Des images, on en voit passer toute la journée. Et parmi ces images, des artworks, là pour illustrer des disques, parfois formidables, parfois inconséquents, artworks que l’on décortique, justement, sur Néoprisme. De ce début 2018, niveau pochette de disques, quoi retenir ?
Notre premier très gros coup de coeur, visuel (et sonore pour le coup), de l’année 2018 est empli d’une sobriété maligne. Il s’agit de la pochette illustrant All Melody, l’album de l’Allemand Nils Frahm, qui a fait appel à une compatriote, basée entre Berlin et Hambourg (Lisa Darjes), avec en tête une idée toute simple : photographier ce studio, qu’il occupe en bord de Spree dans le grand complexe de Funkhaus, un studio qu’il a bâti lui-même, minutieusement, du câblage électrique aux boiseries, de l’orgue à la table de mixage, et ce pendant de longues années, avec l’aide de ses amis les plus proches, et d’une grosse dose de savoir-faire, rendant hommage, enfin, au lieu où la magie opère. Home, sweet home.
De paysages boisés, il en est également question, mais dans un autre genre, chez Justin Timberlake, qui se présente en Henry David Thoreau des temps modernes sur la pochette de Man on the Wood, album au nom équivoque pour une pop star bien décidée, c’est ce que l’on pige, à revenir à ses racines, lui qui a grandi à Millington, une petite ville au nord de Memphis, loin des lumières et des éclats de la ville. Justin, Américain moyen et homme des bois, malgré un album qui flaire plutôt les studios de New York ou de L.A. que les champs bouseux du Tennessee ? Man des bois, et propos en toc ? En lire plus
Tiens celui qui les fouille aussi, ses racines, c’est Luis Vasquez, le chanteur sombre et ténébreux de The Soft Moon, qui vient de sortir un album (Criminal) à l’intérieur duquel il revient sur un passé qui, on le comprend assez vite (le titre déjà, qui suinte la psychanalyse qui fait du bien), s’avère particulièrement traumatique. Moins naïf que Justin (ou juste plus indé ?), Luis Vasquez mise pour sa part sur le portait sobre, afin de signifier l’autobiographie, et l’image froissée et en noir et blanc, afin de dire que cette histoire-là n’est pas à raconter aux enfants, tard le soir, avant l’heure du coucher. Ce confessionnal-là est illustré par Marion Constantin, et fonctionne donc parfaitement, au moins autant qu’une séance chez le psy, à 70$ l’heure.
Ça fonctionne aussi du côté de Johnny Jewel, le multi-instrumentiste stakhanoviste qui a monté son label (Italians Do It Better) et qui multiplie les projets (Chromatics, Desire, Glass Candy) et qui se charge aussi de la plupart des artworks de ses disques, dont celui-ci, illustrant l’album Digital Rain, un album concept centré sur des questions purement…météorologiques. Lui que l’on était habitué à voir dessiner beaucoup de filles (et il les dessine très bien), choisi ici la reproduction d’un glaçon géant, étrangement compacte et évocateur, c’est très fort, d’une grâce et d’une beauté certaine. Dans la glace, le sexy ?
Sexy aussi, la figure photographiée que propose le duo canadien Rhye, qui a pris pour habitude d’illustrer ses disques, un peu comme Her chez nous, par le biais de photographies présentant le corps féminin débarrassé de toute idée de textile superflu. Sauf qu’ici, et malgré la véritable beauté de cet artwork signé par le duo Rachell Smith (pour la photo) et Stuart Hardie (pour le design graphique), ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que deux garçons qui illustrent leur projet de R&B cool avec des photos de filles nues, et même si on apprécie la vision de filles nues, eh bien, sans hurler au scandale, ça craint tout de même un petit peu, surtout en 2018, au moment des hasthags qui assassinent, des vieilles blessures qui se réveillent, et des chaînes qui se libèrent. En lire plus.
Sinon, du côté de Shopping (Anglais, punk, le nom du groupe étant du second-degré), et comme les Sparks l’an passé, il semble que l’on cite une nouvelle fois David Hockney, être alternatif également, avec cette piscine bleutée parcourue par un crocodile gonflable, alors que chez The Limiñanas, on a demandé au photographe français très rock Richard Bellia d’illustrer Shadow People. En rouge et noir donc, mais pas de rapport avec Stendhal ou Jeanne Mas : on pense plutôt au Funhouse des Stooges ou à Slade pour Lionel Limiñana, et aux Des visages, des figures de Noir Désir pour Richard Bellia. Dans tous les cas : ça sent l’ombre et le sang.
Sopico, le jeune rappeur du XVIIIe arrondissement qui est en train d’affoler tout le monde avec son album Yë, a décidé pour sa part d’utiliser l’image d’une moto (Suzuki) afin de symboliser l’idée du travail dont on est fier, parce qu’il a été correctement construit.« Je voulais faire un truc dans un garage et mettre un objet mécanique derrière moi qui représenterait le travail en studio ». Ok. Comme chez Nils Frahm finalement, tiens. Perez, lui, a pioché (avec l’accord de tout le monde) dans le boulot du dessinateur Lucas Dillon et en a sorti cet artwork chelou, qui est a priori un clown tirant une langue devenue escalator, avec son ombre menaçant, dans le fond. Clairement, c’est moins pop que lorsqu’il avait bossé avec Thomas Lévy-Lasne, sur Saltos. En même temps, l’album l’est également, moins pop. Preuve en est : il s’appelle Cavernes. Et est parfois contrarié.
Et puis, un peu de douceur afin de compenser les agissements de brutes, les punks de Shame, Anglais agités, ont demandé à quelqu’un qu’ils connaissent (Holly Witaker) de les prendre en photo, avec de gentils animaux dans les bras, petits cochons en l’occurrence. Ça fait penser au Pet Sounds des Beach Boy, oui. Et ce n’est pas que pour ça qu’on est fan.
Tout le reste, c’est sur Néoprisme.