Amalric, Adrien Brody, Thimotée Chalamet, Elisabeth Moss, Guillaume Gallienne, Toheeb Jimoh, Christoph Waltz et beaucoup d’autres…
« The French Dispatch » de Wes Anderson actuellement en salle.
Et pour retrouver l’univers visuel du film c’est ici