Le pouvoir de la couleur pour représenter des émotions : c’est ce que Léonie Bischoff a compris grâce à sa sensibilité créative.
D’origine suisse, Léonie Bischoff est une autrice et dessinatrice de bande dessinée qui a quitté son pays natal pour faire des études en Belgique à l’institut Saint-Luc de Bruxelles. Elle publie sa première bande-dessinée Princesses Suplex chez Manolosanctis, puis rejoint les éditions Casterman en 2013 avec Hoodoo Darlin’.
L’adaptation de roman polar
Léonie Bischoff commence à se faire un nom dans le monde de la bande dessinée lorsqu’elle réalise une trilogie chez Casterman, co-écrite avec le scénariste Oliver Bocquert. Cette série est une adaptation des romans polars de Camille Läckerg, autrice suédoise. L’histoire est digne des romans policiers suédois : une jeune femme, Erika Falck, découvre le corps de son amie mutilé qu’on fait passer pour un suicide. Avec l’aide de l’inspecteur Patrick Hedström ils vont enquêter sur cette mystérieuse affaire.
Chacun des tomes adaptés reprend l’ordre chronologique des romans et possède sa propre ambiance angoissante. Pour faire régner une atmosphère permanente Léonie Bischoff a fait le choix d’un ton unique. La Princesse des Glaces, qui se déroule en hiver, tend vers le blanc et le bleu pour faire régner une ambiance glaçante et oppressante. Des tons plus chaud, marron et jaune, sont ceux de la bd Le Prédicateur, on ressent la chaleur de l’été, glauque et poisseuse, entre les pages. La dessinatrice attache une intention particulière à la couleur qui marque toute sa sensibilité.
Mais Léonie Bischoff n’exprime pas sa fibre artistique que par la couleur, les personnages et leurs expressions sont travaillés avec beaucoup de raffinement. Les gestes, le regard, chaque mouvement qu’elle inspire à ses protagonistes sont à prendre en compte pour comprendre le récit, ils font partie de la narration et participent à son déroulement. Les relations ainsi que les émotions sont les prédilections de l’artiste.
Le premier projet personnel de Léonie Bischoff
Cette année, elle publie son premier projet personne Anaïs Nin : Sur la mer de mensonge. Une œuvre de longue haleine qui lui a prit presque 7 ans de travail. Ces années ont été nécessaires pour approfondir les journaux intimes de l’autrice Anaïs Nin et sa correspondance avec l’écrivain Henri Miller. Léonie Bischoff parcourt pour la première fois la vie tumultueuse d’Anaïs Nin alors qu’elle a 13 ans. Depuis elle n’a jamais quittée ses livres, rêvant de faire une biographie de cette muse.
La dessinatrice se sent inspirée par cette figure féminine pleine d’ambiguïté. Elle désire raconter par sa bande dessinée les premières années de sa vie de femme : sa rencontre avec Henri Miller et la découverte du plaisir. Anaïs Nin c’est le parcours d’une femme qui tente de s’émanciper et d’explorer sa sensualité à travers l’écriture. Le roman graphique est formidable tant il arrive à nous troubler, nous aussi, face aux pensées complexes de l’écrivaine si bien retranscrites par le dessin.
Toute l’essence même de l’originalité de la bande dessinée est le choix créatif de Léonie Bischoff à se servir d’un crayon de couleur multicolore pour dessiner ses traits. Habituée à utiliser ce crayon pour ses dédicaces, la dessinatrice cherchait une nouvelle façon d’explorer son art comme son héroïne explore ses sentiments. Ce crayon lui permet de mettre de la couleur à chacun de ses traits qui s’illuminent tous ensemble et apportent une explosion d’émotion sur les planches. Le hasard se glisse même entre les pages, la dessinatrice laisse la couleur s’exprimer seule sans qu’elle n’intervienne. La seule retouche qu’elle donne est un coup de crayon violet, plus foncé, pour ombrer son dessin.
Comme pour sa précédente trilogie, Léonie Bischoff manoeuvre les couleurs à son gré pour traduire différentes ambiances et illustrer l’état d’esprit du personnage. La lumière créée par des couleurs vives et rayonnantes nous montre une Anaïs libre, en pleine découverte de ses désirs et de sa créativité ; tandis que les couleurs plus sombres pigmentées de bleu foncé et de violet sont l’illustration d’Anaïs enfermée dans ses doutes et ses craintes. Les traits teintés se substituent à la description, nous n’avons qu’à nous laisser porter par notre regard pour plonger dans l’éclat des ressentiments de l’héroïne.
D’ailleurs la bande dessinée présente peu de texte, tous les éléments qui composent les planches doivent être vus pour comprendre le sens du récit. Comme la couleur ; les postures, les gestuelles, et les regards sont d’un détail surprenant et traduisent l’action en cours. De nombreuses séquences sont muettes, il faut y prêter particulièrement attention, car faites de traits plus fins, elles sont l’intériorité de l’autrice où l’on peut apercevoir ses rêves, désirs…
Entrer dans ce roman graphique et parcourir les planches qui le composent c’est faire la connaissance d’Anaïs Nin dont la personnalité troublante vibre dans chaque trait. Léonie Bischoff livre un travail méticuleux, rempli de symbolisme, où rien n’est laissé au hasard (sauf la couleur).
Pour découvrir plus d’œuvres de Léonie Bischoff vous pouvez visiter son site web.