oiseaux volant au-dessus d'éoliennes, en contrebas ce qui ressemble à un amphithéâtre perché sur des montagnes

Benjamin Tejero : interview d’un illustrateur du point par point

Image d'avatar de Lucie SolLucie Sol - Le 13 juin 2023

Benjamin Tejero crée des illustrations colorées et dynamiques aux qualités esthétiques et narratives indéniables. Par l’image, il parvient à matérialiser sous les yeux des lecteur∙ices des textes divers, que peuvent être des articles de presse comme des livres édités, et se montre capable de s’approprier des sujets humoristiques comme plus sombres, en mettant toujours l’accent sur les corps.

oiseaux volant au-dessus d'éoliennes, en contrebas ce qui ressemble à un amphithéâtre perché sur des montagnes
©Benjamin Tejero pour Usbek & Rica X CEMD – Région Occitanie

Outre son travail d’illustrateur, Benjamin Tejero est aussi graphiste. Cela témoigne de sa grande créativité, l’artiste étant capable d’investir tout type de support et de commande, allant des illustrations classiques à des catalogues ou même à des marques de bière. Cette façon de procéder par commandes le pousse à devoir concilier goût du∙de la commanditaire avec son propre style, et à allier l’utile à l’agréable avec un certain équilibre.

Son style au point par point peut rappeler d’autres artistes contemporains qui sollicitent également cette technique à des fins modernes, comme Mattis Dovier. Celui-ci est davantage du côté du “pixellisme” que du “pointillisme”, ce qui fait tendre ses illustrations vers notre actualité. De la même manière, Benjamin Tejero joue de ce style pointilliste qui donne un aspect “un peu daté”, comme il le dit lui-même (voir plus bas) pour traiter de sujets profondément actuels, ne serait-ce qu’en illustrant la presse.

Dans cet entretien, il nous parle de son quotidien d’illustrateur professionnel, de son style, de ses sujets de prédilection, et nous confie son expérience d’artiste à l’heure d’aujourd’hui, entre plaisirs et difficultés.

Comment définirais-tu ton style artistique ?

C’est difficile d’avoir du recul sur son travail, de trouver un bon mot. On avait déjà qualifié mon style dans une interview [pour la marque de bière Fauve avec laquelle Benjamin Tejero a collaboré] de « pointillisme charnel », je trouvais ça sympa. Visuellement c’est figuratif, réaliste, coloré. J’aime aussi bien jouer avec des éléments qui viennent perturber la réalité dans l’illustration, c’est ce qui en fait parfois le message. Je dessine au point donc c‘est important. Je me suis fait une sorte de texture que je colle à chaque fois pour tous mes dessins quand je n’ai pas le temps. Je dessine avec un crayon, puis je fais ma colorimétrie de base et mes modifications par ordinateur avec Photoshop. Ça donne un aspect parfois un peu daté, qui ramène à des temps plus anciens.

homme en costume dans un endroit sombre, avec des lunettes de soleil, qui semble tirer les ficelles tandis que d'autres s'activent autour de lui. Photos de femmes et d'enfants sur la table
©Benjamin Tejero, pour Le Monde

Quelles sont tes influences artistiques, en termes de courants comme d’artistes ?

J’aime bien le travail de Gustave Doré. En termes de courants artistiques, la Renaissance est une période qui me plaît assez, tout ce qui a affaire au romantisme, au symbolisme. J’aime bien Klimt, Odilon Redon. J’aime beaucoup aussi en ce moment tout ce qui est estampe japonaise, c’est très illustratif, assez ancien et en même temps d’actualité graphiquement. Tout ce qui est hyper connu, Hokusai, Hiroshige… En plus contemporain, j’aime bien Ugo Bienvenu. Il s’est surtout fait connaître avec sa commande à Hermès, mais il sort plein de bouquins, il est très productif. J’aime bien Clément Vuillier, illustrateur, et Julie Curtiss, une peintre qui a une sorte de fétichisme pour les coiffures, les cheveux, les mains… D’ailleurs les mains sont aussi un élément qui revient fréquemment dans mon travail, même si ce n’est pas volontaire. J’aime aussi beaucoup le travail de Genesis Belanger, une céramiste qui fait un travail très illustratif.

