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L’esthétique des luttes déclinée dans le récit photographique d’Abdo Shanan

Image d'avatar de Leila lakelLeila lakel - Le 6 août 2021

L’appareil photo d’Abdo Shanan vase communicant des vastes communicants : révoltés, assiégés puis rassemblés par leurs aspirations dans la rue, où il les photographie lors des manifestations du Hirak, du 22 février 2019 à aujourd’hui.

Ou encore dans l’intimité, où il immortalise des portraits silencieux, singuliers, tout en invitant à travers son projet au long cours “A Little Louder” à s’exprimer in situ, un peu plus fort.

Projet venant tout juste de recevoir la distinction du prix méditerranéen Albert Camus.

Pour le philosophe : « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. » Pour Abdo Shanan, il n’y a aucune impasse, tous les chemins mènent… à la photographie, son médium de prédilection grâce auquel il a su « trouver les mots justes », et réduire le fossé qui le sépare de l’autre.

Abdo Shanan
© Abdo Shanan A Little Louder

Cultivant l’altérité, il questionne l’identité au plus près, en plans serrés « pour saisir au mieux le corps en lutte, qui s’exprime». Il se confronte aussi à la condition de la photographie en Algérie, souffrant de moyens de production et de diffusion limités. Il va en faire son combat. Prenant à contre-pied l’institutionnel, il fonde en 2015 avec quatre de ses confrères un collectif : Collective220.

Collectif qui va permettre, in fine, de rétablir le dialogue avec un large public tout en étant à l’origine d’un parti pris artistique en dehors de tout dogme. Car si Abdo Shanan se refuse à tout « formatage », il pose les bases d’un collectif affranchi, assumant d’aller à l’encontre de la doxa.

Pas de demi-mesure pour cet artiste, qui dès lors participe activement à un mouvement émancipateur, en effet miroir des « mille et une histoires qui font le Hirak »

L’esthétique des luttes déclinée dans le récit photographique d'Abdo Shanan 1
© Abdo Shanan A Little Louder

« Je suis au plus près de la foule, mes plans rapprochés sont une mise en abîme de ma propre mobilisation »

On ne peut s’empêcher d’inscrire Abdo Shanan et sa confrontation au réel dans le sillage de ses prédécesseurs, à l’instar d’Henri Cartier-Bresson et Robert Capa (entre autres) qui, en fondant l’agence Magnum, ont réformé le photojournalisme des années 1950.

Si l’artiste a pu se familiariser avec l’agence, en y effectuant un stage en 2012, il insiste sur une distinction :

« Je ne suis pas photojournaliste, je ne veux pas être prisonnier de la réalité, mon œuvre est sensorielle. »

Abdo-Shanan
© Abdo Shanan Diary
Photographie par Abdo Shanan
© Abdo Shanan Diary

Abdo shanan se définit naturellement hors du cadre, « j’aime le terme de storytelling pour qualifier mon travail ». Ainsi, il façonne son récit photographique à l’image d’un conte poétique contemporain.

Un conte, où le leitmotiv de l’opposition trouve son origine dans la structure formelle de ses compositions.

Décryptage:

Si on peut opposer le bruit au silence, Abdo Shanan propose lui un nuancier synesthésique à la frénésie des manifestations : le vendredi, jour de rassemblement, il effleure les pleurs des foules armé de son 80 mm. Haut en couleur et en rythme, il retranscrit chaque témoignage en brossant la singularité, en scrutant l’émotion d’une main, d’un coup et d’un regard commun il fait parler le corps, fil conducteur de l’émancipation. L’expression comme seul moyen de lutter contre l’oppression ?

Oui, radicalement oui. Et l’artiste nous livre toutes les gammes d’une mélodie rythmée par la fracture dissonante des autres jours de la semaine :

« Il y’avait un flottement entre le vendredi (jour de manifestation) et les autres jours de la semaine, comme si l’effervescence des luttes avait laissé place au néant. » Ce flottement, cette fracture, le photographe les illustre par l’utilisation du noir et blanc.

Il photographie des paysages, des lieux vides, en plans larges.

Puis, il va à la rencontre, se refusant à croire que la révolte s’est tue, il dresse des portraits reflétant des combats protéiformes.

photo de désert
©Abdo Shanan Dry

« Je suis allé à la rencontre des acteurs de ces mobilisations, et je me suis aperçu que leur action continuait sous différentes formes. Et que la manifestation n’était pas qu’un lieu, mais un état, une attitude au-dedans pour changer le dehors. »

Loin des foules, l’oeil d’Abdo Shanan capte l’essence même de « l’insurrection ».

« J’ai brossé leurs portraits comme moyen supplémentaire d’expression à leurs luttes. »

Photographie noir et blanc par Abdo Shanan
©Abdo Shanan Diary

« Je pense que le langage est le moyen d’échapper à l’oppression. Le langage universel, celui que l’on peut ressentir. »

Plus tard, il va continuer de s’interroger, lui qui a choisi de ne pas photographier les banderoles, les pancartes où tout autre indicateur temporel lors des manifestations, afin de se libérer du prisme de l’information au profit « d’une photographie sensorielle » qui donne à son projet “A Little Louder” une portée intemporelle et universelle.

En revenant sur les origines du “déclic“ qui l’a amené à photographier les manifestations, Abdo nous confie qu’il lui est apparu comme nécessaire en tant qu’artiste de mettre en lumière ce qu’il ce passait. « il s’agit avant tout d’un acte citoyen qui me concerne en tant  qu’être humain. Il y’a quatre ans tu m’aurais dit d’aller photographier des manifestants, je t’aurais dit : non ! Après le 22 février 2019, ma vision a évolué. »

Aujourd’hui, Abdo est en France et il s’interroge sur la façon de mener à bien ses projets face à la difficulté de se réunir en temps de crise sanitaire. « Quand les regroupements sont interdits au même moment où la répression, l’enfermement et la violence d’État font loi. »

Une occasion pour lui de prendre du recul et d’éditer un “petit” livre de son projet “A Little Louder” regroupant des photographies inédites.

Certaines d’entre elles se sont également glissées dans cet article…

Le site de l’artiste

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Leila lakel
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