Près d’un mois après sa sortie en France et à l’internationale, et malgré des critiques positives, tant côté presse que spectateurs, les recettes de « The Creator » ont tout juste dépassé son budget initial de 80 millions de dollars (sans le budget promotionnel). Si le film de Gareth Edwards n’aura semble-t-il pas su fédérer les cinéphiles, il n’en demeure pas moins un véritable bijou de Science-Fiction ; et son existence même, un véritable coup de poker face aux majors hollywoodiennes. Explication.
Une idée originale de Gareth Edwards
Suite au succès de Rogue One : A Star Wars Story, le réalisateur Gareth Edwards a le vent en poupe. Et c’est en 2018 qu’il se lance dans l’écriture de son quatrième long-métrage, une fable de science-fiction plus personnelle et ambitieuse que ne l’était son précédent film. Sorte de trip SF à travers l’Asie, le scénario de The Creator mêle intelligence artificielle et guérilla, avec en premier plan, les relations complexes entre êtres humains et robots. Si les grands studios refusent alors de produire le film, la société de production New Regency accepte de financer un repérage sur le continent asiatique, mais sans s’engager complètement dans l’entreprise. Gareth et son équipe décident alors de piéger le studio, et d’embarquer avec eux du matériel de prise de vue, dans le but de créer un court-métrage à même de convaincre les producteurs de la faisabilité du projet.
Une histoire de budget
Prenant donc tout le temps nécessaire à la réalisation de cet « avant-projet », l’équipe parcourt le Vietnam, le Cambodge, le Japon, l’Indonésie, la Thaïlande et le Népal afin de capter un maximum de ce qui fera l’ambiance visuelle et sonore de The Creator. De retour au pays, le réalisateur propose au studio ILM (Industrial Light & Magic) de prendre en charge les effets spéciaux de ce film préparatoire, en vue de présenter le projet à New Regency. Bluffée par le résultat à l’écran, et consciente du peu de moyens dont bénéficiait alors le réalisateur, la société de production décide d’allouer au long-métrage une enveloppe de 80 millions de dollars.
D’abord retardé par la pandémie de Covid 19, le tournage débutera finalement en février 2022 en Thaïlande, et s’étalera sur une durée de plusieurs mois, et à travers pas moins de 8 pays. Le plus souvent, le réalisateur adoptera, avec l’appuie de son chef opérateur Greig Fraser (Rogue One, Dune, The Batman) une configuration de tournage en équipe réduite, et usant de lumière naturelle, pour réduire les coûts de production et optimiser le temps alloué aux prises de vues. Le nombre de prises de son direct sera lui aussi minimisé. Quant aux effets spéciaux, le réalisateur n’utilisera aucun fonds vert, et l’ensemble des effets numériques seront réalisés intégralement en post-production, par superposition aux prises de vues réelles effectuées dans plus de 80 lieux à travers toute l’Asie. Fort de ses multiples astuces pour minimiser le budget, Edwards estimera plus tard que le film aurait coûté près de 300 millions de dollars s’il n’avait pas optimisé le budget de la sorte avec l’aide de ses collaborateurs.
Le Pitch
Dans un futur proche, humains et intelligence artificielle se livrent une guerre sans merci. Joshua, un soldat américain infiltré en Asie, est séparé de sa femme Maya au cours d’un assaut. Supposant que celle-ci est décédée, il rentre aux États-Unis, complètement dévasté. Lorsqu’il apprend cinq ans plus tard que Maya est peut-être toujours en vie, il accepte de se rendre à nouveau sur le terrain pour une mission de la plus haute importance : trouver et détruire une arme qui pourrait bien permettre à l’Orient de gagner la guerre qu’elle livre à l’Occident.
Une forte identité visuelle et un univers singulier
Si le scénario de The Creator n’est clairement pas l’intérêt principal du métrage, il sert davantage comme prétexte à un voyage initiatique à travers une Asie fantasmée et idyllique, dans laquelle cohabitent culture bouddhiste et curiosités cybernétiques d’un nouveau genre. Les simulants, ces êtres capables d’imiter à la perfection le comportement humain, et réclamant de ce fait leur autonomie, constituent avec les habitants du “Tiers Monde” une communauté rejetée et considérée comme barbare par la toute-puissance Américaine. Loin de présenter ces êtres comme une véritable menace, le film nous les montre davantage comme le miroir des craintes de l’Humanité moderne.
L’idée qu’une hégémonie occidentale puisse être dépassée par l’I.A, ainsi que par les populations qu’elle exploite, donne au film un propos très actuel. À travers ce qui apparaît comme une retraite tumultueuse sur ces territoires marqués par le temps et l’industrialisation forcée, Edwards fait le récit d’un continent tout en contraste, entre usine de textiles au service d’une mondialisation à bout de souffle, et temples hindous dont les rites ancestraux sont autant pratiqués par des simulants que par de « véritables » croyants. De la Baie de Ha Long aux flancs montagneux de l’Himalaya, le film nous emmène dans des paysages oniriques, transformés par la présence des technologies de l’I.A, et c’est bien l’imagerie ainsi présentée qui importe.
Un film politique ?
Allant jusqu’à envisager de faire concevoir la musique du film par une intelligence artificielle, Gareth Edwards livre un film qui tient néanmoins davantage du cinéma de divertissement que du pamphlet politique. Fort de thématiques très actuelles et d’un univers visuel singulier, The Creator est également une aventure à taille humaine, et l’histoire d’une relation entre un père (incarné à l’écran par John David Washington) et sa fille de substitution (Madeleine Yuna Voyles), et d’un créateur / créatrice et de sa création (dont on taira le nom pour ne pas vous spoiler). Cette épopée quasi religieuse à travers l’Asie à parfois des allures d’Apocalypse Now ou de Platoon, tant elle se dresse dans son propos contre l’impérialisme américain. En mettant sur un pied d’égalité l’existence des simulants et d’êtres humains colonisés, le film questionne la valeur de la vie humaine, relative au pays et à la condition sociale de chaque individu.
Un film à voir ?
Si les conflits qui délitent le cercle familial au centre de l’histoire ne sont pas toujours traités avec beaucoup de finesse, le long-métrage de Gareth Edwards a le mérite de proposer un univers visuel somptueux et singulier. À la manière d’un District 9 ou d’un Tales from the Loop, le film bénéficie d’une direction artistique marquante à bien des égards, la puissance évocatrice de certaines scènes dépassant le simple cadre de la science-fiction. Si vous ne l’avez pas déjà vu, on vous conseille vivement ce voyage pas si fantaisiste que cela, dans un monde où l’I.A se développe un peu plus de jour en jour, cristallisant les peurs et aspirations d’un futur qui échappe désormais à toutes prédictions.