Fakear revient nous faire vibrer avec son nouvel album, All Glows. Quelques tournées après Végétal et Animal, changement de thème : le producteur caennais assume une nouvelle facette de sa musique. On l’a rencontré pour discuter avec lui de cette dernière création, et de l’après All Glows.
On vient de découvrir Lost In Time, qui prépare la sortie de ton nouvel album. Ca sonne un peu différemment, et tu as eu droit à de beaux featurings. Amener des instrumentales sur tes morceaux c’est un peu nouveau non ?
Ouais carrément ! Y’a toujours eu cet aspect très instrumental dans ma musique, et les featurings avec les voix se trouvent plus facilement : ça se fait beaucoup. Mais combiner deux inspirations instrumentales différentes, ça peut donner un truc de ouf ! C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai envie de pousser un peu plus loin encore.
Ton approche a été différente à cause de ça ?
Finalement pas tellement, parce que j’ai composé tout mes morceaux avant de chercher les collaborations. Pour Ibrahim Maalouf par exemple, j’ai proposé une sélection de morceaux avec l’idée de laisser de la place pour qu’il pose un solo. C’est pas forcément l’idée qu’on se fait d’une collaboration, en studio, où on est tout les deux dans la pièce et tout se fait dans l’instant.
Et pour les morceaux non-collaboratifs, tu procèdes comment ? C’est quoi ton point de départ ?
Souvent je commence par le climax du morceau, avec tous ses éléments. Quand j’ai de l’inspiration, j’en profite, j’en fais des tonnes et des tonnes, et ça crée le cœur du projet. J’avais entendu ça dans un documentaire sur Breaking Bad, ils avaient fait pareil pour l’écriture des scénarios : tu pars d’une situation super extrême, voire carrément improbable, tu laisses fuser toutes tes idées. Je fais un peu comme ça, et ensuite je me demande « Ok, comment j’en arrive là ? » et je déroule tout autour de cet embryon de morceau. Du coup je vais prendre un détail et en faire une intro, une autre et en faire un couplet, etc…
C’est une méthode que tu as toujours eu, ou ça a changé au fil du temps ?
Oui ça a beaucoup changé ! Des morceaux comme La Lune Rousse par exemple, je les faisais quasiment d’une traite, en passant plusieurs heures dessus, et après j’y retouchais très très peu. Maintenant, j’ai mon climax, je suis sûr d’avoir mon idée maîtresse, et je peux passer à autre chose et revenir dessus plus tard et y intégrer des choses auxquelles j’ai pensé entre temps.
Aujourd’hui tu bosses avec des chanteurs et des chanteuses sur tes prods. Comment tu fais la part des choses entre ça, et les samples de voix qui ont fait le début de ta carrière ?
Je suis devenu plus exigeant. Avant je trouvais des trucs plus ou moins propres, sur lesquels on entendait parfois l’instrumentale derrière, et je démerdais pour mettre tout ça en forme. Maintenant quand je cherche des samples de voix, il faut que ce soit a capella. Dans cet album, y’a très peu de choses qui viennent de Youtube par exemple. J’ai samplé les voix de Dana Williams et Rae Morris avec qui je travaille, et y’a aussi beaucoup de samples de ma copine.
Elle te donne toujours beaucoup d’inspiration apparemment ! Sur les réseaux tu en parles beaucoup.
Carrément oui. En plus dans ce milieu là c’est pas du tout naturel d’évoquer des choses aussi personnelles : les producteurs et les DJ peuvent passer pour des gens assez froids. Je trouve ça super cool d’assumer l’amour que tu peux avoir pour quelqu’un et le fait que ça te donne un max d’inspiration.
Tu as bientôt une date à Berlin, au Gretchen. Vu le public et les traditions locales, ce sera DJ set ou live ?
Ce sera live, mais tout seul, sans musiciens. Je vais jouer mes morceaux quand même, bien sûr. Et puis j’adore le Gretschen, c’est la troisième fois que j’y vais, l’ambiance est toujours super cool, et je m’entends très bien avec le staff. Et justement, faire du live là-bas, je sais que ce sera accepté puisque c’est un des clubs de Berlin qui ne passe pas que de la techno.