Ça t’est déjà arrivé de faire des collaborations avec d’autres artistes, ou tu travailles en solo ?

J’en faisais quand j’étais à l’école, mais depuis j’ai bougé, je suis parti à Prague, j’étais plus dans le milieu associatif où on organisait collectivement des expositions pour d’autres. Après je suis revenu en France, et je suis un peu plus isolé maintenant, je réponds à des commandes. Je n’ai plus trop de contact avec des artistes. Parfois avec des anciens étudiants des écoles ou j’étais, mais ça devient assez rare.

homme sur le pont d'un bateau qui regarde les éléments se déchaîner, couleurs bleue et verte, éclairs, petit démon sur son épaule
©Benjamin Tejero, pour Vice Belgique

Tu disais tout à l’heure que tu procédais au point par point ; combien de temps ça te prend de faire tes illustrations ?

C’est assez long. Je dirai trois jours pleins facilement pour en faire une, mais vraiment complets, où je commence à 8h30-9h et je finis à 22h-23h. Mais maintenant il faut que j’aille plus vite, que je travaille différemment, parce que je réponds beaucoup à des commandes de presse où ils veulent souvent l’illustration pour le jour même. C’est pour ça qu’un jour j’ai passé toute ma journée à faire des points sur une feuille pour me créer une sorte de texture que j’utilise quand je n’ai pas le temps de faire du remplissage. Je l’utilise pour des aplats et ça fait l’effet. Mais ça reste assez long.

En parlant de commandes, comment tu fais pour réaliser celles qui te sont faites, pour comprendre ce que la personne veut en face et à être sûr que ça va te plaire ? tu trouves que ça limite ou que ça booste ta créativité ?

Ce sont souvent les mêmes clients qui me font des commandes, donc je sais ce qui leur plaît et inconsciemment je vais dans leur sens. Mais ça dépend, certains seront très dirigistes, ils me donnent un article et me demandent d’illustrer telle personne, dans tel mouvement, avec tel objet. J’ai parfois envie de leur dire de prendre une photo, ce serait plus simple ! Le résultat n’est pas toujours top quand c’est aussi encadré, parce que je me sens trop limité. Je cherche des photos sur internet, je fais des assemblages Photoshop, je modifie un peu quand je passe au dessin mais il y a toujours une base ; donc quand c’est des éléments aussi précis, c’est plus compliqué, moins naturel.

J’ai des clients où c’est très simple, j’ai carte blanche, par exemple pour Vice France ou Belgique. Je trouvais leurs sujets cools car c’étaient toujours des angles très sombres ou très drôles, j’avais beaucoup de liberté, je faisais un peu ce que je voulais. Parfois il y a des choses plus sérieuses, comme pour Libération, Le Monde, ou Le Temps. Puisque c’est plus sérieux j’ai l’impression que j’ai un peu moins de liberté, mais en général ils sont assez cool. Ceux qui me donnent les commandes sont des directeurs artistiques, ils savent ce que c’est la création, donc ils sont toujours assez ouverts et ils laissent assez de liberté. Parfois ce sont des sujets qui me dépassent, parce que ce sont des journalistes qui font des enquêtes assez poussées, c’est un travail sur une année et moi j’ai deux jours pour faire un dessin, donc je ne suis pas au même niveau. J’aime bien m’arrêter aussi sur le style d’écriture, quand il y a une métaphore qui me plaît. Avec l’illustration on ne peut pas forcément résumer tout un article, donc je m’arrête sur un détail qui me plaît, où j’ai des images qui apparaissent, et en général ça fonctionne.

homme à tête de cochon allongé face à quelqu'un qui cache une baguette magique dans sa main
©Benjamin Tejero pour Vice

Tu fais beaucoup d’illustrations pour toi à côté de ces commandes, ou non ?

