Le pouvoir à la fois destructeur et spectaculaire du feu fascine autant qu’il effraie. C’est justement ce processus de destruction et la fascination qu’il exerce qui pousse Ada Zielinska à le placer au cœur de deux de ses séries photographiques (Automative stills, Post-tourism) et d’un livre (Pyrotechnic’s manual). Des projets nés suite à la découverte du film “Crash” de David Cronenberg, qui donnera l’envie à la photographe polonaise d’exploiter cet élément comme outil de travail et d’exploiter le phénomène de destruction comme objet de réflexion.
Ada Zielinska explore l’acte de destruction avec Automative Stills
Automative Stills ouvre la voie à ce triptyque enflammé en se penchant sur l’acte et le processus de destruction d’objets soigneusement choisis. Souvent, des voitures chinées ou données par des proches, dont la valeur matérielle est égale (sinon moindre) à la valeur affective que lui porte l’artiste, détruites dans des accidents qu’elle met en scène.
C’est là d’ailleurs l’intérêt de sa démarche. Cela, nous le comprenons lorsqu’elle confie que c’est la fascination qu’exerce l’objet à son encontre qui la pousse à le détruire. Une pulsion révélatrice d’une tendance à l’autodestruction dont Ada Zielinska a pleinement conscience et qu’elle aborde lorsqu’il s’agit de justifier sa démarche. Troubles alimentaires, consommation de drogues,… autant de conduites à risques qui ont marqué sa vingtaine et viennent aujourd’hui nourrir son processus de création. D’autres pourraient y voir un acte sublimatoire cathartique d’une énergie destructive qui, une fois contrôlée, peut être analysée et décomposée.
Pour assouvir sa soif de pyromane insatiable, elle fait d’abord appel à son père, ancien pompier, qui l’accompagne et assure la sécurité lors de ses expériences. Des pompiers avec lesquels elle entre en contact ont pris la suite par ailleurs.
Alors que les bolides se consument sous ses yeux, elle s’arrête sur les détails et étapes de la combustion qu’elle finit par connaître par cœur pour les immortaliser. Plus elle avance dans sa démarche, plus la jeune femme découvre les mécanismes qui sous tendent la transformation induite par les flammes et viendra à bout des véhicules victimes des expérimentations de l’artiste. Décomposer et analyser pour dépasser la peur de la destruction, la démystifier. Un thème terriblement d’actualité qu’elle déclinera à plus grande échelle avec Post-tourism.
Post-tourism ou le “tourisme macabre”
Après s’être intéressée au processus de destruction de biens matériels, la jeune photographe l’observe sous un autre angle, plus angoissant cette fois-ci tant il nous dépasse ; celui des catastrophes naturelles dont le nombre s’accroît au fil des années.
Nous découvrons le théâtre désolé des forêts californiennes ou australiennes suite aux terribles incendies qui ont eu lieu en 2018 et 2019. Des clichés qui dénoncent les ravages du réchauffement climatique et sous tendent un double objectif. Le premier : documenter les lieux dévastés pour témoigner de ce qu’ils sont devenus. Les photographies post-apocalyptiques récoltées, l’artiste les veut cartes postales en souvenir des désastres subis par ces zones souvent hautement touristiques.
Le tourisme, la mondialisation et leurs conséquences, c’est justement le second sujet qu’elle aborde, avec notamment la mise en avant d’un nouveau phénomène : “le tourisme noir”.
Aussi appelé “tourisme macabre” ou “nécrotourisme”, cette manière de voyager renvoie à la visite de lieux étroitement liés à la mort, la souffrance ou des catastrophes. Un thème qui rappelle l’attrait de la polonaise pour la question de la tendance à la destruction, la pulsion de mort et les formes à travers lesquelles elles s’expriment.
“Il est aujourd’hui plus aisé d’imaginer la fin du monde plutôt que la fin du capitalisme” selon elle. Des propos qu’illustrent les portraits qu’elle tire de ses sombres voyages.
Si avec “Automative Stills” c’est la question du processus de la destruction qui est abordée, Post-tourism focalise notre attention sur le résultat une fois ce dernier achevé, nous laissant démunis face aux dégâts engendrés.
Pyrotechnic’s manual : Pyromanie, mode d’emploi
De ces travaux naît Pyrotechnic’s manual. Un livre qui réunit ses photographies pour le plaisir morbide mais jouissif de son lecteur.
On peut dire que cette photographe hors-norme réussit à faire de l’acte d’incendier – fondamentalement considéré comme un acte revendication ou de barbarie – un geste artistique et cathartique. Une manière de reprendre le contrôle dans un monde où tout nous échappe, où la violence va crescendo sous nos yeux impuissants.
Pour Ada Zielinska, ces projets jouent le rôle d’une auto-thérapie qui lui permet de travailler sur les questions de la destruction et de la renaissance qui lui sont chères. Elle explore le côté esthétique et émotionnel des catastrophes qu’elle met en scène ou auxquelles elle va volontairement assister, et, par les images qu’elle nous offre, interroge sur ce que cela nous évoque et nous fait ressentir.
Aussi, vous pourrez retrouver son travail sur son Instagram ou sur son site.