S’inspirant de vieux albums photos, de personnalités célèbres ou encore de tableaux d’artistes reconnus, Gideon Rubin réalise des portraits sans visages dont l’interprétation des traits manquants est librement confiée à chacun. Mémoire, identité et Histoire sont au cœur du travail de l’artiste israélien.
D’une enfance à Tel Aviv aux attentats de New York
Né en 1973, à Tel Aviv, Gideon Rubin est le petit-fils de Reuven Rubin, peintre reconnu, dont la carrière a débuté parallèlement à l’histoire de l’art israélienne. Avec Nahum Gutman et Ziona Tagger, il est le fondateur du nouveau style Eretz-Yisrael, à la fois moderne et naïf.
Bien qu’ayant grandi dans un environnement artistique, la peinture n’est pas une vocation pour Gideon Rubin. C’est une fois son service militaire effectué et un voyage en sac à dos expérimenté à 22 ans qu’il décide de devenir artiste. Il étudie alors à la School of Visual Arts de New York, puis à la Slade School of Fine Art, à Londres, dont il sort diplômé en 2002.
Présent à New York le 11 septembre 2001, il est durablement bouleversé par les terribles attentats. Pris dans une “tempête émotionnelle”, sa peinture s’en retrouve impactée. Il commence alors à esquisser de petites natures mortes de vieilles poupées qu’il chine. Touchés par l’effet du temps, certains de ces vieux jouets ont les yeux et la bouche effacés. Parfois leurs mains manquent. Quand il recommence progressivement à peindre le portrait de son entourage, c’est tout naturellement qu’il se met à réaliser ses peintures rapidement et comme pour ses poupées, à dessiner seulement leur silhouette.
Quelques temps plus tard, c’est en feuilletant des albums-photos de l’époque victorienne, dans une vieille librairie de Londres, que se complète son identité artistique. Ces clichés jaunis, symboles de vieux souvenirs, le confortent dans son envie de ne pas représenter les visages. Cette absence est pour lui une manière de ne pas imposer de limites. Sans visages, ces portraits sont comme une toile vierge pour celui qui l’observe. Libre à lui de lui associer le souvenir qu’il désire ou de laisser son imagination divaguer.
L’absence de visages à l’assaut des frontières
Cette absence de visage permet de s’affranchir de la temporalité, de la géographie et de l’identification. Avec les peintures de Gideon Rubin, rien n’est imposé, seulement suggéré. L’interprétation du portrait observé est laissée à la libre appréciation de chacun en fonction d’un souvenir ou d’une inspiration.
Ma femme est chinoise de Hongkong. Quand j’y ai exposé mes peintures, son père s’est reconnu dans l’une d’elles alors qu’elle était tirée d’une photo de 1935 en Pologne ou en Hongrie. C’est arrivé très souvent. En enlevant quelques détails, aussi infimes soient-ils, les images changent, s’entrecroisent et parlent à tous.
Son inspiration, l’artiste israélien continue de la puiser dans de vieilles photographies mais aussi dans les œuvres de grands artistes du XXème siècle comme Richard Prince, Philip Guston ou Willem De Kooning. Le plus souvent, il utilise comme support de la toile, du lin naturel ou du carton. Ses thèmes de prédilection sont la famille, l’enfance et la mémoire. Aimant mélanger les époques, il affectionne autant représenter l’ultra-contemporanéité en peignant les silhouettes de célébrités médiatiques comme la silhouette du Prince Harry, de Greta Thunberg ou de Bella Hadid que de se risquer à évoquer de tristes évènements historiques.
Pour une exposition à la demande du Freud Museum à Londres en 2018, Gideon Rubin s’est plongé dans le Vienne de 1938 qu’avait dû fuir Freud pour se réfugier dans la capitale britannique. Grâce à sa femme, il réussit à dénicher des magazines contemporains des faits dans lesquels apparaissent de nombreuses images de propagande (plus particulièrement des images idéalisées de santé pour promouvoir le mythe de la suprématie aryenne) et de symboles nazis. Ces découvertes lui inspirent une série de peintures sur toile, lin et papier, où il efface les références nazies, la croix gammée et les visages.
De même, il noircit une édition originale traduite en anglais de Mein Kampf dans le but de neutraliser son contenu. Ce Black Book servira de cœur et de titre à l’exposition. En recouvrant les symboles, c’est un moyen selon lui de contredire le concept freudien du refoulement en révélant une certaine vérité. Les propos haineux sont neutralisés, ils deviennent impuissants.
Tout comme ses portraits issus de vieilles photographies, ce Black Book est intemporel. Bien que cet ouvrage date d’il y a plus d’un demi-siècle, cette œuvre évoque la persistance de la haine raciale, de l’intolérance et du nationalisme. Une réalité d’autant plus pertinente comme le prouve l’actualité de ces dernières années voire semaines. Questionnant à la fois les affres de la guerre et la dissimulation des visages dans un monde obnubilé par l’apparence les œuvres de Gideon Rubin sont d’une pertinence déconcertante dans ce monde masqué et violenté.
Retrouvez Gideon Rubin sur son site et sur son instagram.
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