La série After Lights Out initiée en 2013 est une porte d’entrée dérobée permettant de pénétrer dans le monde magnétique et délicat de Julien Mauve. Mais il serait injuste de limiter son travail à ce projet, tant le photographe parisien cultive une approche protéiforme, entre scénographies lumineuses et atmosphères vaporeuses.
Julien Mauve se dévoile par touche et nous laisse découvrir son univers, tangible et mystérieux. Une subtilité teintée de profondeur… et d’humour !
Quelle a été la genèse d’After Lights Out ? Quel message souhaites-tu transmettre à travers ces photos ?
Comme dans la plupart de mes projets, je cherche avant tout à créer un univers de fiction à partir du réel, tout en ajoutant différents niveaux de lecture. On peut voir cette série comme quelque chose de pictural : des paysages crépusculaires desquels émanent un point lumineux mystérieux, qui capte l’attention et suscite l’imagination. Une esthétique proche des peintures romantiques allemandes du XIXe siècle (Caspar David Friedrich, Ernst Ferdinand Oehme, …).
Et si on choisit de s’y attarder un peu, on pourra déceler un questionnement sur le rapport que l’on entretien avec la technologie, la façon dont elle s’est immiscée dans nos vies jusqu’à devenir naturel et invisible. La lumière est la manifestation la plus flagrante de ce progrès. Aujourd’hui les villes sont éclairées en permanence, il est devenu quasiment impossible d’y discerner des étoiles. Un terme (pollution lumineuse) a même été inventé pour décrire cette conséquence qui a de véritables impacts sur l’écologie.
Quels lieux t’ont inspiré ?
Il n’y a pas de lieu type, les villes à forte densité constituent un sujet intéressant car le sentiment d’étrangeté généré par le point lumineux y est plus fort. Mais j’essaye de varier pour ne pas tomber dans quelque chose de trop redondant. J’avais pour habitude de préparer les images et de les mettre en scène (sur certaines photos comme celle de la voiture, la lumière provient d’un flash déclenché à distance).
Aujourd’hui j’ai plutôt tendance à me laisser surprendre, comme cette image réalisée à Séoul en juillet dernier. Le point lumineux est en un écran LED géant diffusant des publicités.
Où les clichés ont-ils été pris ?
Un peu partout (Asie, Europe, Amérique du Sud). J’aime l’exploration et le voyage, j’ai besoin de me déplacer et de me confronter à d’autres lieux pour stimuler ma créativité et mon imaginaire. Je trouve que cela ajoute de la diversité à la série et permet d’atténuer l’effet de répétition.
La question du lieu est intéressante car elle revient souvent lorsque les gens me parlent de mon travail. Quelles que soient les séries, je ressens un vrai besoin de situer la scène géographiquement. Pourtant, la majeure partie du temps, le lieu est un élément accessoire. Il sert de décor mais n’est pas un acteur prépondérant dans l’histoire qui est racontée.
De quelle manière cette série s’inscrit-elle dans une démarche globale ?
C’est un de mes premiers travaux donc il est plutôt jeune. Comme la démarche globale ne couvre que 5 années, je n’en suis pas encore à situer les séries mais on peut dire qu’elle est le fondement d’un cycle qui englobe tout ce que j’ai pu faire jusqu’à aujourd’hui. On y retrouve des thèmes récurrents depuis 2013 : une considération écologique, un questionnement sur la place de l’homme, sur l’avenir de l’humanité, une certaine solitude face aux questions fondamentales que l’on se pose.
Le travail de la lumière est récurrent dans tes projets. Souhaites-tu ainsi accentuer le côté sombre de ton esthétique?
Greetings From Mars était plutôt lumineux mais c’est vrai que si on prend mon dernier livre (Titanic Orchestra, qui traite des attaques de Paris en 2015, avec des photos en noir et blanc flashées et brutes), on peut avoir l’impression que je dérive lentement vers le « côté obscur » de la photographie !
L’histoire sur laquelle je travaille en ce moment est esthétiquement plus proche d’After Lights Out.
Après il est vrai que j’aime travailler dans des tonalités sombres, j’aime les ambiances cinématographiques fortes créées par les brouillards, la nuit, la lumière artificielle. Ce sont des techniques efficaces pour happer le spectateur dans un univers de fiction, susciter le questionnement et l’imagination. J’accorde beaucoup d’importance à l’esthétique mais je ne veux pas rester prisonnier d’un style. Elle doit avant tout servir le propos, pas imposer une signature photographique identifiable à tout prix, au risque de se retrouver prisonnier.
Pour terminer, penses-tu être l’un de ces touristes que tu dépeins dans Greetings from Mars, toujours armé de ton selfie-stick?
Pas vraiment en fait… Je me situe plutôt dans la tranche années 90 allemande du tourisme, avec un appareil en bandoulière, des sandales et un short. Je suis de nature plutôt discrète donc je ne m’aime pas trop me mettre en scène. Et c’est vrai qu’en tant que photographe, j’ai plutôt tendance à me positionner derrière l’appareil plutôt que devant !
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