Pour illustrer les pouvoirs capricieux de TikTok en matière de publicité musicale, il suffit de penser au succès viral de « Sudno » de Molchat Doma – une chanson sur un poète qui envisage de se suicider, chantée en russe par un groupe post-punk de Minsk, adoptée avec enthousiasme par les TikTokers en 2020 pour servir de bande-son à des vidéos montrant des aisselles teintées en bleu et des chiens portant des lunettes de soleil.
L’exposition internationale a été le bon côté de l’indignité de l’utilisation frivole de leur musique lugubre. Le succès de TikTok a aidé le trio – le chanteur Egor Shkutko, le bassiste et claviériste Pavel Kozlov, le principal auteur-compositeur et producteur Raman Kamahortsau – à se faire un public en dehors de la Biélorussie. Ils sont signés par le label new-yorkais Sacred Bones et se sont installés à Los Angeles. Le mois prochain, ils joueront au Roundhouse de Londres dans le cadre d’une tournée européenne. Aucune date n’est prévue dans leur pays d’origine, la Biélorussie, connue pour être la dernière dictature d’Europe et un allié fidèle de la Russie.
Molchat Doma (qui signifie « maisons silencieuses ») fait partie des nombreux artistes biélorusses qui ont quitté le pays ces dernières années. Leur nouvel album, Belaya Polosa, signifie « bande blanche », ce qui pourrait être interprété comme une référence codée au motif du drapeau de la résistance utilisé par le mouvement de protestation durement réprimé au Belarus. Mais le groupe refuse de s’exprimer sur la politique. L’atmosphère d’effroi qui se dégage de leurs chansons a sa propre histoire.
La voix profonde de Shkutko, traitée par réverbération, révèle une branche de cette tradition. Il continue de chanter en russe depuis qu’il a déménagé aux États-Unis, mais il ressemble beaucoup à un chanteur anglais, à savoir Dave Gahan de Depeche Mode. La musique est un synthé-rock gothique avec des guitares sombres et une boîte à rythmes. Sa familiarité atténue l’éloignement des paroles pour les non-russophones. Ce style a également des antécédents russes, comme le groupe Kino, originaire de Leningrad, dans les années 1980.
L’album a tendance à s’enfermer dans un groove monotone, comme dans « Ya Tak Ustal » (qui signifie « Je suis si fatigué »). Mais les meilleurs morceaux, comme « Ty Zhe Ne Znaesh Kto Ya » (« Tu ne sais pas qui je suis »), sont imposants et dynamiques, tandis que le passage à un registre plus psychédélique dans « Chernye Cvety » (« fleurs noires ») laisse entrevoir de nouveaux horizons.