Non, pas beaucoup. On s’enrichit beaucoup intellectuellement, on apprend plein de choses et ça nous pousse à nous dépasser, mais d’un point de vue financier c’est un peu compliqué, ça oblige à répondre à toutes les commandes qui passent. C’est aussi compliqué d’un point de vue personnel parce que tu ne peux pas t’organiser comme tu voudrais au quotidien. C’est un vrai boulot, ça peut être laborieux. Quand je n’ai pas de commandes je n’ai plus trop envie de dessiner. Peut-être que j’y reviendrais, j’avais lancé notamment une édition aux Beaux-Arts que je voulais continuer en sortant mais j’ai du mal à me mettre dedans, car je sais que je peux me faire appeler à n’importe quel moment pour une commande, et c’est difficile de s’y remettre une fois qu’on a été arrêté. J’avais lancé plusieurs éditions autour de l’homosexualité, parce que c’était un moment de ma vie où je commençais à accepter la chose. Ça se retrouve sur mon site dans l’onglet Personal Work, les éditions s’appellent Sauvage, Elpis, et une autre portait sur une expérience extraordinaire avec des sirènes et qui changeait un homme. Sauvage tournait autour de la forêt, Elpis autour de la grotte, et la dernière c’était un univers plutôt marin, j’aimais bien. J’avais envie de développer ça mais c’est un peu en stand-by pour l’instant.

corps d'homme allongé dans l'herbe, les doigts laissant apercevoir un champignon de la forme d'un pénis à l'endroit du sexe
©Benjamin Tejero pour Mycelium, Youri Johnson – Editions du Murmure

Par rapport à l’homosexualité, tu as fait plusieurs illustrations érotiques avec des sexes masculins. Est-ce que c’est justement dans cette démarche de parler d’homosexualité par l’art ?

Oui, tout à fait. C’est aussi un peu le hasard qui fait que j’ai continué à développer ça, parce qu’une fois sorti de l’école le magazine Etapes a publié mes illustrations homoérotiques dans un de leurs numéros. C’est une assez grosse vitrine, donc une fois que c’est sorti on me contactait pour ce style de travail, pour des dessins de corps, de nus. J’ai commencé avec Libération et Vice parce qu’ils avaient vu ces travaux-là et que ça les intéressait. C’est aussi ça qui influe le travail, une commande en amène une autre, on me voit dans un style, donc on m’appelle pour ça, donc je continue là-dedans.

champignons en forme de pénis
©Benjamin Tejero pour Mycelium, Youri Johnson – Editions du Murmure

Trouves-tu que le fait qu’on te colle l’étiquette d’un certain style et qu’on t’appelle pour cela te limite, t’empêche de le développer ?

Au début je trouvais que ça me limitait, oui. Ça devenait redondant. Mais ça a fini par évoluer, donc avec le recul je dirais plutôt non mais c’était quand même le sentiment que j’avais à ce moment-là. Le directeur artistique de Vice me lançait beaucoup sur des sujets un peu sombres, sur des histoires de meurtre, de viol, donc j’étais catalogué là-dedans même pour les autres journaux. C’est déjà arrivé que de nouveaux clients viennent vers moi car ils ont vu mon travail mais c’est assez rare pour les illustrateurs, c’est plutôt moi qui démarche. Comme on envoie les portfolios avec ce qu’on a déjà fait, s’ils voient une ambiance assez noire ils te catégorisent là-dedans. Mais sur la durée ça se lisse un peu, c’est plus varié.

ombre menaçante d'un homme armé devant un lit où dort quelqu'un
©Benjamin Tejero pour Vice

Trouves-tu qu’il y a eu une maturation entres tes œuvres d’avant et celles d’aujourd’hui, et à quel niveau ?

Je suis obligé d’aller plus vite aujourd’hui comme je le disais. Et puis j’ai grandi, j’ai vieilli, je vois plus de choses. Je regarde aussi pas mal de mangas, parfois je vois des choses que je trouve belles, esthétiques, et j’essaie de le remettre dans ma pratique. Je ne sais pas si ça se voit d’un point de vue extérieur mais récemment je fais un travail plus important sur les ombres. C’est quelque chose que j’ai rajouté dans mon protocole, c’est de plus en plus complexe. Mais je ne suis pas sûr que le dessin en lui-même ait beaucoup évolué.

chiens violets
©Benjamin Tejero pour Les Illustries

Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans l’illustration ? y a-t-il d’autres formes artistiques qui t’intéressent ?

