La leçon de pédagogie de Blanche Sabbah, celle qui Remue la nuit et les préjugés

Image d'avatar de Shad De BaryShad De Bary - Le 13 octobre 2021

Depuis 2017, Blanche Sabbah secoue les stéréotypes et l’intolérance sur son compte “La Nuit Remue Paris”. À l’occasion de la sortie de sa première bande dessinée, on a eu la chance de la rencontrer pour discuter inspiration, militantisme et pédagogie.

L'illustratrice et auteure Blanche Sabbah, pose dans un cadre jaune. Un dessin d'elle, dans le coin gauche nous salue : "coucou".
@lanuitremueparis

Pour les habitué.e.s du militantisme, son compte est un incontournable. Véritable bibliothèque de pépites, on y retrouve une diversité de sujets abordés avec humour et dérision. Toujours dans l’ouverture, Blanche Sabbah nous invite avec beaucoup de fraîcheur dans un univers marqué par l’envie d’apprendre et de partager. Et c’est probablement la recette de son succès : la jeune femme, à peine diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales, signe aujourd’hui sa première bande dessinée avec l’humoriste Marie Papillon.

Beware : qu’est-ce qui t’a amené à faire ton mémoire sur la résilience des survivants des attaques de Charlie Hebdo, et en particulier par une démarche qui se reflète par la BD.

Blanche Sabbah : ce qui m’intéressait c’était de me poser la question de ce qu’on engage quand on fait de la bande dessinée politique et quand on défend des convictions avec un trait de crayon. C’est une chose de défendre ses valeurs politiques dans un pays comme le nôtre, où on a quand même le droit de dire presque tout ce qu’on veut, mais c’en est une autre de le faire sachant que, potentiellement, on risque sa vie.

Et du coup, le fait d’avoir survécu à une attaque en raison de ses idées politiques, et de ce qu’on peut avoir représenté; et re-représenter après, c’est très fort. C’est donc une réflexion de ce qu’on risque en professant ses opinions, en maintenant le cap malgré tout, de ce qu’on engage de soi quand on dessine quelque chose de politique. Cela implique une sorte de non-séparation entre qui on est et ce qu’on produit.

D’ailleurs, tu interroges sur ton compte “La Nuit Remue Paris” des questions plus politiques : féminisme, communauté LGBTQ+ et écologie. Comment arrives-tu à te situer par rapport aux mouvements militants ?

Il n’y avait pas vraiment de choix à faire. Même quand je faisais des BD un peu plus légères, beaucoup plus centrées sur mon quotidien, c’était déjà toujours pour mettre en avant une forme de lutte contre les discriminations. Avant que mon compte rencontre la notoriété qu’il a maintenant, je racontais des choses plus personnelles, mais pas moins politiques.

Ce serait difficile pour moi de ne pas parler de ce qui me tient à cœur, et le féminisme tombe de soi dans mon travail, parce que c’est la cause de ma vie et ce que j’avais envie de défendre.

Blanche Sabbah

Je me mettais plus en situation, mais je dessinais déjà des choses qui me dérangeaient, souvent par le biais de l’ironie. Ce serait difficile pour moi de ne pas parler de ce qui me tient à cœur, et le féminisme tombe de soi dans mon travail, parce que c’est la cause de ma vie et ce que j’avais envie de défendre.

Le virage plus militant s’est opéré naturellement, je dirais. En 2019, j’ai rejoint le mouvement des Collages Féminicides, et j’ai commencé à beaucoup représenter mon militantisme. Avant, je militais en racontant des histoires, alors que là, je me suis mise en scène dans mon quotidien d’activiste. Et j’ai aussi rencontré des personnes activistes, et ça m’a vraiment propulsé dans ce milieu qui est devenu mon quotidien. Nécessairement, ça influe sur mon travail.

Extrait d'une planche de La Nuit Remue Paris. Titrée "tenue appropriée", on y voir une jeune fille en short qui demande "mais appropriée à quoi ?!" à un vieil homme en costume désuet : "au désir des hommes voyons!'
@lanuitremueparis

Du coup, tu t’inspires surtout de ton quotidien ?

