Chiron Duong

À la croisée des mondes avec Chiron Duong ou le rêve d’un homme funambule

Image d'avatar de EstelleDCEstelleDC - Le 10 octobre 2022

L’artiste et photographe de mode vietnamien Chiron Duong rend hommage à son héritage culturel à travers plusieurs séries de portraits déconcertantes de beauté et d’authenticité.

Du regard de l’architecte à celui du photographe

Chiron Duong, de son vrai nom Dat Duong, est né en 1996 au Vietnam. Après le lycée, il décide de suivre des études d’architecture du paysage. C’est aussi à l’université qu’il développe ses compétences en tant que photographe de mode. Dans une interview pour The Selects Gallery, une galerie new-yorkaise spécialisée dans la photographie de mode, l’artiste de vingt-six ans revient sur cette transition : “L’architecture et la mode ont beaucoup en commun. [Quand je prépare une séance photo, NDLR] Je règle des problèmes fonctionnels et les concilie avec de l’art.” Il explique notamment qu’il a eu le déclic pour la mode et la photographie en visionnant la première saison de l’émission “Vietnam Next Top Model”. Âgé de dix-sept ans à l’époque, il s’achète un vieil appareil photo compact avec ses économies et reproduit avec ses camarades les concepts mode transmis par l’émission.

Série : ƯỚC VỌNG DARUMA / Daruma's Wish.
Série : ƯỚC VỌNG DARUMA / Daruma’s Wish.
Série : Love (Danish Girl).
Série : Love.
Inspirée par le film “The Danish Girl”.

À l’instar de célèbres créateurs de mode comme Gianni Versace, Virgil Abloh ou encore Thierry Mugler qui étudieront tous l’architecture comme lui, Chiron se tourne cependant vers la photographie. “Je suis davantage intéressé par les questions d’ordre social, la connexion entre l’habitat humain et la Nature, entre l’urbain et le rural. […] Pour moi, c’est plus intuitif de m’exprimer sur ces sujets en utilisant la photographie plutôt que le stylisme.

L’architecture, la mode et la photographie sont donc centrales au travail de Chiron Duong. Quand il doit penser en terme d’espace et de composition, que ce soit avant de photographier un modèle ou pendant le montage d’une exposition, il n’hésite pas à se nourrir de toutes ces disciplines pour donner à ses œuvres l’essence et la forme souhaitées : “Une fois que j’ai défini un design adapté à l’espace, j’utilise mon regard de photographe en le déposant sur l’élément artistique architectural en question. Ceci concerne le premier plan, le second et l’arrière-plan, et les ressentis des spectateurs lorsqu’ils ou elles se tiennent devant la scène. J’utilise également des connaissances en architecture et paysage dans mes photos, à la façon dont je crée le sentiment recherché et que je souhaite transmettre aux gens.

Portraits of "Ao Dai", jour 115/365.
Série : Portraits of “Ao Dai”, jour 115/365.

Quelque chose d’autre transcende dans l’œuvre de Chiron Duong : sa façon de traiter de nos émotions humaines. Les pigments ne sont d’ailleurs jamais choisis au hasard, car selon lui, les couleurs transportent avec elles les émotions. L’usage des métaphores est toujours pensé de manière à ce qu’elles soient les plus intelligibles possible. Il raconte : “Quand je veux traduire une émotion dans une photo, je me demande quelle technique utiliser pour la créer. Il est important selon moi d’utiliser des techniques qui respecteront les émotions. Les émotions doivent toujours précéder les effets spéciaux [visuels, NDLR] spectaculaires.

Notre enfance est remplie de rêves, de romance, de légèreté, nous possédons une curiosité pour le monde et une imagination illimitée. Ce sont des souvenirs magnifiques. Mais en grandissant, la volupté se perd, les couleurs tristes se révèlent davantage. Nous devenons tellement réalistes, cela nous vide. C’est pourquoi j’ai vraiment envie de rappeler cette atmosphère mystérieuse, onirique, fantaisiste, colorée comme l’expérimente un enfant, mais avec la vulnérabilité propre à l’adulte. Mes photos ont de la couleur et de la profondeur, l’atmosphère y est très chargée.

Portraits of "Ao Dai", jour 73/365.
Série : Portraits of “Ao Dai”, jour 73/365.
Portraits of "Ao Dai", jour 60/365.
Série : Portraits of “Ao Dai”, jour 60/365.

Notre enfance est remplie de rêves, de romance, de légèreté, nous possédons une curiosité pour le monde et une imagination illimitée. Ce sont des souvenirs magnifiques. Mais en grandissant, la volupté se perd, les couleurs tristes se révèlent davantage.

propos recueillis par Marie Audier D’Alessandris, The Selects Gallery (traduit de l’anglais)
Série : Current Memoir "Like a Dream".
Série : Current Memoir “Like a Dream”.

Les émotions universelles, les rêves d’enfance, mais aussi notre capacité en tant qu’être humain à survivre et dépasser des réalités parfois difficiles – la résilience en somme ; les relations entre les générations au sein d’une société ou les membres d’une même famille, la transmission, la surconsommation et l’épuisement des ressources naturelles, notre rapport à la Nature… Autant de sujets captivant l’artiste et qu’il insuffle dans son travail.

