Martin Luminet

[Interview] Martin Luminet, sur scène comme sur le divan

Image d'avatar de Shad De BaryShad De Bary - Le 20 juillet 2023

L’écriture comme thérapie, la musique pour s’adapter. Martin Luminet, découverte des Francofolies, écrit pour faire ses deuils. Rencontre avec un artiste qui partage ses peines pour mieux guérir.

Martin Luminet pose à côté d'un néon rouge.
Photo : Anoussa Chea

Il aurait du être chocolatier. Martin Luminet n’a pas su résister aux sirènes de la scène, probablement parce qu’elles l’obligeaient à leur répondre. Lancé rapidement, grâce notamment à un passage au Chanter des Francofolies, un tremplin qui l’a mené à trouver sa voix, il a sorti son premier album cette année, sobrement titré Deuil(s). Il cite comme influences Kae Tempest, Disiz, Odzenne et TERRIER. Comme eux, il “lâche ses tripes” dans ses textes. Ses concerts prennent des airs de thérapie de groupe pour qu’il trouve enfin la paix.

Tu t’es lancé dans la musique assez tard. Tu dirais que tu as eu un déclic ?

Au début, je devais faire autre chose. Je n’ai pas été élevé dans un cadre où on me demandait de m’interroger sur mes émotions, sur ce que j’avais vraiment en moi donc je suivais les désirs des autres. J’ai fait des études sans me poser la question de pourquoi, et parce que je devais reprendre la chocolaterie de mon grand père.

Une fois que je me suis mis à faire de la musique avec des copains au lycée, là il y a eu un truc déclencheur. Pour la première fois, je commençais à regarder passer mes émotions, à essayer de les comprendre. Avant ça, j’étais complètement absent de tout. Par exemple, j’ai peu de souvenirs d’enfance, comme j’ai l’impression que les souvenirs s’accrochent à des émotions, et j’étais pas très connecté à ça.

Il y a quelque chose qui relève du coup double, d’essayer de soigner ma vie en même temps que ma musique.

Martin Luminet

Pourtant tu as commencé ta carrière à trente ans, longtemps après le lycée.

De vingt à trente ans, je faisais de la musique de manière homéopathique, on va dire. Il n’y a pas eu de déclic à proprement parler, mais plus un état. Un état d’urgence même. Je me suis dit “merde, je viens de passer vingt-cinq ans à vivre à côté de ma vie”. Et j’ai eu envie de venger ces vingt-cinq dernières années en vivant les vingt-cinq suivantes deux fois plus, en les incarnant vraiment.

Pour moi c’était ça, la peur de vivre mais de ne pas exister. C’est quelque chose qui nous traverse tous à un moment où il faut faire des choix de vie, à long terme. Du coup, oui, à trente ans. Je pensais échapper au cliché, mais en fait non, pas tant que ça (rires).

D’ailleurs, dans ton album Deuil(s), tu rentres très rapidement dans le vif de sujets assez sombre.

Quand t’as passé toute ta vie à toucher du bout des doigts tout et n’importe quoi et que tu te rends compte que tu peux rentrer pleinement dans les sujets, bah tu y vas. Je me suis dit que ça allait faire du bien à ma musique, mais aussi à ma vie.

C’est aussi pour ça que mes chansons sont vraiment intimes. Il y a quelque chose qui relève du coup double, d’essayer de soigner ma vie en même temps que ma musique. Dans l’album, il n’y a que du vécu.

Pourtant tu y développes aussi des réflexions plus engagées, politiques mêmes.

En fait, je ne dirais pas que mon album soit sombre. Il y a en effet des thèmes chargés, mais il suit un mouvement. J’y parle de rupture, mais donc aussi de la manière de se relever.

Avec la question du deuil, d’avoir perdu quelqu’un d’important, il y a celle d’apprendre à vivre avec l’absence. Et, en effet, d’un point de vue plus sociétal, de savoir comment on fait, une fois qu’on a dressé le constat que tout est en train de s’empoisonner, pour redresser la barre.

Tu as été lauréat de la saison 2021 du Chantier des Francofolies, c’est un beau tremplin. On te retrouve cette année sur la scène de la Rochelle. Tu qualifieras comment ton lien avec le festival ?

C’est un peu la maison ! Avec le Chantier des Franco’, ils te font vraiment travailler sur le fond des choses. C’est là que tu viens brasser des trucs important, au delà de l’image, par exemple. J’y ai écris des morceaux à des moments où je me sentais vraiment largué, par l’amour, par la société. J’avais l’impression de me sentir bien nulle part. Ils m’ont accueilli à La Rochelle, et c’est là que j’ai commencé à écrire l’album. Quand tu fais ça, il y un lien assez fort qui se crée.

Et ce qui est vraiment touchant, c’est qu’ils essaient vraiment de maintenir ce lien. A la dernière grande réunion, il y avait des artistes qui avaient fait le Chantier il y a dix ans. Je pense qu’ils essaient vraiment d’aligner leur approche du métier avec une approche humaine.

Il faut faire confiance au vide

Martin Luminet

Tu as commencé l’écriture pendant le confinement ?

Oui. Il y a eu quelque chose, pendant la pandémie, qui relève d’une grande fracture. J’avais le luxe d’avoir un toit, le confort de me demander, tiens, si le monde s’arrête, comment on fait pour le redémarrer. Et aussi, qu’est-ce qu’il dit de nous, ce monde là ? Ça a ouvert une brèche pour me questionner, je dirais.

Tu es très optimiste en fait, malgré tes textes souvent pessimistes.

J’arrive mieux à écrire sur des sujets une fois que je les ai traités, que c’est derrière moi. Je me sens légitime à en parler à ce moment là. Une chanson ça ne bouge pas, et je n’ai pas envie d’écrire une chanson dont je risque de me lasser au bout de quelques semaines, de me dire que j’ai changé d’avis depuis.

J’ai écris quelques chansons à chaud, c’est des coups de chance. Il faut faire confiance au vide, au fait de se lancer dans le vide. Mais pour le reste, j’aime bien me dire : “J’ai fait le tour du sujet, je suis prêt à en parler.”

Après avoir retrouvé la scène des Francofolies le week end dernier, Martin Luminet sera à la Fête de l’Humanité le 15 septembre, et à la Cigale (Paris) le 5 mars 2024.

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Article écrit par :
" C'est une bonne situation ça, scribe ? "

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