C’est un peu le hasard qui fait que je suis arrivé là. J’ai toujours aimé dessiner, quand j’étais enfant je voulais faire soit vétérinaire soit portraitiste de chiens, j’avais une passion pour les chiens. C’est pour ça que je suis rentré aux Beaux-Arts, mais il y avait d’autres médiums qui m’intéressaient comme la photographie. A ma dernière école à Caen, ils avaient un super pôle céramique, ça m’a beaucoup plu. Je suis vraiment rentré dans l’illustration en sortant de l’école, quand c’était ce qui me semblait le plus simple. J’ai répondu à des commandes, d’abord avec du travail gratuit, et au fur et à mesure je commençais à avoir un portfolio que je pouvais montrer à d’autres, et c’est ce qui m’a mis dans le milieu professionnel. Quand on sort des Beaux-Arts il faut se vendre, aller aux expositions, rencontrer des gens, faire du networking… Je ne suis pas très à l’aise là-dedans, je préfère travailler chez moi tranquillement puis envoyer mes portfolios par internet.

céramique en forme de piscine rectangulaire avec échelle
©Benjamin Tejero, céramique

En parlant de tes études, tu avais intitulé ton mémoire « DES VIES », où tu mettais en scène grandes et petites vies, au sens de connues ou de non connues, à travers des grands et petits feuillets. Est-ce qu’il y a un lien avec Les Vies Minuscules de Pierre Michon en littérature, qui a aussi cherché justement à mettre en avant l’histoire de personnes inconnues, marginalisées ?

Je ne connaissais pas. Ça m’a l’air plutôt approprié comme référence, je pense que je le lirai. Je m’étais plutôt inspiré d’une exposition de Boltanski, Monumenta, qui parle beaucoup dans son travail « des grandes et petites histoires », ça m’était resté et c’est parti de là. Ça correspondait avec mon histoire personnelle, avec les gens que je rencontrais.

livre
©Benjamin Tejero, Des Vies, mémoire de fin d’études

Les corps semblent faire partie de tes sujets de prédilection (avec l’illustration de corps nus sur l’un des t-shirts d’Illustrie, avec l’exposition Marché de l’illustration impertinente, avec « Les fruits défendus »…). Pourquoi cet attrait particulier, en quoi la figuration de corps t’intéresse ?

Mon intérêt pour le corps est en lien avec mon intérêt pour les « petites » vies. Ma famille n’est pas du tout dans le milieu artistique mais hospitalier, et chaque été je travaille dans un hôpital gériatrique pour me faire de l’argent et financer l’année scolaire. Qui dit hôpital gériatrique dit des personnes âgées, des vieux, des corps. Quand j’ai commencé à 18 ans, on rentre dans une chambre, on voit une personne âgée dénudée, il faut faire sa toilette : ça m’avait marqué, choqué. Ça m’a amené à plusieurs réflexions, sur pourquoi j’étais choqué justement ; ce sont des corps qu’on ne voit jamais, qui ne sont pas montré, dont on dénie toute la sexualité. Alors que quand on est dans ce genre d’endroit on voit que non, ce n’est pas qu’attendre la mort, il y a encore une vie, parfois on tombe amoureux. Il y a plein d’histoires qui m’intéressaient énormément. Et les personnes avaient beaucoup de choses à raconter, avec leur petite histoire ils faisaient la grande Histoire. J’avais l’impression de découvrir le monde avec eux, et en même temps j’avais 18 ans. L’une d’entre elles m’avait parlé de sténodactylographie, c’étaient les secrétaires de direction de l’époque qui avaient appris un langage par symboles pour écrire ce qu’on leur dictait. Elle m’avait montré, c’était incompréhensible. C’est un métier qui s’est éteint il n’y a pas si longtemps. Il y avait aussi des histoires plus générales, sur la guerre… Ce sont des gens qui ont vécu tellement de choses. Et je trouvais ça triste le parallèle de les voir seuls dans leur chambre, qu’ils n’aient pas de famille ou qu’ils soient délaissés par elle. C’est quelque chose que j’avais envie de développer.

