Editorial #3 : Séparés, par Fox Harvard

Image d'avatar de Antoine DuchampAntoine Duchamp - Le 30 avril 2015

Ce troisième éditorial est assez inhabituel.
Aujoud’hui, nous partageons avec vous à travers des clichés le témoignage du photographe Fox Harvard et sa fille.
Séparés pendant plus de 17 ans de sa fille, Fox Harvard nous a proposé cette série (avec sa fille). Nous lui avons en retour posé quelques questions.

Bisous <3

Photographe : Fox Harvard

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Sa Fille

Si j’ai bien compris, tu as été séparée de ton père pendant un long moment. Quel effet ça t’a fait de le revoir et qu’est ce qui a changé depuis ?

On a été séparés depuis que je suis née en fait, puisque j’ai été adoptée. Quand je l’ai revu c’était vraiment une découverte. Tout était nouveau en fin de compte. C’était incroyable d’apprendre à le connaître car nous étions les mêmes personnes au même âge. Nous n’avions jamais eu de contact avant cette lettre reçue quand j’avais dix-sept ans grâce à l’agence d’adoption, et pourtant je réalisais que nous avions les mêmes centres d’intérêts. Quand nous étions enfants nous adorions tous les deux la culture japonaise, puis adolescents on a commencé à aimer la cuisine et la photographie. Nous avons aussi dessiné et peint tout au long de nos vies.

Tu connaissais son travail avant que tu ne le rencontres ? Tu en pensais quoi ?

Oui, il m’avait envoyé le lien de son site un peu avant qu’on se voie. J’étais très impressionnée par ses créations et les sujets traités. Tous ses shoots ont quelque chose de spécial, il y en a pas deux qui se ressemblent. Quelque chose retient toujours votre attention.

L’idée de shooter ensemble venait de qui exactement ?

Il m’a proposé ça après notre rencontre. Ça m’a pris un peu de temps pour me sentir à l’aise avec cette idée, j’avais seulement shooté avec des amis et c’était il y a assez longtemps. Je n’avais aucune expérience professionnelle et surtout j’étais un peu nerveuse en imaginant comment ça allait se passer.

Tu avais déjà posé avant de faire ce shooting avec lui ? Tu aimerais que ça t’ouvre à d’autres opportunités ?

J’avais seulement posé pour des amis mais rien de pro. Il n’y a pas beaucoup de propositions en Floride. J’aimerais évidemment que ça me permette de faire des photos avec d’autres personnes. Je veux poser depuis que j’ai treize ans, c’est un peu le moment parfait pour commencer quelque chose de sérieux.

 Ce shoot représente quoi pour toi et par rapport à ta relation avec ton père ? Tu aurais envie de le refaire ?

Ça représente la rencontre de nos créativités, c’était une collaboration et une mise en relation de nos idées et personnalités. On a prévu de refaire des photos. J’aimerais que ce soit encore plus créatif, plus unique. Je veux réfléchir avec Fox afin de faire quelque chose de différent.

Tu penses quoi du travail de ton père ? Il a quand même fait des trucs choquants ou controversés, tu ressens quoi par rapport à ça ?

J’admire son style, sa singularité qui l’a amené si loin. La nudité me dérange pas, je comprends pas pourquoi les gens sont choqués en voyant ça. Nos corps sont beaux et devraient être appréciés. Certains de mes amis et proches étaient dérangés par le travail de mon père au début, mais ça leur a pas pris beaucoup de temps avant de changer d’avis. C’est ridicule de se sentir mal devant un corps nu ou se poser des questions sur Fox et notre relation juste parce qu’il prend ce genre de photos.

Quand on parle justement de ces sujets comme la nudité, ça change la manière dont tu perçois ton père ? Et comment tu te vois dans ses photos ?

Ça m’aide à le voir comme une personne et réaliser que nous avons les mêmes idées. On pense tous les deux que c’est naturel de montrer des corps déshabillés. Je me vois un peu différemment dans ses photos, dans le bon sens. Je réalise que je peux faire quelque chose que j’ai toujours voulu faire.