Des œuvres engagées, à l’éclat troublant et au style percutant

En 2021, Chiron Duong s’attelle à un “monument” de la culture vietnamienne : l’Ao Dai, une tenue traditionnelle composée d’une tunique et d’un pantalon, portée essentiellement par les femmes. Il avait noté l’intérêt d’amis étrangers qui ne cessaient de lui poser des questions sur cet habit. À son sens, ce vêtement atypique avait été malmené par plusieurs créateurs ou créatrices de mode au cours des dernières décennies ; ainsi remodelé à outrance et souvent hors contexte culturel ou historique, il perdit dans ces cas-là de sa signification originelle ou de ses attributs esthétiques ancestraux, ce que déplorait l’artiste.

Pour rendre hommage à cet héritage culturel ainsi que ses lettres de noblesse à l’Ao Dai, Chiron entame une série de 365 portraits, un pour chaque jour de l’année. Il souhaite (re)donner toute sa mesure à cet habit, reflet d’une Histoire, des mentalités, des valeurs et de l’esprit de tout un peuple. Selon lui, l’Ao Dai rappelle “la force, la simplicité et le pouvoir de séduction des femmes vietnamiennes” et renferme plein de souvenirs.

Portraits of "Ao Dai", jour 263/365.
Série : Portraits of “Ao Dai”, jour 263/365.
Portraits of "Ao Dai", jour 96/365.
Série : Portraits of “Ao Dai”, jour 96/365.
Portraits of "Ao Dai", jour 127/365.
Série : Portraits of “Ao Dai”, jour 127/365.

La richesse culturelle et artistique du Vietnam est prépondérante dans l’œuvre de Chiron Duong, que ce soit à travers la composition de ses palettes de couleurs, la multitude de symboles incarnés au choix du concept. Il s’efforce de transmettre les sentiments de mystère du folklore, de la foi et de la religion dans la vie des Asiatiques, grâce notamment à son utilisation du flou et d’un jeu de transparence, de textures, de lumière, de nuances tantôt flamboyantes tantôt flottantes, ce qui confère une vive impression fantasmagorique et surnaturelle à ses séries. Les Portraits d’Ao Dai en sont une fière représentation. D’autres séries manifestent également ces partis pris, comme celle consacrée aux 54 groupes ethniques dénombrés au Vietnam (tels que Pa Then ou Hà Nhì).

Série de photographies sur les Pa Then. Cliché n°1.
Série : PA THEN.
Série de photographies sur les Pa Then. Cliché n°2.
Série : PA THEN.
Série de photographies sur les Hà Nhì.
Série : MÙA XUÂN / Spring.
Inspirée des Hà Nhì, l’un des 54 groupes ethniques présents au Vietnam.

Enfin, Chiron a à cœur de dépeindre l’interférence entre les cultures occidentales, asiatiques et la culture vietnamienne en particulier, qui cohabitent à leur façon dans ses photos. Il explique qu’adolescent, la littérature et la peinture l’ont amené à s’ouvrir aux inspirations culturelles asiatiques ; en même temps, en grandissant, il a été fortement influencé par la peinture, la photographie et le cinéma occidentaux. “J’essaie toujours de trouver un entre-deux pour mon public en Asie et en Occident, en utilisant des thèmes et matières asiatiques avec des techniques venues de l’Ouest. […] Je veux que mon public occidental puisse ressentir cette histoire asiatique dans mon travail et vice versa.

Série : NGHỊCH ĐẢO XUÂN HƯƠNG / The Women of Illusion. Photo n°1.
Série : NGHỊCH ĐẢO XUÂN HƯƠNG / The Women of Illusion.

Sa démarche artistique, esthétique et personnelle – l’intensité des couleurs utilisées, la diversité des techniques, les thèmes abordés – lui vaut d’être lauréat du prix Picto de la Photographie de Mode 2020. Il fera également la une du numéro 48 du magazine Fisheye en juillet 2021. Quelques mois plus tôt, Chiron sort un livre retraçant l’ensemble de son parcours photographique sur deux ans, intitulé Stroll Through Colorful Planets. Pour décrire cette anthologie, il écrira en légende : “Quand vous vous autorisez à explorer le monde, à faire l’expérience d’une vie colorée, à écouter les récits de vie, vous découvrirez que celle-ci a bien plus à vous offrir ; et vous, d’en profiter pleinement.” Avant de conclure : “Après tout, mon but ultime est de connecter les gens sur une planète plus vaste et plus brillante.”

Série : NGHỊCH ĐẢO XUÂN HƯƠNG / The Women of Illusion. Photo n°2.
Série : NGHỊCH ĐẢO XUÂN HƯƠNG / The Women of Illusion.

–> Retrouvez tous les travaux de l’artiste sur son profil Behance ou sur ses deux comptes Instagram @chironduong et @chironduong.vietnamstudio

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EstelleDC
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