Emir Sehanovic est né en 1981 à Tulza, en Bosnie-Herzégovine.
Tito est mort il y a tout juste un an. Le communisme aussi. En Serbie juste à coté, Milosevic rentre en politique. Il y a une guerre passée, et il y aura une guerre prochaine. Emir Sehanovic est un de ces enfants nés entre.
Ses premières armes, il les fait dans le street-art au début des années 2000. Toujours à Tulza, il fonde le collectif Manufaktura et alterne exposition personnelle et collective. Allemagne, France, Turquie, Croatie. Il amuse avec ses figures géométriques, ses corps entrelacés, zébrés.
Minimaliste, efficace, il faisait alors ses classes. Les mûrs de Bosnie s’en trouvaient mieux. Il mettait de la couleur, ça faisait cache-misère. L’art remplissait sa tache.
Puis il aurait pu disparaitre.
A Beware nous l’aurions aisément oublié dans la foule des graffeurs. Mais Emir Sehanovic s’est réinventé.
Bouleversement dans sa méthode. Il abandonne les bombes, et l’art sauvage/urbain, et travail dorénavant en atelier.
Il n’a besoin que de peu. Des morceaux de plomb et d’étain, un chalumeau et de vieux portraits d’une Bosnie passée. Il place avec une pince à épiler les morceaux sur les photos et dessine des forments, suscite une profondeur. C’est de la Molybdomancie. Un art divinatoire de l’ancienne Grèce.
Prenez un morceau de métal et secouez-le dans votre main pour le charger d’énergie, puis chauffez le à blanc et plonger le dans l’eau froide. La forme du métal occasionnée sous le choc thermique est alors sujette à votre interprétation. Il est de tradition en Bosnie que l’aïeul le pratique. Entre la méthode et le choix des photos, Emir Sehanovic pratique un double héritage. Historique et culturel.
Ses portraits deviennent alors obsédants. Les visages semblent imploser. Leurs identités, fondre. Le simple papier ne suffit pas, il faut de la matière pour saisir la complexité du vivant. Ces faciès du passé, avec leurs mêmes sourires, leurs même regards, deviennent uniques. Le magma de couleur représente le magma de l’être.
Si l’âme a une apparence, pourrait-elle ressembler à ça ? Et si oui, comme le jus d’un fruit trop mur, pourrait-elle dégouliner par nos yeux ? Emir Sehanovic détruit la façade du visage humain, et veut nous emmener loin derrière, de l’autre coté des yeux. Il nous fait entrevoir par le trou d’une serrure, le dedans de l’humain. Carnaval de couleurs et de fractal chaotique. Une explosion. Un vacarme. Toute la cacophonie de l’être éructent des portraits.
La guerre, le papier, le noir et blanc. Tant d’éléments qui pourtant pourrait étouffer l’homme. Mais Emir Sehanovic nous le fait apparaitre. Et d’une certaine manière, nous fait triompher.
Emir Sehanovic, à Beware, on ne te quitte pas des yeux.
Pour en voir plus : http://esh.ba/