C’est quelque chose que j’ai creusé avec d’autres personnes également. J’ai aussi fait un travail sur un SDF que j’ai rencontré à Caen et que je voyais tous les jours sur le chemin, j’avais fait une petite édition avec du texte, avec des photos que j’avais déjà présentées à Beware!. Je l’avais appelé par le prénom de la personne, Pierre. C’étaient ses témoignages que je retranscrivais après avoir passé du temps avec lui. On se rendait compte avec son histoire que devenir SDF peut arriver à tout le monde. Ça n’a rien à voir avec les histoires qu’on se raconte de personnes qui ont toujours été en marge, un peu spéciales. Lui était installé dans la société, il est parti en dépression après avoir été trompé par sa femme, qui l’a viré de chez eux, il est rentré dans l’alcool, a perdu son boulot, sa voiture… Ça va très vite. Personne n’est à l’abri de ça, et je trouve qu’on porte un regard assez dur sur eux. Ce sont toujours des choses qui me révoltent un peu, je suis assez vite révolté. C’était quelque chose qui me semblait important et enrichissant.

homme dans un décor tout en rose
©Benjamin Tejero, Pierre

En parlant de texte, et étant donné que tu illustres de l’édition, de la presse, trouves-tu que les images apportent quelque chose que le texte ne permet pas, et quelle relation les deux entretiennent, de ton point de vue d’illustrateur ?

Ça dépend vraiment du client. Ce qui est bien c’est quand le dessin peut apporter une autre vision par rapport au texte, même s’il doit en traiter, le compléter, y répondre… Il peut y avoir un dialogue entre les deux. En général, ceux qui me disent exactement quoi dessiner ne sont pas très créatifs, et ça n’apporte pas grand-chose. Je pars du principe dans mon travail comme c’est de la commande que c’est toujours pour appuyer le texte, je ne sors pas non plus des sentiers battus pour dire quelque chose de totalement différent. J’avais eu une fois un cas comme ça pendant la période où je travaillais gratuitement – ce qui me permettait malgré tout de me laisser la possibilité de ne pas faire des choses qui ne m’intéressent pas. C’était pour le journal belge Kairos, un peu anarchiste, anti-tout. Ça portait sur les ZAD et je n’étais pas du tout d’accord avec ce qui était dit. Je voulais dessiner quelque chose qui disait le contraire mais ça ne marchait pas, donc j’ai fini par dire non. Je suis assez limité, même si ça se passe bien avec les commanditaires j’ai conscience que mon travail est fait pour appuyer un texte, pas pour lui faire du l’ombre ou se placer au-dessus. Pour l’édition c’est différent, l’illustration apporte un focus sur certains éléments, car il y a beaucoup plus de texte. Ça peut aussi apporter une respiration dans la lecture, c’est une autre façon de penser la chose. Quand ce sont des illustrations pour des packagings, des t-shirts, là c’est plus de l’esthétique. Si je peux y apporter aussi de l’humour c’est bien, mais tout dépend de la commande, du sujet, de la personne.

t-shirt avec des corps nus
©Benjamin Tejero, pour Les Illustries

Pour quel type de commandes préfères-tu travailler ; pour l’édition, pour la presse… ?

Tout. Je travaille beaucoup pour la presse, mais si je ne faisais que ça ça deviendrait redondant, surtout qu’en général ce sont toujours les mêmes sujets, il y a des tendances. Quand il y a eu la pandémie ça tournait beaucoup autour du coronavirus. Ils disent tous un peu la même chose, c’est normal, avec un point de vue qui change un peu mais l’information reste de l’information. S’il n’y avait que la presse cela m’embêterait. Quand j’avais fait les dessins pour les t-shirts il y a un an c’était bien aussi, c’était moins enrichissant car je n’apprenais rien mais c’était grisant de se dire que quelqu’un va le porter, être à la vue de n’importe qui dans la rue. Tu as envie que ton travail se voit quand tu es illustrateur, tout est bon à prendre. Si je pouvais diversifier encore davantage je le ferais.

couple qui s'embrasse pour se marier avec des masques covid
©Benjamin Tejero, pour Le Temps

Tout à l’heure tu parlais de Prague, de la Belgique… tu bouges beaucoup ? est-ce que ce goût pour le voyage a une incidence sur ta production artistique ?

