13h30. Un début d’après-midi pluvieux en plein cœur de Paris. On est lundi et c’est au jardin du Luxembourg que j’ai rendez-vous avec Adeline Mai.
Tout semble gris et morose, lorsque j’aperçois le dos d’une jeune fille dont l’allure m’est familière. Je m’approche et sans hésitation je la reconnais immédiatement. Vêtue d’un simple jean et d’un pull à rayure marine, c’est un sacré bout de petite femme qui se présente à moi . Elle passe la main dans ses cheveux et m’esquisse un sourire franc qui rayonne son visage aux yeux en amandes. Elle entame la discussion en m’apprenant qu’elle vient de couper ses cheveux, le début d’un renouveau et de légèreté dans sa vie.
Sans détour, je découvre cette jeune photographe, fraîchement diplômée de l’Ecole de L’image des Gobelins, qui se fait très rapidement repérer par de grandes pointures tel que JCDC, pour qui elle réalisera des photographies, ainsi que pour de célèbres magazines de mode. Adeline, tient aussi un blog où vous pouvez suivre au jour le jour ses actualités. Ses photographies sont des espaces de créations multiples où se déploie un univers enfantin et sombre.
Des images à foison qui parlent pour elle. Bref, cette jeune photographe de tout juste vingt deux ans est, sans conteste, dotée d’un talent très prometteur, mais pas seulement, cette forte personnalité au sens de l’humour acéré, sait nous immerger avec légèreté et naturel dans son univers à la fois volatile et subtile emplit de délicatesse.
Quel est ton état d’esprit en ce moment ?
Je vais plutôt bien, j’ai pas mal travaillé ces dernières semaines. Je suis très contente, certaines de mes photographies ont été publiées sur le site de Vogue. J’ai aussi shooté Rud Grint (Harry Potter) pour That Magazine. J’ai beaucoup voyagé pour réaliser des photographies. Heureusement, après demain, je pars en vacances, en Floride, c’est un endroit où j’aime me trouver et me ressourcer.
Parle moi de ton parcours.
J’ai grandi dans ce quartier, à Luxembourg, où je vis encore. J’ai d’abord, été étudiante à Henry IV, puis à Lavoisier. J’ai été une élève très timide et réservée, je n’avais pas beaucoup d’amis durant mes petites classes. Puis, j’ai rencontré une jeune fille qui était dans ma classe au collège lorsque j’avais treize ans. Elle était très ouverte et déjà très féminine. J’ai tout de suite eu envie de la photographier. Ce qui m’a plu, c’était sa manière de se comporter, de jouer, d’incarner un être à la limite de l’enfance et de l’adulte. Après ça, j’ai longtemps continué à photographier mes amies pour ne rien oublier des moments que l’on passait ensemble. Seules les filles m’intéressaient. Petit à petit, j’ai eu envie de faire des photographies avec davantage de mise en scène.
Comment ton entourage envisageait le fait que tu voulais devenir photographe ?
A l’époque, mes parents étaient totalement hermétique à cette idée, qui me voyaient déjà intégrer une école de commerce. Mais, je n’avais qu’un seul objectif en tête, faire de la photographie. J’ai rencontré la fondatrice du Magazine de Dirtyglam à ses prémices au lycée. Régulièrement je vais collaborer pour le magazine en parallèle de mon cursus scolaire. C’était une vraie chance, parce que j’avais à ma disposition des mannequins et des maquilleuses ce qui a pu nourrir mon Book. C’est aussi à cette époque que je rencontre JCDC. Part la suite, je m’inscrit à l’Atelier de Sèvres (Préparation artistique aux grandes écoles d’arts) à l’insu de la volonté de mes parents. J’avais une année pour intégrer une école de photographie, sans quoi j’aurai dû faire des études de commerces! Fort heureusement, j’ai été admise a l’École de l’Image des Gobelins.
Très tôt, tu te fais remarquer par JCDC, comment cette rencontre a t’elle eu lieu?