Je dirais que c’est surtout mes lectures et mes observations. Souvent, les deux vont de paire. Une observation va me mener vers un livre, ou à l’inverse, une lecture va me faire remarquer des choses que je voyais moins avant.

Pour les personnages, par exemple “Jean-Michel Patriarcat”, ce sont souvent des concentrés de clichés. Au départ, il était inspiré des psychanalystes de la fin du 19e siècle, Freud et compagnie, parce que dès que je creuse un sujet, historiquement il y a toujours le passage obligé de la psychanalyse.

Et bien sûr, on en revient toujours au pénis, au désir refoulé, et à chaque fois que ça touche les femmes, la tragédie de nos vies revient à ne pas pouvoir être un homme. C’est presque devenu un running gag, et du coup il s’est transformé en personnification du patriarcat, dans sa tenue très ringarde et avec une attitude corsetée, en sueur.

Dans ton travail, on distingue une série particulière, distincte de ton flot d’idées : “Mythes et Meufs”. Comment ce projet se démarque-t-il du reste de “La Nuit Remue Paris “?

À la base, j’étais abonnée au compte Instagram “Mâtin, quel journal”, qui publie quotidiennement des BD engagées. À l’époque, je les suivais beaucoup, et j’avais très envie d’être publiée sur ce compte. Du coup, je les ai contactés et l’éditrice m’a rappelée pour me proposer de créer une série.

Et comme j’avais déjà fait une BD sur Méduse sur mon propre feed Instagram, je lui ai suggéré d’étoffer ce format-là, de retracer l’histoire d’un personnage connu de contes ou de légendes, par le prisme du féminisme. D’ailleurs, évidemment, Jean-Michel Patriarcat avait eu sa petite place dans la BD sur Méduse (rires).

Dessin de la créature mythologique Méduse, couverture de la seconde partie de la BD de "Mythes et Meufs", disponible sur Instagram.
@lanuitremueparis

L’éditrice a adoré, donc on s’est lancées pour voir si le concept prenait. Et ça a hyper bien marché, la série est devenue régulière. Du coup, on a aussi le projet de lancer une publication d’un album pour le printemps prochain !

En parlant d’albums, tu devrais sortir “Marinette” le 13 octobre. Tu pourrais nous en dire plus sur cette BD ?

“Marinette” c’est un travail d’équipe ! J’ai travaillé avec la scénariste Marie Papillon. Marie s’y met en scène avec sa fille imaginaire, Marinette donc. Marinette pose des questions sur la vie, et Marie lui répond de manière rigolote.

On a traité des sujets complexes, comme la masturbation, par exemple, ainsi que des notions de société : le racisme ordinaire, la grossophobie, l’homophobie … Du coup, c’est autant à destination des parents qu’à celle des enfants. L’idée, c’est surtout d’initier le dialogue sur des sujets pas forcément évidents.

Couverture de "Marinette". Sur un fond bleu Klein, dessin d'une mère et sa fille discutent assises sur un canapé rouge.
Couverture de “Marinette”, par Blanche Sabbah

Quelle est la place de la pédagogie dans ton travail ?

Dans mon travail en général, la pédagogie est très importante. J’essaie de vulgariser, de rendre accessible, des concepts militants et des sujets qui me tiennent à cœur. J’ai fait des études très savantes, et je trouve que ce savoir n’est pas assez diffusé.

La BD c’est un super moyen de partager ces connaissances pas toujours accessibles, parce que la sociologie reste quelque chose de très jargonnant, et que le militantisme se donne toujours comme un ensemble de notions très niche. Et je trouve ça dommage d’abandonner des personnes qui n’en sont qu’au début de leur cheminement féministe.

Et c’est ça que j’aimerais transmettre : le désir d’apprendre.

Blanche Sabbah

A mon sens, c’est très important de s’adresser à un maximum de personnes. Tout le monde a une légitimité, même si elle n’es pas toujours la même, à vouloir s’instruire sur le féminisme. Il n’y a pas de mauvais moment, pas de mauvaise porte d’entrée. Et c’est ça que j’aimerais transmettre : le désir d’apprendre.

Après 2022, j’aimerais me concentrer sur un autre projet qui ne soit pas 100% pédagogie. J’adorerais faire de la fiction. Alors évidemment qu’il y aura du féminisme, mais ce serait vraiment mis en narration, parce que c’est vraiment ce que je faisais avant “La Nuit Remue”. Idéalement, je souhaiterais garder les deux, le côté très militant, et le côté plus scénarisé.