Tu veux ajouter quelque chose ?

Ouais, j’aimerais dire que je suis fière de mon père et de sa carrière. Vivre de son Art est compliqué de nos jours, surtout aux US où les artistes sont pas reconnus comme dans d’autres pays. Son originalité fait sa force, c’est quelque chose que tout le monde n’a pas. Et puis ma relation avec Fox est si spéciale pour moi. On a essayé de reprendre contact pendant des années mais à cause d’une agence d’adoption mal organisée, c’était vraiment pas simple. Ils ont dit à Fox qu’ils nous envoyaient des lettres et des messages sur nos téléphones mais on a jamais rien reçu. Ils ont aussi gardé une lettre que Fox m’a écrite pendant quatre ans avant de se décider à l’envoyer… Je suis heureuse qu’on se soit rencontrés malgré tout. Il m’a changée, et je peux te dire qu’on va continuer à travailler ensemble encore longtemps !

Fox Harvard

Raconte nous un peu ton histoire, ton travail…

Je suis né à Tampa mais j’ai grandi à Sarasota. Cette ville est un peu considérée comme un endroit hyper culturel, du coup toutes les pratiques artistiques sont devenues importantes pour moi. Mes parents ont compris que j’avais un talent en dessin, ils m’ont donc poussé à prendre des cours quand j’avais huit ans. J’ai aussi commencé à peindre pendant le weekend et après l’école grâce à des cours privés. A quinze ans, j’ai été accepté dans une école d’arts, et j’avais aussi un atelier à l’Université. J’ai commencé à prendre des photos quand j’avais seize ans, mon grand-père m’a offert mon premier appareil. Je mélangeais la photographie à d’autres formes artistiques, c’était un outil secondaire pour mes travaux de dessin et peinture. Je ne faisais pas encore de vrais shoots. La photo est un vrai challenge, c’est complexe d’être satisfait du résultat lorsqu’on imagine quelque chose de précis.

Pourquoi penses-tu que ton travail ait évolué de la sorte ?

C’est un peu un concours de circonstances. J’aimais vraiment peindre, mais je voulais pas être un artiste qui crève la dale. Après le lycée, la fille avec qui j’étais à l’époque est tombée enceinte et à cause de la situation on a été forces de faire adopter. Putain c’était vraiment la pire chose que j’ai jamais due faire. J’avais des crises de panique horribles à cause de ce sentiment de culpabilité. J’ai toujours des cahiers de cette époque, remplis avec des dessins de terreurs nocturnes. Être dérangé peut aider à créer, mais quand des mauvais souvenirs deviennent une obsession c’est pas vraiment fun. C’est un peu comme une vidéo qui tourne en boucle, on donnerait tout pour l’effacer ou l’oublier. Bref, j’ai disparu pour un moment, je suis parti de chez mes parents pour vivre dans ma voiture sans nourriture ou nulle part où aller. Pendant des années la seule chose qui me consolait vraiment et me calmait était l’art. En revoyant tout ça, je me rends compte que l’image de petites filles revenait en permanence à cette époque, comme un symbole de ce que j’avais perdu.

A l’Université je me rendais compte que seules les études en Droit ou en Médecine valaient le coup. J’étudiais l’Art et j’étais responsable d’une galerie. Mais l’idée de partager un appart minuscule avec quatre artistes et galérer à survivre me tentait franchement pas, j’ai donc vendu tout mon équipement, je suis tombé amoureux de la fille que je fréquentais et j’ai pris un job de commercial. On vivait plutôt bien à Tampa, ça a duré sept ou huit ans. Puis je suis devenu un peu fou avec toutes les heures de travail et le stress. Pour la première fois je vivais aussi une vie sans art.

Et puis un jour je reçois une enveloppe de l’agence d’adoption avec des photos de ma fille. Putain c’est là que ce sentiment de culpabilité a disparu, en voyant qu’elle était là quelque part, heureuse. La sensation que toutes mes peurs étaient parties, que j’avais plus à porter ce poids d’une vie sans création.

