reine louve

Reine Louve : La nudité comme sujet désirable et non objet de désir

Image d'avatar de Louise des PlacesLouise des Places - Le 16 avril 2020

En questionnant le corps individuel, mais aussi le corps collectif, Reine Louve (Léonore Camus-Govoroff) ondule entre féminisme et anthropologie queer, dans un travail engagé qu’elle édulcore par la pop culture et le BDSM softcore. 

Construire son identité

Léonore Louve, par les deux prénoms qu’on lui connait, est une artiste de 22 ans, engagée et fervente activiste de la cause féministe et LGBTI+. Actuellement en Master Art Espace à L’École Nationale des Arts Décoratifs, elle a également étudié en Media Art à la Staatliche Hochschule für Gestaltung à Karlsruhe, en Allemagne.

Reine Louve allongée sur le sol, une longue tresse accrochée au mur, performance,
Body Fluid #3 – The Braided

Tout en construisant progressivement son “identité visuelle propre”, l’artiste désire expérimenter le plus possible. Transdisciplinaire, elle exploite de nombreuses techniques comme la céramique, le métal, le textile, la photographie (numérique et argentique), ou encore la performance. “Pour moi c’est important de varier car plus il y a matériaux, plus cela offre de sensations différentes et permet de faire évoluer et de préciser le discours, tout en fluidifiant la pensée”.

céramique blanc/rose/jaune Reine Louve
paper clay + porcelain

Elle développe également son identité à travers la sororité, et la collaboration entre artistes femmes (cis et trans) ou non-binaires. C’est la visée de l’association Alien She, créée par son amie Cléo Farenc, dont elle est une membre active. Leur première exposition, en octobre 2019, avait réunie des centaines de personnes.

Glorifier, démystifier, mettre en avant, donner le choix, libérer…

Ses travaux sont multiples de sens, mais vont vers un but commun : la libération des corps, et notamment celui de la femme. Si certaines œuvres mettent en avant le fait que la nudité n’est pas sexuelle, d’autres la sexualise, mais toujours sans l’objectiver. C’est un des grands messages du discours de l’artiste : chacun.e peut et doit décider pour soit-même si sa nudité est sexuelle ou non, un choix qui peut varier à tout moment, et en fonction des personnes qui nous regardent.

Reine louve, photo noir/blanc, femme qui se regarde dans un miroir de salle de bain
L’heure du bain

“La nudité féminine est hyper sexualisée et surexploitée par toutes sortes d’industries, souvent dans un but marchand. Ces corps sont imposés comme objets de désir et non comme sujets désirables”.

En réintroduisant la notion d’intimité dans ses travaux (photographies dans des chambres, des salles de bain…), où la nudité est à la fois sujet et médium, elle rend aux corps leurs identités. On ne voit plus un simple corps nu, mais des femmes à part entière, des personnalités, des moments de confiance totale partagés avec l’artiste, des intérieurs intimes tous personnels et différents, des cicatrices comme marques de vie, des physiques qui sortent de “l’idéal” que l’on ne voit que dans la mode et la publicité. Des sujets qui se muent tous différemment sous le même regard, à l’image de la femme qui n’est pas “une” mais multiple.

Reine louve, photo noir/blanc, femme dans une baignoire
reine louve, photo noir/blanc, femme sous la douche
L’heure du bain

Sa série de photographies “allowed nudity”, où elle se dénude partiellement au Musée du Louvre, rappelle la célèbre affiche des Guerilla Girls (groupe d’artistes féministes qui promeuvent la place des femmes et des personnes racisées dans le monde de l’art) : “Est-ce que les femmes doivent être nues pour entrer au Metropolitan Museum [New York]”, dénonçant l’infime pourcentage de femmes artistes exposées, en comparaison avec l’abondance de nus féminins.

reine louve seins nus au Louvre
reine louve seins nus au Louvre
Reine louve seins nus jardins du Louvre
allowed nudity

D’autres photographies, qui peuvent être jugées plus “choquantes” et sont donc souvent censurées par Instagram (comme des culottes et serviettes hygiéniques tachées de sang de règles), participent à démystifier la femme, en l’arrachant à ce rôle d’objet de désir presque sans âme qu’on lui attribue souvent. Une autre revendication du mouvement féministe : poils, règles, type de corps ou de visage, la femme ne devrait jamais avoir honte de sa vraie nature pour tenter de rentrer dans un moule imposé. Libre à chacun.e de faire ce qu’elle ou il veut de son corps et sa vie.

trois oeuvre, sculpture d'un corps, photo d'une serviette hygiénique, miroir
Our Flesh

Le paradoxe de la censure au service du message

À seulement 22 ans, Louve sait faire entendre sa voix. Sur son compte instagram (@reinelouve) elle expose son militantisme à travers des œuvres marquantes de sens, autant que visuellement, et s’insurge contre la censure inhérente à la plateforme.