Au-delà de la BD, tu parles aussi de ton engagement pour la mode durable sur Instagram. Comment tu l’intègres à “La Nuit Remue Paris” ?

Pour l’instant, c’est en plus du reste, je n’ai pas encore trouvé le moyen de le lier à “La Nuit Remue”. Je dessine très peu de vêtements et, jusque-là, je n’ai pas fait de partenariats avec des friperies par exemple. Mais je sais aussi que c’est une question de féminisme et d’exploitation des femmes, parce que les personnes qui produisent au Bangladesh, entre autres, sont des femmes mal rémunérées, dans des entrepôts insalubres.

Ce que je pouvais modifier dans mon quotidien, en revanche, c’était ma participation à l’industrie textile, qui est l’une des plus polluantes du monde.

Blanche Sabbah

Depuis un moment, j’essaie de tirer mon mode de vie vers quelque chose de plus responsable. Et ça vient beaucoup de discussions avec des amis très engagés. Cet été, il y a eu un gros tournant : je me suis fait un peu disputer par un ami qui m’a dit qu’avec l’influence que j’avais, et vu le mode de vie que je menais, je pouvais m’engager plus.

Il m’a dit qu’il ne s’agissait pas d’être parfait, mais de faire ce que l’on peut, là où on le peut. Et j’ai fait le tri de mes priorités : comme mes parents sont binationaux, c’était difficile de sacrifier les trajets en avion, par exemple. Ce que je pouvais modifier dans mon quotidien, en revanche, c’était ma participation à l’industrie textile, qui est l’une des plus polluantes au monde.

Portrait de Blanche Sabbah, devant le centre Beaubourg. Elle porte une veste en cuir avec un badge "résiste".
Crédit photo : Nour De Bary

Concrètement, on a trop de vêtements, il y a des montagnes d’habits gaspillés. Face à l’aberration de la Fast Fashion (l’ensemble des marques qui produisent en très grandes quantités à moindre coût, NDLR), je me suis promis de ne plus jamais acheter dans des grandes enseignes. Et comme je suis suivie par près de soixante mille abonnés, je me suis dit que j’allais en profiter pour leur partager des techniques et essayer d’encourager la mode circulaire à fond.

Même à titre personnel, je ne compte plus faire de partenariats qui consistent à produire des t-shirts, des mugs ou d’autres produits dérivés. En revanche, je suis toujours ouverte à des partenariats avec des associations comme je l’ai déjà fait avec Action Contre La Faim, par exemple. Je voudrais surtout mettre au service la valeur ajoutée de mes dessins pour promouvoir des valeurs qui me tiennent à cœur.

Tu as des conseils pour les jeunes artistes qui débutent sur Instagram ?

Alors Instagram est la seule plateforme qui ne rémunère pas les créateurs de contenus. En revanche, c’est une très bonne plateforme de diffusion. Elle m’a permis d’avoir un écho que je n’aurais jamais eu en dessinant seule dans mon coin. Ça m’a aussi facilité le lancement avec succès de ma boutique en ligne, parce que ce n’est jamais simple de créer du trafic sur un site web.

D’ailleurs, Instagram a changé son interface, c’est beaucoup plus simple de lancer son commerce dessus. Les publicités sont plus ciblées, les icônes d’achats plus accessibles. Même si la consommation n’est pas l’objectif premier, ça permet toujours de diffuser tout son travail.

Et c’est surtout une plateforme idéale pour interpeller les éditeurs ! Les maisons d’éditions sont venues vers moi via les réseaux sociaux pour discuter d’éventuels projets et partenariats. C’est un moyen de se professionnaliser, pas vraiment une source de revenus.

Dessin de Blanche Sabbah : qu'âtres femmes se tiennent par la main. Leurs bulles forment la devise "liberté, égalité, sororité"
Crédit photo : Nour De Bary

Retrouvez Marinette en librairies et l’actualité de La Nuit Remue Paris sur Instagram.

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Shad De Bary
Article écrit par :
" C'est une bonne situation ça, scribe ? "

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