Dur dur de s’attaquer au parrain de la techno. Considéré comme un des producteurs les plus inventifs et innovants de notre ère ramollie, pionnier de la techno de Detroit aux côtés de Derrick May, Atkins et Saunderson, chef de file du label Underground Resistance, acoquiné avec Kubrick, tantôt sorcier tantôt extraterrestre puis réalisateur, Jeff Mills aura donc marqué plus d’une génération. Le Louvre donnait la fameuse carte blanche à Laurent Garnier en 2006. Cette année, ce sont quatre soirées dédiées à l’expérience de Jeff Mills qui veut embrasser toutes les formes d’art et exprimer à travers elles des thèmes aussi opaques que la mort, la vie, le futur et la place de l’art dans tout ce bordel. La première partie avait lieu le 6 février avec When Times Split en réunissant Jeff Mills et le pianiste Mikhaïl Rudy pour une interprétation personnelle de L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot. On se rend à l’auditorium du Louvre pour la deuxième partie de cette immersion Life to Death and Back, ce 6 mars.
Salle comble. La longue silhouette de Jeff Mills s’approche au devant de la scène, histoire de vérifier si on est bien, posey, tranquilles. Après une courte introduction et une démonstration d’élégance hors-norme que « même Georges Abitbol il-a-jamais-vu-ça », la salle s’obscurcit et nous tournons maintenant le dos au producteur, humblement caché derrière ses platines.
Pour la faire simple, le film raconte le retour de trois divinités égyptiennes qui visitent le dédale de leurs existences dans le département des Antiquités du Louvre. Les images et la musique se répondent en miroir durant plus d’une heure et si les premières quinze minutes étaient déjà terriblement angoissantes, l’atmosphère s’alourdit et s’alourdit jusqu’au quasi-indigeste. La BO est vertigineuse à souhait, les boucles et l’épaisseur des basses chatouillent nos instincts technophiles, on reconnaît là toute la profondeur de la production musicale de Jeff Mills qui n’a de cesse d’explorer les vertus de la musique électronique sur notre santé mentale. Quant à la performance des danseurs, elle est belle évidemment : Michel Abdoul, le chorégraphe, a mis du cœur à l’ouvrage et s’est incliné devant toute la palette d’émotions et de concepts que le producteur voulait exprimer. Mais tout cet élan onirique – qui peinait à venir – est abattu sans pitié par des apparitions d’images en plein écran (qui ne font pas tellement sens?) ou s’égare dans la lenteur de certaines scènes, au même titre que certains spectateurs qui perdent le fil et baissent les bras.
Plus tard, les trois danseurs s’animent in situ sur scène au pied d’une vidéo psychédélique – qui tenait davantage du VJing – et proposent la conclusion qu’on attendait sans doute un peu. C’est donc l’art dans l’art dans l’art, ça en devient difficile d’y pénétrer sans saigner du nez mais ça ne laisse pas de marbre, ça fait causer. Jeff Mills est donc un merveilleux technicien de musique électronique, un homme inspiré et touché par de grands concepts, deux aspects essentiels – paraît-il – au postulat d’artiste. Mais on est jamais excellentissimes partout, et ça on lui pardonne pour l’éternité. Et puisque nous sommes curieux d’avoir votre avis, nous attendons vos billets les plus doux et vos rancœurs les plus acerbes à propos de la prochaine présentation « The Last Storyteller » tenue le 10 avril avec David Calvo.
(credits photos © Antoine Geiger)