Quand tu es en live sur tes pads de cette manière, ça ne restreint pas trop ta liberté de jeu ? Tu vas appuyer dessus pour déclencher tes samples, mais tu n’as que ceux avec lesquels tu es venu. L’improvisation ne pas être évidente à mettre en place.
Oui c’est vrai ! Mais justement, je commence à prévoir des éléments de jeu pour l’improvisation, et en fonction de l’ambiance je les utilise d’une manière, ou d’une autre… ou parfois pas du tout. Une partie des sons avec lesquels je monte sur scène sont faits pour ça. Avec le temps je suis devenu super à l’aise avec cet instrument donc l’improvisation, c’est devenue envisageable.
Tu n’as eu envie de prendre une guitare, une basse ou un clavier sur scène ? Un peu comme Bonobo le fait en live.
Je commence à emmener ma guitare et mon ampli sur scène ! C’est un sacré boulot parce que je me suis rendu compte que ça me stresse beaucoup plus que les pads. Je me suis rappelé qu’en fait, y’a le trac ! Dès que tu transpires un peu, tu glisses sur tes cordes, ou alors tu stresses et tu fais n’importe quo, bref… J’ai essayé de faire ça sur des petits concerts en Suisse et ça m’a fait grave peur. J’essaie de me mettre à l’aise avec ça, ça vient petit à petit.
Mis à part sur ton équipement sur scène, tu as envie de changer de genre et de tenter de nouveaux trucs ?
Y’a de nouvelles choses que je tente dans l’intimité, mais pour le moment ça reste pour moi. Je sens que j’ai encore des choses à dire avec l’identité de Fakear. En revanche ça m’est arrivé d’avoir l’impression d’avoir épuisé tous les samples d’internet, toutes les possibilités que j’avais, surtout à la fin d’Animal et Végétal. J’ai arrêté de faire de la musique pendant 6 mois environ. Ça a fini par me manquer et j’y suis revenu, c’était juste un besoin de pause. Au final cette impression de manquer de moyen c’était un peu vrai : je vais chercher des samples sur youtube en général, et donc t’es complètement dépendant de la loi en vigueur dans ton pays. Dès que je suis un peu sorti de France je me suis rendu compte que je trouvais des trucs totalement différents qui étaient pas dispo à la maison. Tout un monde de samples que j’avais jamais entendu ! La prochaine étape ce serait de me dire « Ok je veux un sample qui vient de tel pays, de telle culture », et ben j’y vais, j’essaye de rencontrer les gens, et je l’enregistre moi-même.
En matière de changement, rien que sur l’album qui arrive, j’attaque un côté beaucoup plus “pop mainstream”. Maintenant c’est mis en musique et il va falloir assumer ce côté pop qui va pas forcément plaire à tous. Du coup j’essaie de voir dès maintenant l’après All Glows, et j’ai envie de m’attaquer à des choses plus pointues : j’ai trop envie de sortir un EP de House. J’adore ça et je pense que ça viendra à un moment.
Maintenant que tu tournes à l’international, tu ressens l’influence du public sur ta créativité ?
A mort ! C’est entre autres le public américain qui m’a soigné de la peur du mainstream. On tournait avec Bonobo et Odesza, et pour eux c’est de la musique super indé tout ça. En France c’est un truc beaucoup plus grand public dans l’imaginaire commun. Le simple concept du genre que tu fais avait déjà beaucoup moins d’importance à mes yeux quand je suis revenu de cette tournée. C’est comme ça que j’ai décidé de lancer le concept pour All Glows.
Y’a d’autres pays qui ont donné une direction à ton inspiration ?
Au début de Fakear, y’a eu le Japon, et c’est toujours une grande inspiration, de part leur de culture de l’esthétisme et de la finesse. Sinon y’a mon imaginaire d’autres pays d’Asie et des pays d’Afrique, et puis voilà, cette année, pas mal d’influence américaine. En tout cas je garde mon amour des cultures proches de la nature et de la spiritualité.
Le mot de la fin ?
Grave !
Merci Fakear !
Il se produira à Paris ce vendredi 13 avril à l’Élysée Montmartre et samedi 14 au Trianon. Vous voulez un avant-goût ? Profitez de son dernier live pour Cercle, juste ici
Album cover : Leif Podhajsky
Photos de presse : Fraser Taylor
Photos live : Jordan Marchand (photo n°1), & reflexion (photo n°2)