Parallèlement, avec mon vieux numérique je réalisais des vidéo que je postais sur mon Myspace. Je reçois un jour par ce biais, un message de JCDC qui m’incite à continuer et qui apprécie mon travail. A l’époque, je ne savais pas du tout qui il était, pour moi, c’était un homme habillé de couleurs très vives avec beaucoup d’amis (rires) ! Plus tard, j’ai la chance de le rencontrer à nouveau par hasard, lors d’un tournage pour un clip où j’étais figurante. Jean-Charles me reconnaît, il vient me serrer la main, on discute un long moment, puis il finit par me proposer une collaboration avec lui.
Quelle place a la photographie dans ta vie de tous les jours?
A mes débuts, la photographie était une vraie obsession, je voulais tout prendre en photo pour ne rien oublier. Puis, avec le temps, j’ai disposé d’appareils photos plus imposants et plus performants. Ils sont moins pratique à déplacer. Mais, je me trimbale toujours avec mon vieux compact argentique. J’aime autant la photographie où tout est mis en scène comme pour un shoot pour un Magazine, que la photographie instantanée, et c’est ce pourquoi j’ai commencé la photographie. Se souvenir à jamais de l’espace d’une seconde. J’ai des dizaines de disques durs remplis de photographies instantanées prisent depuis l’âge de dix ans avec mes copines, que je ne regarde jamais d’ailleurs.
Aujourd’hui, l’essentiel de ton travail est mis en scène?
En quelque sorte. J’essaie de reconstruire lors d’un shooting, la spontanéité et l’imprévisibilité de la photographie instantanée. J’essaie de revivre les mêmes sensations qu’avec mes copines lorsque j’avais quinze ans, en disant au modèle “Ah, attends! Bouge pas, tu es jolie comme ça!”. C’est à moi de guider le modèle pour en faire ressortir toute sa beauté. Aujourd’hui, lorsque je travaille avec des mannequins, mes clichés sont toujours plus aboutis si j’ai réussis à mettre à l’aise la personne. J’essaie de prendre soin du mannequin pour en faire ressortir le meilleur mais aussi pour révéler tout son naturel. Certains photographes mettent des heures et des heures à créer une atmosphère. Je suis plus spontanée et instinctive dans ma manière de travailler. J’installe le mannequin et j’essaie de la provoquer, de déclencher des émotions vivantes en elle.
Tu préfères travailler en argentique ou en numérique?
L’argentique me convient davantage pour mon travail personnel, parce que ce médium prend très bien la lumière et les retouches sont moindres. Mais, le numérique est une garantie supplémentaire pour un client ou pour un Magazine, parce qu’on voit tout de suite le cliché, on a pas d’effet de surprise et aussi cela coute moins cher.
J’ai découvert ton univers par le biais de ton blog. Une chose m’a marqué, c’est le titre. Pourquoi l’avoir appelé “Black Orchid”?
Je suis une grande passionnée de fleurs. Surtout les orchidées, ce sont mes fleurs préférées. Je les trouve à la fois mystérieuses, intrigantes et tellement raffinées. Elles ont des couleurs éclatantes et somptueuses. D’ailleurs, j’essaie de photographier mes modèles comme si elles incarnaient des fleurs délicates, et c’est là toute ma vision de la femme.
En plus des images, on trouve de la musique sur ton blog.
Oui, je veux immerger le spectateur dans mon univers. Mes photographies, qui font appel à la vue, doivent être en adéquation avec d’autres sens, comme le son. Je pense, que de ce fait, on perçoit mon travail différemment. J’essaie de provoquer un sentiment de délassement et reposant lorsqu’on regarde mon blog.
Tu photographies principalement des jeunes filles, pourquoi?
Étant très timide lorsque j’étais plus jeune, prendre en photo les jeunes filles de mon entourage a été une manière de m’intégrer parmi elles. Je trouvais ces jeunes filles tellement belles, elles étaient toutes très coquettes, elles se maquillaient et commençaient à avoir un potentiel de séduction. Elles avaient une immense beauté dans cette naïveté, dans cette ignorance de plaire sexuellement à un homme. C’est cette candeur et cette ingénuité que j’ai voulu photographier, et puis avec le temps, ce thème a été l’un de mes sujets de prédilections. Encore aujourd’hui, je suis extasiée devant de telles jeunes filles.