Je bougeais pas mal, maintenant je suis plutôt basé à Charleville-Mézières. Je voulais aller vivre à Bruxelles mais il y a eu la pandémie, donc finalement je n’y suis pas allé, on a acheté un appartement avec mon copain, et adopté un chien. J’étais parti en Israël pour une résidence de trois mois, en Erasmus à Barcelone pendant trois mois… C’est super, on se rend compte que malgré le fait que ce soient des pays limitrophes ou beaucoup plus éloignés il y a toujours des styles différents. C’est enrichissant de voir autre chose, de développer d’autres trucs. Quand j’étais à Prague, là où je suis resté le plus longtemps, c’est un style de vie assez différent du nôtre. Ils ont beaucoup moins d’argent, c’est une vie assez rude. Mais d’un point de vue artistique, ils ont beaucoup moins de contraintes qu’en France, c’est moins sclérosé, il n’y a pas besoin d’avoir un grand nom pour exposer, des étudiants peuvent exposer à côté de grands artistes tchèques. Cela apporte une fraîcheur, une certaine liberté. La qualité de ce qui est proposé n’est pas toujours au rendez-vous, mais on voit des tendances se dessiner, des choses un peu plus fragiles mais avec des intentions ; alors tu extrapoles les choses, on se dit que ça pourrait être ça, et ça te donne envie de le faire. Ça te fait évoluer dans ta pratique. Quand on est dans le milieu créatif, je pense qu’il faut être le plus ouvert possible, voir le plus de choses possibles, et c’est ça qui t’enrichit, tu construis ton univers.

Tu as beaucoup de contacts avec des étudiant∙es en art ?

Pas trop, mais on m’a plusieurs fois pris comme sujet de mémoire. J’en ai en général un ou deux par ans qui me contactent pour ça. C’est assez flatteur, mais c’est quand même étrange parce que j’ai l’impression de galérer un peu de mon côté parfois. Et j’ai quand même mon réseau qui se fait autour de moi avec le temps. Que ce soit pour les sujets de mémoire ou pour les articles que je dois illustrer, ça m’oblige à me dépasser, à aller chercher plus loin, à relire des trucs. Parfois il faut être hyper pointu en sciences, d’autres fois c’est en littérature ; je ne suis pas trop mauvais dans l’un ni dans l’autre mais je ne suis pas un expert non plus. Un jour j’avais une grosse série à faire pour Libération, pour Bulb, sur la métaphysique quantique, seize sujets à illustrer en un mois, dont certains sur la physique quantique, l’étude des pierres, c’était très dense. Le problème d’être illustrateur, c’est qu’on est au bout de la chaîne, parfois on nous demande un travail puis d’un coup d’un seul on avance la date.

cérémonie chrétienne devant un homme crucifié
©Benjamin Tejero, pour Vice

Le métier d’illustrateur n’est pas encadré du tout ?

Non, pas du tout. Et puis le fait de travailler gratuitement au début en tant qu’amateur, ou même avec les alternances, les stages, ça pose aussi problème aux professionnels car les entreprises veulent du travail non payé. Après, il y a plein de métiers où on n’a pas la fierté de pouvoir montrer aux autres ce qu’on fait, de dire “regarde ça”, c’est sympa.

Et parmi les choses importantes qui me révoltent, le fait que la presse soit touchée par l’inflation, le prix du papier a quasiment doublé, donc ils demandent de moins en moins aux illustrateurs. Et il y a le spectre de l’Intelligence Artificielle qui commence à faire peur ; au début les journaux disaient qu’ils ne s’y mettraient pas et continueraient à faire travailler les illustrateurs, mais en fait on se rend compte qu’aujourd’hui ils l’utilisent de manière récurrente.

Quels sont tes projets artistiques pour le futur ?

J’ai une commande pour illustrer une nouvelle marque de bière, mais sinon comme je le disais j’aimerais faire un livre, j’y pense de plus en plus. Et je sais à qui je le proposerais s’il sortait. J’étais en communication visuelle dans mes études, et pas seulement en art, je ne me ferme pas la porte à ça non plus.

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Lucie Sol
Article écrit par :
Etudiante en Lettres Modernes à l'ENS de Lyon, je suis passionnée par l'art, la culture, la littérature et leur partage. J'aime particulièrement les œuvres qui interrogent des problématiques actuelles majeures comme le féminisme et l'écologie, ou qui questionnent les liens entre images et mots. Je vous souhaite une bonne lecture !

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