«Mon travail montre des gens qui sont dans un état assez désespéré. Je donne à voir le ras-le-bol, la fatigue, l’âge, la frustration. Ces gens ne peuvent pas entrer dans la compétition. Ils sont psychologiquement handicapés.» Duane Hanson.
À l’image de ces paroles, l’œuvre du sculpteur américain Duane Hanson fascine par sa dureté. À travers ses 144 installations hyperréalistes grandeur nature, il est l’un des premiers artistes à mettre à nu une Amérique à part. Une Amérique des années 60 victime d’une société nouvelle de consommation profonde et sclérosée par d’hermétiques couches sociales dans laquelle le Rêve Américain n’est qu’un leurre.
Biopgraphie de Duane Hanson
Né à Alexandria dans le Minnesota en 1925, Duane Hanson débute rapidement la sculpture et obtient en 1951 un master en Arts Plastiques de la Cranbrook Academy of Art. Il installe ses studios entre la Floride et New-York et acquiert une renommée internationale de son vivant.
Ses sculptures s’équilibrent entre deux extrêmes, le Pop Art et le post-modernisme. D’un côté, elles attaquent le conformisme bourgeois en pointant les nouvelles évolutions sociales. Le progrès permet désormais l’enrichissement de tous. De l’autre, elles pulvérisent des systèmes de valeur. Ce progrès – justement – est un potentiel danger. Il s’affirme à contre-courant voire en réaction à l’impressionnisme abstrait et apolitique porté par des artistes comme Jackson Pollock, Mark Rothko ou Willem de Kooning.
Ponctué d’évolutions, son parcours artistique a gagné en subtilité au fil des années. Ses premières œuvres sont très engagées politiquement et abordent de lourds thèmes d’actualité de l’époque tels que les ravages des avortements illégaux, les abominations de la Guerre du Vietnam ou encore les atrocités racistes faites aux Afro-Américains. À travers un voyeurisme forcé, il oblige le spectateur à se confronter à une réalité volontairement ignorée. L’hyperréalisme en est troublant et le combat bouleversant.
L’année 1969 marque un tournant avec l’installation Supermaket Lady. Duane Hanson commence à installer ses personnages au milieu des visiteurs. Toujours aussi engagé, il ne provoque désormais plus seulement le système américain mais aussi le spectateur. En poussant le voyeurisme à l’extrême et avec un sarcasme grinçant, Duane Hanson place ce dernier au rang d’acteur direct des situations mises en scène et lui rappelle combien il se trouve enchevêtré lui-même dans un système. Presqu’à la manière du philosophe Emmanuel Levinas lorsqu’il évoque le visage, Duane Hanson remet en place chaque spectateur en lui rappelant sa condition humaine et sa responsabilité envers l’Autre.
C’est d’ailleurs l’utilisation de matériaux comme la résine de polyester, la fibre de verre, la peinture à l’huile couplés aux objets manufacturés tout droit sortis de nos propres placards qui permettent ce face à face quasi métaphysique. En effet, les raisons de son succès tiennent autant au fond qu’à la forme. La technique du « lifecasting » héritée de son confrère Georges Segal, expérimentée dans le passé par Auguste Rodin pour L’Âge d’Airain et très critiquée, consistant à réaliser les moulages directement sur le corps des modèles vivants, questionnant dès lors la position de sculpteur, semblent être la condition sine qua non à l’hyperréalisme.
Afin de rendre chaque représentation sociale plus flagrante encore – plus hyperréaliste encore –, Duane Hanson modifie quelques années plus tard son processus de création. Il emprunte et moule des parties du corps de différentes personnes pour une seule et même sculpture.
Chaque sculpture devient le portrait composite d’une tranche de la société. De manière très bourdieusienne, il envisage le corps comme « produit social » et recréé des portraits quasi sociologiques.
Une vingtaine d’années après sa mort, il semblerait que nos problématiques n’aient pas évolué. L’actualité de l’œuvre de Duane Hanson en est presque troublante. En effet, l’installation Race Riot pourrait être la représentation d’événements encore récurrents aux États-Unis et croiser dans un supermarché américain une Supermarket Lady est loin d’être impossible.
Chronologie:
17 janvier 1925 – Naissance à Alexandria, Minnesota
1946 – Diplômé en Lettres par l’Université Macalester
1951 – Il obtient un master en Arts Plastiques de la Cranbrook Academy
1963 – Il obtient le prix Ella Lyman Cabot Trust Award pour ses oeuvres sculptées en résine de polyester
1968 – Il épouse Wesla Host avec qui il aura deux enfants
1969 – Il déménage son studio de Floride à Manhattan, New-York
1973 – Il retourne vivre en Floride à Davie
janvier 1996 – Il décède d’un cancer à Boca Raton, Floride
Œuvres phares:
1965 – Abortion
1967 – Vietnam Scene
1968 – Race Riot
1969 – Supermarket Lady