En masquant ou supprimant régulièrement son travail, Instagram ne fait que renforcer le message de l’artiste, qui pointe du doigt une société patriarcale où revendiquer le droit à sa nudité serait apprécié chez l’homme mais condamné chez la femme. La censure, en désirant détruire une oeuvre, en ferait presque partie.

corps de femme en plâtre accroché à une croix avec des cordes de shibari
Foi

L’esthétique, ou du moins la recherche du beau, n’est vraiment pas primordial pour moi. Si mes pièces peuvent l’être tant mieux, mais ce n’est pas comme ça que je veux que mon travail touche le public. 

Art et militantisme : quand l’art fait bouger les choses

Léonore, c’est le prénom qu’on lui a donné. Louve, le prénom qu’elle a choisi. Son profil instagram le souligne, “Leonore Louve”, la femme indissociable de l’artiste. Ne pas pouvoir séparer l’homme de l’artiste est un combat qu’elle poursuit en se révoltant contre la culture du viol (qui qualifie un ensemble de comportements partagés au sein d’une société qui minimiserait et normaliserait le viol, voire l’encouragerait dans des cas plus extrêmes), notamment lors de la sortie du dernier film de Roman Polanski. Pour exprimer sa colère et son indignation, elle créé un filtre Instagram (devenu populaire) “J’accuse”, où l’on peut lire en rouge tel un halo divin “.don’t send nudes. send Polanski to jail.”.

filtre instagram polanski
Filtre “J’accuse” ici réutilisé par le compte @laisselesfillestranquilles

Le travail militant de Léonore Louve nous montre, une fois de plus, comment l’art peut frapper les gens et faire bouger les choses en prenant une dimension politique. “J’ai commencé à mettre des mots sur mon engagement féministe lorsque j’étais encore au lycée, mais c’est lors de ma deuxième année à l’ENSAD que j’ai compris la notion de discours dans le travail artistique, et que j’ai lié ma pratique et mes idées politiques”

reine louve nue à travers un cadre brisé, au dessus de verre brisé
Le Plongeon

Suite à l’engagement politique et artistique de nombreuses femmes (d’hommes et de personnes d’autres genres), Polanski et le cast de “J’accuse” ne se sont pas présentés aux César, et l’on retiendra seulement de cette soirée le puissant geste d’Adèle Haenel quittant la salle. Des images qui ont fait le tour du monde et sont devenues un emblème de la lutte féministe. Un petit pas, mais un pas en avant dans le combat vers l’égalité des sexes.

Vers de nouvelles opportunités

Louve n’en est plus à son coup d’essai. Après plusieurs workshop (avec le duo Louise Hervé et Clovis Maillet, ou encore Jeremiah Day) et après avoir exposée en France, à Manchester, Berlin, Budapest (début 2020), et jusqu’à Suncheon en Corée du Sud, elle poursuit son chemin artistique engagé. “Après l’ENSAD je réfléchis à m’orienter vers un master européen en gender studies, ces connaissances théoriques pourraient vraiment nourrir mon processus créatif. Mais tout dépendra des opportunités artistiques que j’ai sur le moment, car elles passeront toujours en priorité”.

reine louve allongée nue sous un drap, performance
Body Fluid #2 – You make me safe

L’association dont elle fait partie, Alien She, est également en train de préparer un nouveau projet.

Vous pouvez retrouver le travail de Léonore Louve Camus-Govoroff sur son instagram , ainsi que sur l’instagram de l’association Alien She.

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Louise des Places
Article écrit par :
Louise des Places est curatrice et journaliste d’art. Au fil des années, elle a écrit pour de nombreux magazines d'art, a organisé des expositions et des événements en tant que curatrice indépendante et avec son collectif "Lonely Arts". Louise a travaillé comme assistante de galerie à Paris et assistante d’artiste à Bruxelles, et comme assistante curatrice stagiaire à Somos Arts Berlin et Index - The Swedish Contemporary Art Foundation à Stockholm.

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