 J’étais à l’époque dégouté par l’art, j’avais abandonné la peinture car on vivait dans un endroit où je ne pouvais pas avoir d’espace pour en faire. Mon couple n’a pas tenu le coup, en partie à cause de moi, j’en ai eu marre de travailler pour cette entreprise. J’étais dévasté. J’avais rien crée depuis bien dix ans, je savais plus qui j’étais ou qui je voulais être. J’étais là, coincé dans une maison vide. Je me suis donc débarrassé de cet endroit, et je suis parti à Paris pour quelques mois.

 Bref, mon travail était un peu plus salace que ce que je produis aujourd’hui mais tout évolue comme ça le devrait. Je suis commercial dans l’industrie cosmétique à présent, c’est pas le truc le plus glamour et poétique à faire pour vivre mais ça me permet de faire ce que j’aime. Et surtout de passer du temps avec ma fille, Katie, que j’aime comme un dingue.

Comment était le shot avec ta fille ?

C’était assez émouvant… Une véritable catharsis. Je crois jamais avoir été autant touché par des photos auparavant. Ca m’a pris aux trippes. C’était un peu comme recevoir ces photos d’elle par l’agence d’adoption. Je me suis rendu compte grâce à tout ça que la photo est l’outil qui a le plus de pouvoir pour moi. Et notre shot aurait pu être encore plus intense, je ne dis pas que je l’aime pas, mais peut-être qu’il y avait une part d’inhibition.

Tes photographies sont souvent pleines de chaleur et de lumière, d’où vient ton inspiration et quelle est l’atmosphère que tu préfères ?

 C’est drôle que tu aies cette impression. Même dans les photos les plus lumineuses je vois une part d’obscurité et de mélancolie. Peut-être que je me trompe dans ma façon de percevoir mon travail, j’analyse jamais pendant que je crée mais plutôt à la fin. Mon inspiration vient surtout de peintres mais j’admire aussi de grands photographes comme Robert Doisneau.

Je suis un timbré de cinéma et je trouve que ce que je fais peut ressembler aux vieux films que je regardais en étant gosse. Je m’en foutais de l’histoire et des dialogues, je regardais que les images ells-mêmes. J’étais hypnotisé par Truffaut ou Fellini, par cette beauté dans la manière de filmer. Pas mal de personnes me dissent que mon travail est cinématique, c’est assez flatteur. Ouais je dirais que c’est là ma vraie inspiration.

 Pour l’atmosphère, j’aime bien la lumière naturelle. J’aime surtout être dans l’environnement de la personne qui pose. Le photographe ne fait pas que construire un concept, il s’imprègne d’une touche plus intime.

On va parler un peu musique, qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?

 J’aime écouter de la musique classique pendant que je travaille, surtout de l’opéra. Tu me trouverais surement en train de prendre des photos sur du Ravel ou Verdi. Je suis captivé par cette profondeur musicale, toutes ces émotions jouées à l’infini. J’aime aussi écouter Radiohead, Beck, Björk… Et puis je tuerais pour réaliser ma propre version du clip Loftcries de Purity Ring ! 

Un mot pour Beware ?

J’aimerais ne pas avoir à dormir, j’aimerais connaître encore plus de monde, j’aimerais pouvoir un jour faire des chefs d’oeuvres de maître à la peinture à l’huile, j’aimerais être amoureux encore. Je voudrais être reconnu comme un pro et comme un homme. J’aimerais aller de l’avant avec les choses que je ne peux malheureusement pas changer. J’aimerais créer non-stop et partager ça avec le plus de monde possible. J’aimerais être capable de faire de la beauté une chose noble, pas seulement superficielle. Je dois faire toutes ces choses. Et continuer à aimer ma fille, surtout, d’un amour inconditionnel.

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Antoine Duchamp
Article écrit par :
Photographe de mode, Ancien étudiant en design interactif et ancien rédacteur en chef de la section Beware Editorial dédiée à la photographie de mode.

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