C’est devenu une obsession?
Esthétiquement parlant, certainement. Ces filles incarnent des lolitas, ce sont des nymphettes, des jeunes filles aguicheuses. Elles n’ont pas toutes toujours conscience de leur pouvoir sensuel sur les hommes. Au delà de ça, je ne recherche pas à capter la joie de vivre de ces jeunes filles, le côté niais ne m”intéresse pas. Je veux arriver à capter leur jardin secret, mais sans tomber dans quelque chose de malsain. C’est vraiment à la frontière de l’espièglerie et du pernicieux.
Penses-tu trouver une part de toi même à travers ces jeunes filles et plus généralement dans tes photographies?
D’une certaine manière. J’ai gardé un côté très enfantin et léger. Je suis encore parfois très garçon manqué. C’est l’idée de la femme-enfant qui me plaît. Mais, je suis très heureuse de grandir (rires gênés), je n’ai absolument pas envie de retourner en enfance ou au prémisse de l’adolescence. J’adore les enfants, j’aimerai en photographier davantage mais c’est difficile de trouver des modèles enfants. J’aurai peur de tomber dans quelque chose de pervers et qui soit mal interpréter. Je ne veux pas franchir la limite. Pour moi l’enfance incarne la naïveté et je ne veux pas qu’on en porte un regard sexuel. Sinon, effectivement, je me reflète énormément dans mes photographies.
Dans ta série de photographie “Men In Bed”, je trouve que la manière dont tu photographies les hommes est très féminine. Ces hommes ressemblent presque à de jeunes filles …
C’est possible. Mais, je préfère clairement prendre des filles en photos parce qu’elles sont plus expressives, alors que les mannequins garçons on leur apprend tous à poser de la même manière, avec une “tête énervée”. Et puis, j’adore la mode. Être sur un shoot et être entourée de vêtements somptueux de la Haute Couture, c’est un moment magique.
Quel est ton fantasme?
Sans hésitation, de pouvoir voler. Enfant, j’ai tout essayé pour voler, je voulais vraiment être “Fly Woman”! (rires). J’en rêvais presque toute les nuits. Du coup, j’ai réalisé beaucoup de photographies de jeunes filles qui sautaient. Dans ma série “Underwater”, j’ai photographié des mannequins sous l’eau. J’ai tout fait pour masquer le fait qu’elles aient été shootées sous l’eau, afin de donner l’illusion qu’elles avaient le pouvoir de voler. Je souhaitais donner un sentiment d’apesanteur et de flottement dans les airs. Ça a un côté intra-utérin fortement marqué, j’en ai conscience.
Tu photographies aussi des couples, comme dans ta série “J’ai embrassé l’aube d’été”, qu’elle est ton image du couple?
Je voulais recréer une entité. Deux corps, deux esprits qui n’en forment plus qu’un. Ça a un côté assez juvénile du premier amour, où les deux personnes sont toujours collées l’une à l’autre. Les gens ne les nomment plus par leur prénom respectif mais comme étant “Le Couple”. Cette série a été réalisée avec de vrais couples. Au début, j’ai commencé par les photographier habiller. Ils devaient être coller, au maximum, l’un contre l’autre. Puis, au fur et à mesure, lorsqu’ils se sont sentis plus en confiance, je leur ai demandé de se déshabiller. Je ne voulais aucun trou d’air entre eux. Mon image du couple c’est celle là, deux personnes, deux corps, deux inconscients qui ne forment plus qu’un seul et unique être passionnel. C’est tout ou rien.
Enfin, si tu n’étais pas Adeline Mai, qui aurais-tu aimé être ?
J’aurai voulu être Aubrey de Grey. C’est un chercheur qui a étudié sur la manière de devenir immortel grâce à des injections. C’est surtout la recherche qui m’intéresse, plus que le fait de vivre éternellement… Oh! Et puis, non! Je crois que je me serai plus amusée dans la peau de Spiderman!