Luke Adam Hawker : récit d’une rencontre ratée

Image d'avatar de Arthur TerrierArthur Terrier - Le 10 août 2016

Faut que je vous situe.

Hier au soir, je fouille mon sac, mon gros sac en en cuir Arthur and Aston avec une longue bandoulière, car ma bouteille d’eau a fui, j’en ai toujours une sur moi de bouteille d’eau, mais elle a fui, au fond de mon gros sac en cuir Arthur and Aston, alors je retire chaque objet, patiemment, très patiemment, et même que je retrouve ça :

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Mais il faut encore que je vous situe.

Il y a trois mois, je suis dans le sud de Londres, au terminus de la ligne Victoria, au bout du bout d’un monde. L’air est humide, et puis lourd comme un temps anglais. C’est dimanche matin. Je passe devant un pub nommé le Black Dog. Je ne l’ai pas dit, mais j’ai sommeil, et, à me voir marcher, on voit que je me traine. Mais devant le pub, il y a une grande pancarte noir et rouge, où est écrit : « Art Fair » puis plus loin : « Meet the artists ». Je renifle, puis je rentre, dedans c’est bondé, mais bondé à l’anglaise, c’est-à-dire bondé sans que personne ne se bouscule, car tout le monde s’évite habilement ; à l’Anglaise. Sur trois étages, s’alignent des stands d’artistes en tout genre, vendant du sac à main en laine, des bijoux à froufrous, des colliers de perles, puis deux-trois personnes qui dessinent, tout de même. Au rez-de-chaussée, un dessin me plait bien, mais par attitude_pour le genre_ je fais d’abord un petit tour, et je regarde chaque stand, monte chaque escalier, mais aussitôt je m’essouffle, alors je sors du pub. Or voilà que j’y repense à ce dessin, je suis à un autre pub pas loin et je confie à mon amie le fait que j’y repense à ce dessin. Il me dit : « tu l’aimes vraiment? », _je hoche mes épaules_ puis il me dit: « vas-y prend le, tu t’en fous ». C’est vrai, je m’en fous, et d’ailleurs, je l’aime bien ce dessin, alors je quitte le second pub et retourne au premier pub, celui avec la pancarte rouge et noir, et j’entre_ c’est toujours bondé_ et je retrouve le dessin. C’est un grand crayonné de personnages divers et à diverses échelles, sur fond blanc. Je l’aime bien. L’amour, ça ne s’explique pas.

 

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Je cherche du regard l’artiste, j’ai les sous en liquide sur moi ; une liasse de livres anglaises à tête de Reine. On me pointe du doigt un gros gaillard accoudé au bar. Il boit sa bière, c’est normal, c’est 10 heures du matin, c’est l’Angleterre. Il me serre la main avec sa grosse pogne. Je lui souris, bafouille quelque mot, mais l’accent coince ; je crois avoir bégayé. Son dessin me plait beaucoup, je lui dis: « votre dessin me plait beaucoup », mais je bafouille encore. Il sourit poliment. Après tout, c’est un de ses « babies » qu’il me vend, c’est un bout de lui, un bout de ce gros gaillard. Faut que je dise quelque chose, lui montrer qu’il ne confie pas son dessin au premier dégénéré : « vous savez, j’écris des articles d’arts », mais je le dis mal, tellement mal : « you know i write things about arts », et il ne comprend pas. J’ai tellement sommeil. Voyant ma gêne, il ne prolonge pas l’échange et se saisit du cadre pour l’emballer sous papier.

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Moi, je fulmine, je veux lui parler, car c’est lui l’artiste, moi le scribouillard, je fais mon métier, alors je lui dis : « Vous avez dû faire des études d’architecture ». J’ai la bouche trop sèche, il ne comprend pas et répond : « Oui, c’est des gens qui attendent à la gare de Paddington. Je les ai dessiné ». Autour, d’autres dessins de lui : des choses observées, des monuments, des rues, encore des gares. La technique est irréprochable. Je regarde sa grosse pogne avec laquelle il m’a serré, et l’imagine tenir un crayon à papier, minuscule, rachitique crayon à papier. Avide de lui faire cracher quelques mots pour un article, je le relance d’un ridicule : «  C’est bien fait quand même ». J’ignorais quoi dire, je n’avais ni réflexion ni observation pertinente sur son travail. Lui non plus d’ailleurs. Alors je me saisis du cadre et « goodbye ».

 

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Je rentre chez moi, 100 mètres plus bas, puis pose le cadre sur une chaise et ôte le papier autour : c’est incontestablement des gens qui attendent le train, dessinés avec une excellente précision. Je plisse les yeux plusieurs fois et à nouveau je vois des gens qui attendent le train , dessinés avec une excellente précision. C’est ce qu’il m’a dit : « Je dessine ce que je vois ». Et il le fait très bien. Puis je me dis que Luke Adam Hawker, au temps du grand Venise, aurait été charpentier naval, et un sacré charpentier naval. La nuit, il n’est pas rongé par l’absurdité de l’existence, où d’autres désordres spirituels, mais il tient mieux son crayon que vous et moi. C’est un artisan. Un vrai artisan. Il a d’ailleurs de grosses pognes d’artisan. L’artisan ne se questionne pas sur les raisons d’être de son oeuvre: son oeuvre est là, elle existe. Point

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Avec Luke Adam Hawker, on ne s’est rien dit, on n’avait rien à se dire. Je ne sais rien de lui. Mais aujourd’hui, d’une certaine manière, on se réconcilie : il a fait son travail, et moi là, je fais le mien. Lui l’artiste, moi le rédacteur. C’est le bon ordre des choses.

C’est pour toi Luke. Thanks mate

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